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L’approche systémique en santé mentale
Recension d’ouvrage réalisée par :
Compte-rendu commenté de l’ouvrage
L’approche systémique en santé mentale
Landry Balas, L. (2008). L’approche systémique en santé mentale. 2e édition, Paramètres, Les Presses de l’Université de Montréal.
ISBN : 9782760621299
Geneviève
Katia Bergeron, étudiant à
la maîtrise en carriérologie, UQÀM
Sous la direction de :
Louis Cournoyer, Ph.D.,
c.o.
Professeur (counseling de carrière
Université du Québec à Montréal
Et si nous, les conseillers, faisions
partie du problème…?
L’orientation,
étymologiquement, désigne la direction de l’Orient, en d’autres termes, du
soleil levant, par rapport à une position dans l’espace. Par extension,
l’orientation désigne toujours la position d’un objet, ou d’un sujet, par
rapport à un autre objet. Qu’elle soit politique, sexuelle ou professionnelle,
l’orientation se dessine alors dans un espace, social dans le cas de ces
exemples, mais qui pourrait être physique dans le cas de l’orientation
géographique. Cet espace social, où l’orientation professionnelle et les
problèmes s’y rattachant s’inscrivent, constitue alors un contexte. Le
conseiller en développement de carrière ou en orientation sera donc toujours en
train d’intervenir, sur et dans, un contexte, puisqu’il fera partie du problème
dès lors que son client entrera dans son bureau… et nous espérons de la
solution, lorsque le client en sortira! Adopter cette vision résolument
systémique et reconnaître l’interaction comme fondement à la base de tout ce
qui vit permettra au conseiller de susciter un mouvement ou une mise en action
chez son client. L’approche systémique, peu importe le domaine auquel on
l’applique, se distingue des pratiques traditionnelles occidentales car, à
l’encontre du modèle cartésien, elle cherchera à replacer les individus dans
les systèmes complexes auxquels ils appartiennent. Pour les systémiciens,
« on ne pourra pas aider quelqu’un
si l’on ignore son milieu de vie, ou si l’on ne soucie pas de la façon dont la
relation d’aide modifie ce milieu »
[1] L’intervenant
qui adopte l’approche systémique cherche donc à co-construire des solutions
avec ses clients, à l’intérieur d’une relation égalitaire, d’une interaction
qu’il perçoit comme un système en soi.
Il peut utiliser plusieurs techniques, mais c’est surtout sa conception
de la relation d’aide, des acteurs de cette dernière et des concepts qui la
construisent qu’elle se distingue des autres approches. Le texte qui suit
traite du livre L’approche systémique en
santé mentale, un recueil de textes publié par les Presses de l’Université
de Montréal.
Gregory Bateson et Paul Watzlawick, deux
systèmes humains marquants!
Gregory Bateson,
chercheur « de tous les domaines », a été le maître à penser de toute une
génération de chercheurs et a ouvert la voie à la pensée orientale dans la
pensée occidentale. Il commença par l’étude de l’anthropologie dès la fin des
années 1920, il enseigna par la suite différentes discipline dans différentes
universités. Bateson s’intéressa à la santé mentale dans les années 1950. Son
parcours est impressionnant, quasiment vertigineux : anthropologie,
ethnologie, biologie, psychiatrie, épistémologie, évolution, théorie du jeu,
communication chez les mammifères, pathologie des relations, évolution,
systèmes et paradoxes logiques, Bateson a introduit les notions de la
cybernétique et peut être considéré comme à l’origine de l’École de Palo Alto.
Il a tenté de construire une description cybernétique et systémique du vivant à
travers les différentes disciplines à lesquelles il s’est intéressé. La
thérapie familiale s’est largement inspirée des travaux de Bateson. Paul
Watzlawick a été professeur à l’Université de Stanford et thérapeute au Mental
Research Institute. Il a été une des figures majeures du courant
constructiviste et a su présenter les fondements de la théorie de la
communication de manière plus accessible que ne l’avait fait Bateson.
