Gingras, C. (2014). Point de vue d'adultes dysphasiques sur les facteurs influençant leur développement de carrière. Projet de recherche. Maîtrise en carriérologie. Montréal: Université du Québec à Montréal.
Ce qu’une personne va faire de sa vie
est une préoccupation qui est au cœur d’un questionnement auquel chacun sera
confronté. Très tôt dans l’existence de l’individu, des réflexions sont portées
à cet égard. L’avenir des jeunes est directement
concerné par l’orientation scolaire et professionnelle (Gaudet, Mujawamariya et Lapointe, 2010). D’ailleurs, c’est en
1993 que l’Ordre
professionnel des conseillers et conseillères d’orientation du Québec
a proposé l’idée d’une école orientante, un projet qui intègre l’orientation
scolaire et professionnelle aux activités d’apprentissage de l’élève. Introduit
par le Ministère de l’Éducation
en 2002, le renouveau pédagogique, qui est l’application de l’approche
orientante, a fait naître le projet personnel d’orientation (PPO). Le PPO est
une matière scolaire qui incite l’élève à explorer des choix de carrière pour
son futur. Dès la 3e année du secondaire, le PPO offre à l’élève
l’occasion d’expérimenter, de réfléchir et d’agir en vue des cinq domaines de
formation du programme de l’éducation québécoise. Ces domaines sont : les
arts, les langues, l’univers social, le développement de la personne ainsi que
la mathématique, la science et la technologie.
Or, il est possible que certains
obstacles puissent rendre difficile le choix de carrière. Les troubles
d’apprentissage en sont un exemple (Dipeolu, Hargrave,
Sniatecki et Donaldson, 2012 ; Georgiou, Espahbodi et De
Sousa, 2011).
Il a été démontré que les élèves qui en sont atteints éprouvent des problèmes
liés à l'identité professionnelle et à la capacité de prendre une décision en
relation avec la carrière (Anctil, Ishikawa et Scott, 2008 ; Dipeolu et al., 2012). En outre, les troubles d’apprentissage donnent
lieu à des difficultés scolaires puisque certaines des facultés suivantes sont atténuées :
l’attention, la parole, la lecture, l’écriture et le raisonnement mathématique.
(Talero-Gutierrez, Van Meerbeke et Reyes, 2012). En 2013, dans le Diagnostic and statistical
manual of mental disorders, fifth edition (DSM-V) de l’American
Psychiatric Association (APA),
les troubles de la communication sont intégrés dans les troubles
d’apprentissage et ils sont d’origine neurologique (Paquier, 2012).
La dysphasie est un trouble de la
communication qui affecte le langage de façon permanente dans les sphères
expressive et réceptive (Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec
(OOAQ), 2004). L’OOAQ avance que 25 personnes sur 10 000 sont dysphasiques
et que les garçons sont davantage concernés. Selon le recensement de l’année 2012
à propos de l’aide financière versée à toutes les familles ayant des enfants à
charge de moins de 18 ans (le Soutien aux enfants), la Régie des rentes du Québec (2013)
a établi que 6 355 enfants entre 0 et 17 ans ont un handicap relié aux
troubles du langage. De plus, la réforme du système scolaire de 2002 du
Ministère de l’Éducation a pris soin d’introduire des classes réservées aux
élèves qui ont des troubles de langage sévères, une preuve que ces derniers
sont jugés assez nombreux pour y avoir leur place. Selon l’Institut de la
statistique du Québec (2013), en 2010-2011, 1,5 % de la population des plus
de 15 ans ont des incapacités d’activités reliées à la parole. Par conséquent, environ
100 000 personnes sont susceptibles d’être des bénéficiaires de l’aide
financière de dernier recours du Ministère de l’Emploi et Solidarité sociale du
Québec. Ceci s’appuie sur le fait que leur langage est une contrainte à
l’exécution de leurs activités. Enfin, un sondage mené en 2011 par
l’Association des établissements de réadaptation en déficience physique du
Québec (AERDPQ) auprès de ses membres a révélé que 30 % des demandes de
service provenant des adultes dysphasiques concernent leur intégration socioprofessionnelle.
Dans
les écrits, le terme trouble spécifique
de langage est davantage utilisé pour faire allusion à la dysphasie. Dans
les publications scientifiques, même si pratiquement aucun écrit n’est
disponible concernant le développement de carrière des adultes dysphasiques,
des indices sur ce sujet sont repérés.
