Counseling
stratégique, éclectif et narratif
Mirela Mocka, étudiante à la maîtrise
en carriérologie, UQÀM
Louis Cournoyer, professeur en
counseling de carrière, UQÀM
Au cours des
dernières années, les modèles de counseling appliqués en santé mentale se
prolifèrent tout autant que les problématiques se diversifient. Déjà au cours
des années 1980 et début de 1990, Held (1984, 1991) formulait l’importance de
tirer profit de l’utilisation pratique de différentes théories et leurs techniques correspondantes efficaces
et reconnues au plan du processus de
changement lié à divers modèles, c’est-à-dire d’une forme d’éclectisme
stratégique. Cet article propose un résumé de l’article Narrative approach to Strategic eclecticism
de Jeffrey T. Guterman et James Rudes (2005), puis une intégration pratique des
notions proposées au contexte de counseling de carrière.
Éclectisme stratégique et approche
narrative
L’éclectisme stratégique consiste en la sélection
systématique de théories et de techniques les plus pertinentes et les plus
adaptées pour alimenter un processus efficace de changement chez la personne
(Guterman et Ruds, 2005). De son côté, l’approche narrative s’inscrit dans une
perspective postmoderniste de l’évolution humaine qui questionne la capacité de
connaître une vérité ultime et suggère le recours de plusieurs modes
d’appréhension de cette dernière. C’est pourquoi elle est souvent associée à la
perspective du constructionniste social où l’expérience humaine est décrite
comme une construction de connaissances et de notions de réalités subjectives à
partir du langage partagée en interaction avec les autres. C’est par le récit
que l’approche narrative va extirper cette réalité subjective d’une personne
construite et déterminée par sa culture et ses propres patterns de résolutions
de problème. Selon Guterman et Ruds (2005), l’intégration de l’approche
narrative à l’éclectisme stratégique nécessite la convergence de perspectives
modernistes et post modernismes de l’intervention. Le terme stratégique est utilisé en référence « …
d’un effort de la part du conseiller d’adapter sur mesure les
conceptualisations et les interventions, pour qu’ils tiennent en compte
l’unicité de chaque client et problème, et de là, de faciliter le processus du
changement en une manière effective » (Guterman et Ruds 2005). Cette
approche se base entre le processus et du contenu de l’intervention.
Pour cette approche c’est très important de
distinguer le processus (apports de changements par des interventions, des
méthodes et des techniques diversifiées) du contenu
(l’objet du changement selon diverses théories). Les auteurs distinguent
également les notions de contenu formel, composé par les hypothèses du
clinicien concernant les causes du problème et le contenu informel, ’composé par les hypothèses subjectives du client concernant
les causes de son problème. Le contenu
informel du client est utilisé comme métaphore principale du processus mené
par le client et son conseiller. Le contenu dit de niveau informel est appelé à se transformer en niveau formel suite au recadrement réalisé durant le processus de
changement de l’approche narrative. En résumé, le contenu formel dans l’approche narrative se compose d’histoires dominantes ou de patterns de
construction de situations ou de problèmes, soit des narrations influencées par
la culture des personnes. Puisque le
contenu formel demeure passablement général, il requiert la conceptualisation
des autres théories comme contenu
informel, ’c’est à dire, plutôt comme métaphores que comme des
représentations objectives de la formation du problème ou du changement désiré.
Application pratique
L’approche narrative est composée de ces quatre
phases. Premièrement, la phase de mapping
consiste à cartographier les influences du problème à travers une série de
questions aidant le client à extérioriser son problème et en comprendre les
influences possibles sur sa vie. Ces questions permettent de dégager des résultats
uniques qui constituent la prochaine phase. Les résultats uniques sont les
exceptions. Selon l’approche narrative, les résultats sont en fait des
comportements, pensées et sentiments qui contredisent l’histoire dominante, soit le problème. Cette phase vise donc à
reconnaitre des exceptions pouvant être considérée au sein d’un processus de
création de sens et de pouvoir propre. Troisièmement, le restorying, ou la réécriture de son histoire amènent le conseiller à
proposer différentes séries de questions visant à aider le client à multiplier
les exceptions (résultats uniques) afin d’en attribuer du sens ici et maintenant,
notamment par une activation de l’empowerment
du client et conséquemment, de son sentiment d’efficacité personnelle. Quatrièmement,
le conseiller choisit des interventions et des tâches d’exercices narratifs ou d’écriture
de lettres dans le but d’identifier les résultats uniques et de bonifier le
processus de restorying. Ce type
d’activités peut aider le travail des clients vers les objectifs du traitement.