Watzlawick est donc celui à qui l’on se réfère naturellement, parfois sans
savoir qu’il a, à la base, synthétisé les propos de Bateson pour ensuite
approfondir ses recherches et créer de nouvelles connaissances sur l’approche
systémique. Ces deux personnages sont les figures clés de l’ouvrage résumé dans
les pages suivantes.
L’approche systémique en santé mentale
compte 232 pages réparties en 9 chapitres. Chacun de ces chapitres est écrit
par des professionnels de la santé mentale aux expertises différentes - psychologues, psychiatres, intervenants
sociaux - qui ont tous en commun une longue expérience de l’approche
systémique. Les contenus des chapitres sont donc différents et reflètent des
intérêts propres à chaque auteur.
Le premier
chapitre s’intitule Historique de la systémique en santé mentale et trace un survol
détaillé et exhaustif de l’apparition de l’approche systémique, de son
évolution et de ses applications dans le domaine de la santé mentale. Fruit
d’un important travail de recherche effectué par Christian Côté, ce chapitre
situe l’apparition de l’approche systémique entre 1920 et 1960. Selon Côté,
l’approche systémique a été une forme de réponse aux sciences positivistes qui
appliquaient, et appliquent encore aujourd’hui, un cadre d’analyse qui sépare
le sujet observateur de l’objet observé, ce qui, pour certains scientifiques,
relevait d’une vision réductionniste et inapproprié aux sciences sociales. La théorie des systèmes fut donc élaborée par
un biologiste, Karl Ludwig von Bertalanffy, qui critiquait l’application d’un
cadre d’analyse cartésien aux organismes vivants qui, selon lui, « ne suivent pas les mêmes règles que la
physique [2] ». Il proposa
d’aborder les phénomènes comme « des
systèmes ou des ensembles d’éléments en interrelations entre eux et avec
l’environnement [3]». L’ensemble de ses propositions appliqué au
domaine des sciences humaines, peut se résumer ainsi; 1) un système doit être
compris comme un ensemble; 2) on ne peut comprendre un ensemble en étudiant ses
parties séparément; 3) pour fonctionner, un système humain entretien un niveau
élevé d’échanges d’informations et 4) un système humain peut réfléchir sur
lui-même et ses actions. La théorie des systèmes fut à son tour utilisée par
des groupes de chercheurs qui développèrent la cybernétique, science portant
sur les mécanismes de contrôle d’information que les organismes mettent en
place afin de s’autoréguler. De la cybernétique découlèrent les théories de
l’information et de la communication qui étudièrent les processus d’émission,
de transmission, de réception et de codification des messages ce qui contribua
fortement au développement du paradigme qu’est la systémique. L’auteur explique
comment l’apparition de la systémique fut marquante dans le traitement de
certains de problèmes de santé mentale en proposant à la psychiatrie d’aborder
les systèmes dans lesquels vivent et se développent les patients ainsi que les
relations qui les entourent et les façonnent au lieu de se limiter à l’individu
et sa personnalité. On traite aussi dans cette partie du livre de l’apparition
de la thérapie familiale comme outil d’intervention dans un cadre d’analyse
systémique et de l’influence importante de Gregory Bateson dans le développement
de la systémique. Toujours dans le premier chapitre, l’auteur décrit comment,
entre les années 1960 et 1980, les concepts de la systémique ont été précisés
et des pratiques de plus en plus raffinées, élaborées. Il décrit en détail les
regroupements d’écoles de pensée et d’interventions et aborde comment les
différences culturelles entre les pensées américaines et européennes
contribuèrent au développement de l’approche systémique. La vision américaine,
pragmatique et orientée vers l’action contribua à développer le quoi et le
comment de la systémique tandis que la vision européenne, plus analytique et
axée sur le pourquoi contribua au développement de la conceptualisation de
l’approche. Parallèlement au récit
épistémologique de la systémique, l’auteur aborde la découverte des psychotropes
par les scientifiques positivistes et le
phénomène de la désinstitutionalisation, dans une perspective tout à fait
systémique, des changements qui surviennent à plusieurs niveaux, dans le
traitement des problèmes de santé mentale. Côté constate ensuite qu’entre les
années 1980 et 1993, l’approche systémique en santé mentale fut profondément
transformée par l’avènement de la cybernétique de second ordre qui stipule que
les systèmes vivants changent, quoi qu’ils fassent et quoi que les thérapeutes
fassent, donnant ainsi un fondement théorique à l’intervention systémique;
« les systèmes ont des forces et des
capacités d’adaptation et de développement. [4]» La
cybernétique de second ordre amena avec elle de nouveaux concepts et de
nouvelles pratiques qui sont aussi expliqués dans ce texte. L’auteur termine
son historique de l’approche systémique en santé mentale en abordant les
avancées des deux dernières décennies, et où en sont les travaux, les
recherches et les pratiques dans ce domaine, au Québec principalement. Il
aborde par exemple l’influence de la Fondation
pour l’approche systémique créée par Guy Ausloos et Suzanne Lamarre. Exhaustif et très détaillé, ce chapitre
intéressera les passionnés d’histoire et d’épistémologie, mais pourra perdre
les lecteurs à l’esprit plus synthétique.