Comme
les troubles d’apprentissage, il a été démontré que les dysphasiques ont des
déficits du point de vue de leur santé psychologique et des difficultés
d’habiletés sociales (Conti-Ramsden et Botting, 2008 ; Durkin et
Conti-Ramsden, 2010 ; Farrant, Maybery et Fletcher, 2012 ; Skhiri,
2011 ; St Clair, Pickles, Durkin et Conti-Ramsden, 2011 ; Taly et
Emmanuelli, 2013 ; Zourou, Magnan, Ecalle et Gonzalez-Monge, 2009). Cela
peut nuire à des échanges enrichissants avec les autres en raison des
difficultés d’expression et parfois de compréhension, ce qui contribue à faire
diminuer le sentiment d’efficacité personnelle (Lent, Brown et Hackett, 2002). À cela s’ajoutent des
difficultés sur les plans scolaires et professionnels, ce qui fait en sorte que
ceux-ci s’orientent majoritairement vers des métiers manuels et qu’ils
éprouvent de la difficulté dans leur insertion socioprofessionnelle (Herbaux-Laborbe,
2013 ; Johnson, Beitchman et Brownlie, 2010 ; Withehouse, Watt, Line
et Bishop, 2009). Les personnes ayant une dysphasie sont donc vulnérables à
devenir des prestataires de l’aide financière de dernier recours du Ministère
de l’Emploi et Solidarité sociale du Québec. Finalement, la poursuite d’études postsecondaires
peut s’avérer périlleuse due entre autres aux difficultés reliées à
l’apprentissage de l’écriture (Withehouse et
al., 2009).
En somme, il est à prévoir que le développement de
carrière des adultes dysphasiques sera parsemé d’embûches et c’est la raison
pour laquelle cette population est visée, en plus de permettre d’alléger le
processus de signature du formulaire de consentement selon la 2e
édition de l’Énoncé de politique des trois conseils : Éthique de la recherche
avec des êtres humains (EPTC 2) (Conseil de recherches
médicales du Canada, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie
du Canada et Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, 2010).
En lien avec la carrière, le champ d’exercice du
conseiller d’orientation consiste à évaluer la situation de la personne autour
de trois dimensions, soit le fonctionnement psychologique, les ressources
personnelles et les conditions du milieu (Ordre des conseillers et conseillères
d’orientation, 2010). Ces trois dimensions à évaluer sont en relation les unes
avec les autres et la dysphasie interfère sur celles-ci, d’où l’utilité d’en
saisir les conséquences. De plus, sauf en neuropsychologie, la
dysphasie dispose de peu de publications dans le champ de la psychologie et la
recherche sur la qualité de vie des adultes touchés par ce trouble est rare (Herbaux-Leborbe,
2011 ; Johnson et al.,
2010 ; Taly et Emmanuelli, 2013). De surcroît, l’AERDPQ (2011) précise que
les services d’aide à l’emploi ne connaissent pas les besoins particuliers des
dysphasiques. Ce constat a pour effet que ces personnes intègrent des stages
qui ne font pas appel à leurs compétences ou n’obtiennent pas les adaptations
requises, par exemple un soutien à l’exploration et à la connaissance de soi ou
de l’aide pour une préparation à une entrevue de sélection. Enfin, un sondage
portant sur le portrait de situation des adultes présentant une déficience du
langage au Québec (AERDPQ, 2011) a mis en évidence que des 17 centres de
réadaptation en déficience physique qui ont répondu, seul un d’entre eux offre
les services d’un conseiller d’orientation.
Sans oublier l’avancement des
connaissances, cette étude contribuerait à combler un vide qui subsiste face à
la quantité, voire la qualité des services dont disposent les adultes
dysphasiques à propos de leur développement de carrière. D’autre part, pour les
conseillers d’orientation œuvrant en milieu scolaire, il est à prévoir que des
mesures adaptatives puissent être proposées en considérant la Loi 21 du Code des professions
(2013). Cette loi précise que ceux-ci puissent évaluer un élève handicapé ou en difficulté d’adaptation dans le cadre de
la détermination d’un plan d’intervention en application de la Loi sur l’instruction
publique. Ce projet de recherche
s’inscrit également dans le sens des recommandations de Herbaux-Leborbe (2013)
et de Withehouse et al (2009). Ces
derniers ont conseillé de miser sur la compréhension du ressenti des
dysphasiques. De cette manière, l’adulte dysphasique aura une meilleure
définition de son potentiel d’employabilité et il pourra ainsi mettre en place
un projet de carrière adapté à sa situation. La presque totalité des recherches
recensées est présentée sous la forme quantitative. C’est donc dans une optique
de recherche qualitative qu’un regard sera porté sur cette population quant aux
facteurs pouvant influencer leur développement de carrière.
Bref, l’objectif de ce projet est d’obtenir le
point de vue d’adultes dysphasiques sur les facteurs influençant leur
développement de carrière afin de dresser un portrait détaillé et nuancé de
leurs besoins. De cette
manière, les divers intervenants des services d’aide à l’emploi ainsi qu’une
plus grande majorité de conseillers d’orientation pourront leur offrir un
accompagnement socioprofessionnel personnalisé. Ainsi, les personnes ayant une
dysphasie seront encouragées à occuper un poste en lien avec leur potentiel et
leurs intérêts, ce qui favorisera leur bien-être et leur participation active au
sein de la société.
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