En guise d’étude de cas fictive, prenons Ginette,
une femme de 42 ans, maintenant divorcé depuis 5 mois. Celle-ci se dit vivre un
état dépressif depuis la lecture du divorce. Au-delà de toutes capacités
rationnelles à l’égard de la situation, Ginette ne peut concevoir être heureuse
à son âge sans être mariée et avoir un mari à ses côtés. L’ensemble de sa vie est alors perçu comme un
échec. À partir d’une évaluation initiale de la situation de Ginette, la
conseillère va alors déterminer quels types d’approches pourraient le mieux
l’outiller afin d’accompagner la cliente sur la voie d’un changement
constructif.
Elle retient tout d’abord l’approche
émotivo-rationnelle d’Ellis (1995), car cette dernière mise sur l’examen
d’influences réciproques entre les pensées et les émotions de la personne, de
même que le sens conféré aux événements qui les activent. À cela, elle intègre
également la stratégie de récit de vie de l’approche narrative afin de
faciliter l’expression des pensées automatiques, de croyances erronées ou
encore d’émotions envahissantes de Ginette à l’égard d’elle-même, des autres,
des événements et du monde en général. À partir du matériel discursif présent
dans le récit de Ginette, le processus de
changement proposé par l’approche rationnelle-émotive consiste en l’emploi
de stratégies diverses dont la contestation cognitive des croyances
irrationnelles, des exercices d’imagerie ou bien des prescriptions
comportementales. La conseillère choisit quant à elle d’inviter Ginette à la
lecture d’une livre d’auto-développement
d’ici leur prochaine rencontre afin de pouvoir échanger à ce moment des
perceptions, des émotions ou des réactions l’ayant habité.
Dès la deuxième rencontre, la conseillère
entreprend la phase de mapping où elles chercheront ensemble à faciliter
l’expression des pensées et des émotions de Ginette à la suite de sa lecture,
afin d’établir des liens possibles avec sa situation problématiques et enfin,
dégager les influences les plus manifestes. Ensuite, elles vont tenter de
dégager des résultats uniques, c’est-à-dire
des moments d’exception où Ginette n’est pas sous l’emprise de ces influences,
mais plutôt apte à faire appel à des ressources, à son pouvoir de création de
sens, pour contredire son histoire
dominante. À partir de ce moment, un travail de reconceptualisation est
entrepris par la conseillère. À cet effet, le restorying, ou la réécriture permettra à Ginette d’entrevoir comment
elle pourrait réécrire son histoire en prenant appui sur son pouvoir créateur
de (nouveau) sens à partir d’une multiplication de résultats uniques,
d’exceptions, le tout dans un but de mobilisation des ressources. Par la suite,
la conseillère va chercher à amener d’autres stratégies émotivo-rationnelles et
narratives permettant à Ginette de poursuivre la réécriture d’une histoire
composée de résultats uniques favorables au changement, puis de plus en plus distants
des conditions initiales d’envahissement qui sont de nature émotive et
rationnelle. À certains moments où Ginette retombera dans son histoire
dominante initiale, la conseillère veillera alors à l’amener à pouvoir
identifier et contester par elle-même ses croyances irrationnelles.
Conclusion
Le but de la thérapie émotive relationnelle est de
remplacer les croyances erronées du client et en arriver à de nouvelles
croyances fondamentales ce qui est un très grand changement. C’est évident que
cela n’est pas possible d’être réalisé par l’application ponctuelle de telles
techniques dans l’approche narrative, mais selon les auteurs cela n’est pas
toujours nécessaire, et ce, du point de vue du client ainsi que du conseiller.
Cela signifie que l’approche narrative utilise la thérapie
émotivo-relationnelle mais pour atteindre des buts différents. Ce qui distingue
donc l’approche narrative des autres modèles, c’est le fait que les autres
tendent de maintenir une certaine exclusivité théorique et se présentent comme
mutuellement exclusives. Mais les approches postmodernistes ne prétendent pas
de posséder la vérité concernant les causes du problème et le changement donc
elles sont capables d’intégrer des théories compétitives de counseling à
l’intérieur de leur processus de
changement. C’est à souligner qu’on se concentre sur le processus de changement et non pas sur
le changement du contenu formel (ce
qui est initialement amené comme matériel). L’approche présentée dans cet
article offre au conseiller la possibilité d’utiliser beaucoup de théories et
techniques qui autrement n'auraient pas été considérés dans un modèle narratif.
En plus, l’approche narrative guide le processus de changement.
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