Le chapitre
deux, la communication, clé de voûte de tout système, écrit
par Louise Landry Balas, psychologue clinicienne qui a contribué à la diffusion
de la vision systémique depuis de longues années, jette les bases théoriques de
l’ouvrage en présentant les concepts à la base de la théorie de la
communication de Gregory Bateson. Landry Balas reprend et explique les 5
axiomes de la théorie de la communication, tels que présentés par
Watzlawick en 1981. Ces axiomes sont ; 1)
On ne peut pas ne pas communiquer; 2) Il
existe deux modes de communication, soit analogique et numérique 3) Toute
communication comporte deux aspects, soit le contenu et la relation 4) Toute
communication est symétrique ou complémentaire selon qu’elle se fonde sur
l’égalité ou la différence et 5) La nature d’une relation dépend de la
ponctuation des séquences de communication entre les partenaires. Après
avoir présenté les fondements théoriques, l’auteur de ce chapitre élargit le
champ de vision du lecteur en abordant le contexte comme toile de fond des
échanges et l’importance que le contexte prend dans les processus de codage et
de décodage de l’information, processus présents dans tout échange relationnel.
Le concept de rôle, formel ou informel, dans les deux cas toujours réciproque,
est abordé afin d’illustrer comment ces rôles définissent les relations et les
comportements et donc d’une manière incontournable, toute communication. En
complémentarité avec les notions de rôles, la dernière partie du chapitre
aborde les concepts de règles explicites et implicites là aussi, comme éléments
définissant les comportements et les communications. Ce chapitre met donc en
lumière de manière détaillée les éléments qui composent les comportements, et
donc la communication, dans la perspective systémique. C’est à partir de cette
vision que l’auteur du chapitre, propose aux intervenants, d’aborder les
situations relationnelles qu’ils rencontrent dans leur travail. L’intervenant
intéressé par l’approche systémique pourra découvrir dans un langage simple et
accessible les concepts à la base de cette perspective.
Dans le chapitre
3 intitulé rapports de contrôle et de coopération : du protectionnisme au
partenariat, l’auteur qui est pédopsychiatre, Suzanne Lamarre, décrit le
contexte traditionnel des consultations en psychiatrie et identifie que,
lorsque ces consultations sont effectuées pour répondre à la demande de
l’entourage de la personne malade, il existe un risque important pour
l’intervenant qui reçoit la demande, de contribuer à l’établissement de
rapports de victimisation. Ces rapports seraient selon l’auteur, le résultat de
demandes que même la famille n’oserait pas appliquer eux-mêmes, comme « il
faut le traiter pareil, même s’il refuse ». Lamarre affirme que quand un
intervenant en santé mentale accepte de suivre une personne désignée comme
malade par son entourage sans intervenir sur le contexte relationnel,
l’intervenant s’installe, en tant que membre du système, avec son patient et
les siens dans une relation de contrôle où il y a de moins en moins de place
pour le partenariat. Cela pourra mener à ce que chacun puisse imposer sa
volonté à l’autre afin de le protéger et finalement le contrôler par
l’imposition de son traitement ou de ses moyens de contrôle que peuvent être
par exemples, la médication ou l’hospitalisation, ou la honte et la
culpabilité. L’auteur appelle donc ce modèle comportemental systémique protectionnisme. Elle en définit quatre
éléments par lesquels s’installent un processus de victimisation et qui
sont : 1) le duo protecteur / protégé 2) la relation est sujette aux
éclatements 3) la relation en est une de pseudo mutualité 4) les moyens de
maintenir la relation sont des moyens de contrôle. Après avoir identifié que
les moments de crise sont des moments privilégiés pour tenter d’introduire un
changement dans les rapports, Lamarre propose comme alternative aux rapports
protectionnistes, les rapports de partenariat et de coopération qui selon elle,
suscitent des changements majeurs dans les systèmes familiaux, tant aux niveaux
des attitudes que des comportements. L’auteur vise donc l’adhésion par les familles à des valeurs de
non-violence et partage avec le lecteur de l’ouvrage, une liste de choses à
faire et de choses à ne pas faire qui peut être utilisée pour aider les
familles à effectuer cette transformation et ce changement de paradigme. Ces
listes sont composées des comportements de personnes contrôlées et contrôlantes
(à ne plus faire) et des comportements et valeurs des personnes autonomes et
indépendantes (à faire). Lamarre termine son chapitre en invitant le lecteur à
une réflexion sur la place qui est présentement accordée au malade dans les
décisions qui concernent son traitement dans nos institutions. Cette réflexion
nous apparaît pertinente et transférable dans les situations propres au
développement de carrière et d’orientation, en fait, dans toutes situations où
un professionnel en situation « d’autorité » de par son statut
« d’expert » est appel à intervenir.
Le chapitre
quatre, dont le titre est complémentarité des visions cartésienne et
systémique est écrit par une travailleuse sociale
en psychiatrie, membre du corps enseignant à l’université de Montréal et
consultante auprès de CLSC, soit Christine Archambault, et deux collaborateurs.
Ce chapitre considère l’approche systémique comme un complément nécessaire à
l’approche médicale dans le traitement et le suivi en santé mentale. On y
établit donc une distinction entre les deux approches pour expliquer ensuite
comment elles se complètent. La vision cartésienne est décrite comme
l’isolation de variables afin de simplifier les observations et la recherche de
causalités linéaires aux problèmes étudiés. Cette vision est aussi critiquée
principalement à cause de la perte d’information que suscite l’isolation de
variables dans l’étude du monde vivant. Basé sur la vision cartésienne, le
modèle médical, dans un contexte de soins en santé mentale, est présenté comme
utile parce qu’il permet assez rapidement d’arriver à poser un diagnostique et d’établir
en conséquence un plan de traitement pour une personne qui présente des
symptômes aigus. L’apport de la psychopharmacologie et de l’hospitalisation
dans la diminution ou l’élimination de symptômes variés, dont certains
dangereux comme les idéations suicidaires ou violentes, et la nécessité de
certains psychotropes dans le traitement de maladies mentales chroniques sont
reconnues par les auteurs de ce chapitre. C’est en décrivant le principal
critère de réussite du traitement médical, soit la réduction de symptômes, que
les auteurs abordent le fait que le patient sera considéré guérit sans que le
contexte qui aura contribué à l’émergence de ses symptômes n’eût été considéré
ou changé. Cet état de fait pourra contribuer, si le patient retourne dans la
même situation sociale ou relationnelle, à la réapparition des mêmes symptômes
et des mêmes dangers et c’est donc à ce stade-ci que la vision systémique est
introduite par Archambault et al. comme complémentaire. Parce que la vision
systémique s’intéresse à la complexité des situations et prend en compte la
dynamique de la personne dans son environnement, l’intervenant qui l’adopte
explore, avec ouverture aux nombreuses possibilités, en concevant la résolution
de problèmes comme difficilement prévisible. Pour les auteurs, cet intervenant
cherche à connaître les ressources de la personne, il analyse et considère ses
interactions avec son système relationnel afin d’établir un rapport de
coopération et de co-construction pour comprendre sa réalité et participer à
son processus de changement. Il utilisera par exemple le questionnement
circulaire afin d’explorer, avec la personne, comment les problèmes se
construisent et sont reliés entre eux. Il ne considèrera pas le diagnostique
comme une cause unique des symptômes de la personne. Un tableau synthèse des
deux visions fort bien fait est présenté à la page 97 de l’ouvrage permettant ainsi de saisir
rapidement l’essentiel du chapitre. Les auteurs présentent en terminant le cas
de Caroline qui constitue un exemple de collaboration entre des professionnels
de différentes disciplines et qui a permis à une jeune femme affectée par des
problèmes de santé mentale d’acquérir un meilleur équilibre dans sa vie et dans
ses relations. Cet exemple illustre bien la complémentarité dont il est
question dans le chapitre.
Le chapitre cinq
intitulé L’intuition, incomparable source d’information, est présenté
par Louise Landry Balas, psychologue clinicienne qui a contribué à la diffusion
de la vision systémique depuis de longues années. À travers une anecdote
personnelle portant sur sa rencontre avec une figure de proue de l’École de
Milan, un des lieux cultes du développement de l’approche systémique en Europe,
Landry aborde le droit à l’erreur comme étant tributaire d’apprentissages
riches pour les thérapeutes. Elle affirme que les formations théoriques, bien
que nécessaires et pertinentes, ne préparent pas suffisamment bien pour
l’action à laquelle les thérapeutes doivent se préparer, soit, interagir avec
des personnes qui souffrent. Pour l’auteur, les deux formes d’apprentissage que
sont le processus « d’essai et d’erreur » et celui de l’assimilation
de connaissances existantes devraient idéalement se compléter tout au long de
la vie et de cette complémentarité viendrait une capacité accrue de réfléchir,
découvrir, créer et se faire confiance.
Elle définit ensuite l’intuition comme une façon différente de savoir et
de comprendre qui s’appuie sur l’ensemble des apprentissages effectués dans une
vie et qui représente le meilleur guide quand vient le temps d’interagir avec
les personnes. La définition que nous propose donc Landry de l’intuition
implique que cette forme de connaissance est immédiate et globale en plus
d’être pertinente en intervention. Elle affirme que l’intuition est une
précieuse alliée pour les thérapeutes et les intervenants car c’est elle qui
leur permet de saisir globalement une situation complexe, sans en comprendre
tous les éléments qui la constituent. L’auteur illustre avec une étude de cas
tiré de son expérience professionnelle, comment, grâce à son intuition, elle a
aidé une famille à se créer de nouvelles règles et à collaborer afin
d’apprendre à reconnaître un problème, à en discuter, à trouver et à appliquer
des solutions. Landry termine ce
chapitre en affirmant que l’intuition peut être utile en intervention de
plusieurs façons mais souligne l’importance particulière qu’elle prend dans
l’émergence de la créativité, par exemple, dans la construction de métaphores
qui s’avèrent des interventions efficaces pour recadrer une situation ou
illustrer un propos. En jetant un regard très personnel sur la conception de
l’intervention de l’auteur, ce chapitre peut être considéré comme anecdotique
par certains.
Le chapitre six,
Les
techniques de base en approche familiale systémique : questionnement
circulaire, recadrage et prescription de tâches écrit par Jean Paratte,
psychiatre systémicien et gestionnaire d’unité psychiatrique, présente et
décrit les interventions qui sont à la base de l’évolution du processus en thérapie
systémique. Selon Paratte, cette dernière évolue en trois temps, soit celui de
l’évaluation, celui de l’introduction du doute et celui du changement
comportemental. Le questionnement circulaire et les recadrages serviront à
introduire des doutes chez les clients tandis que les prescriptions de tâches
seront utilisées afin de changer des
comportements. L’approche systémique utilise la méthode du questionnement
socratique, qui consiste à privilégier les questions plutôt qu’à affirmer des
choses. Cela permet d’obtenir des informations et d’aborder les problèmes
autrement en plus d’impliquer les interlocuteurs. Les questions types,
inspirées des cognitivistes, sont : 1)
Est-ce bien vrai? 2) Quelles sont les conséquences du problème? 2) Peut-on voir
cela autrement? 4) Sur quoi vous basez-vous pour dire une telle chose?
L’approche systémique va au-delà même des questions types en appliquant la
méthode socratique aux relations interpersonnelles. Le questionnement
systémique permet d’élargir la vision des problèmes en portant attention aux
interactions et au contexte d’apparition des troubles autant qu’aux troubles
eux-mêmes. Selon Paratte, l’intervenant qui l’utilise cherche à voir interagir
entre eux les clients et à voir leur problème autrement afin de proposer un
modèle thérapeutique qui modifiera leur vision à eux. Après avoir poser des
questions linéaire comme « Depuis
quand êtes-vous malade? » , le systémicien voudra rapidement mettre en
place un processus de « circularisation
» qui vise trois objectifs; la participation et la mise en relation des
personnes concernées, la recherche d’informations pertinentes pour le
groupe-système et la sensibilisation au modèle systémique. L’auteur explique
que le questionnement circulaire consiste à « faire décrire par un participant le comportement d’un tiers, en termes
de différences et de changements »[5] et en présente les
principes ainsi que les différentes formes de techniques. Sont abordées dans ce
chapitre les questions portant sur les différences et les questions portant sur
le changement. Le recadrage est expliqué par Paratte comme étant « un commentaire qui modifie l’angle sous
lequel on voit une situation[6] ». Il
présente ensuite les règles pour rendre cette forme d’intervention efficace
ainsi que la différence entre recadrage simple et recadrage complexe. L’auteur termine son chapitre en décrivant la
prescription de tâches, ses principaux objectifs, les règles qui en assurent
l’efficacité ainsi que les différentes formes de tâches. On retrouve aussi dans
ce chapitre, quelques exemples tirés de l’expérience de psychiatre de Paratte
servent à illustrer plus concrètement comment appliquer ces techniques. Très
concret et axé sur la pratique, ce chapitre suggère plusieurs techniques
d’intervention qui peuvent être empruntées par le lecteur intervenant.
Le chapitre
sept, soit celui concernant la psychothérapie orientée vers les
solutions est écrit par Josée Lamarre, psychologue clinicienne et
formatrice en psychothérapie. Elle aborde son chapitre par le récit de réflexions
et d’expériences qui l’ont mené à adopter une vision et une pratique
systémique. La thérapie brève orientée vers les solutions (TBOVS) est vue comme
une approche qui cherche à élaborer des solutions avec le client dans une
relation égalitaire où le thérapeute doit porter attention dans la conversation
aux objectifs que le client et lui poursuivent et aux ressources disponibles
chez le client et dans le milieu pour surmonter les difficultés. L’auteur
différencie la psychothérapie brève
orientée vers les solutions (TBOS) de la thérapie brève stratégique et aborde
les cadres d’analyse de l’approche systémique et de l’approche constructiviste
afin de situer la TBOVS. La théorie systémique a effectivement constitué un
apport au champ de la psychothérapie en prenant en considération les aspects
interactionnels plutôt que les seuls aspects intrapsychiques. Dans ce sens, la
TBVOS emprunte à ce cadre en se penchant sur la recherche des moments où le
client se sent mieux, où les problèmes sont absents, au lieu de tenter
d’établir le pattern du problème du
client ou encore ses lacunes. Ces moments sont appelés les moments d’exceptions
et constituent des éléments que le thérapeute cherchera à mettre en lumière
afin de susciter espoir et mise en mouvement chez le client. L’approche
constructiviste pour sa part, en affirmant que toute réalité est subjective,
donne une base épistémologique à la TBOVS. Puisqu’il n’existe pas de réalité
objective, la perception d’une réalité (d’un problème) peut être considérée
comme un problème en soi et selon Lamarre, on peut constater que plusieurs
problèmes humains sont liés à la croyance des individus selon laquelle il
n’existe qu’une seule réalité et que seule leur vision de cette réalité est
bonne, plaçant tous les autres individus dans la catégorie des fous ou des
méchants. À partir de ce constat, l’auteur affirme que le rôle du thérapeute
est de co-construire des réalités autres avec le client à l’aide de la parole
et du langage, le recadrage étant ici vu comme un outil permettant une vision
nouvelle d’une situation difficile vécue par le client. Lamarre propose
différentes techniques d’interventions tout au long du chapitre et illustre ses
propos à l’aide de la présentation du cas de Marianne. Elle propose d’envisager
la relation client-thérapeute sous trois angles différents, des pistes
d’interventions pour chacune de ces relations client-thérapeute. Ce chapitre
illustre bien la polyvalence de la TBOVS et ses nombreuses applications
cliniques.
Le chapitre
huit, l’approche narrative : la narration au cœur des systèmes humains
est écrit par André Grégoire, psychologue clinicien, co-fondateur et formateur
au Centre de psychothérapie stratégique. Ce chapitre débute sur une histoire
portant sur deux survivants d’une catastrophe planétaire qui établiraient entre
eux une convention nouvelle pour désigner les réalités qui les entourent, tout
en sachant qu’ils ont eux-mêmes établit cette convention et qu’ils peuvent la
changer. L’analogie reprise par l’auteur, en vient à expliquer comment les
descendants des deux survivants originaux, quelques générations plus tard,
auraient perdu de vue le fait que ce qu’ils utilisent pour décrire la réalité,
soit le récit qu’ils en font, n’est pas la réalité. Cette histoire permet
d’illustrer et d’aborder la construction sociale de la réalité que dans
lesquelles s’installent les communications quotidiennes et de jeter les bases
de l’approche narrative. Grégoire explique que nous utilisons des mots pour
décrire et s’approcher des réalités qui nous entourent. Comme nous avons
développé et continuons de développer un répertoire de mots que nous organisons
ensuite en des phrases générant ainsi des milliers de possibilités pour
exprimer une réalité. Dans l’approche narrative, le fait de raconter une
histoire la rend plus réelle aux yeux du conteur, qu’il la raconte à voix haute
ou intérieurement; « une narration a
comme effet de construire la réalité qu’elle nomme [7] ». Cette approche reconnaît et
propose donc d’utiliser l’impact potentiel des mots sur l’esprit humain en
concevant le rôle du thérapeute comme un co-scénariste qui peut influencer les
narrations que la personne construira dans sa relation avec lui, puisque la
parole est vue ici comme un acte social, le parlant comme un être social.
L’auteur appelle « alter-narration » cette autre version de
l’histoire que l’intervenant tentera de faire émerger à travers la narration
initiale du client, qui se présentera pour parler d’un problème, il va s’en
dire. Grégoire présente quelques objectifs que l’approche narrative visera,
comme l’extériorisation du problème, souvent présentée par les personnes comme
inhérent à leur identité, par exemple quand quelqu’un dit « je suis
alcoolique ». La recherche de voies d’ouverture vers d’autres histoires
possibles sera aussi un moyen pour l’intervenant de travailler avec la personne
qui le consulte. L’approche narrative privilégiera le mode d’intervention par
questionnement afin de laisser le plus d’espace à la personne dans la
construction de sa réponse. Grégoire
n’omet pas dans son chapitre, de situer l’approche narrative dans la
perspective systémique, puisque finalement, toute narration est le reflet
d’innombrables interactions qui ont façonné la vie de la personne qui raconte.
Présenté dans un style narratif captant l’attention, ce chapitre propose des
pistes d’interventions concrètes qui pourront s’avérer utilisables rapidement
pour les lecteurs intervenants.
Le chapitre neuf
s’intitule la systémique dans l’organisation : un modèle pour l’avenir ?
Son auteur, Diane Beauséjour, travailleuse sociale clinicienne et docteur en
communication a été gestionnaire dans le réseau de la santé. Elle utilise
l’approche systémique auprès des organisations autant que des familles et
individus et relate dans ce chapitre le passage d’une culture bureaucratique
d’un centre d’accueil à une culture organisationnelle systémique. Beauséjour
affirme que les structures organisationnelles conventionnelles de nos
établissements de santé sont basées sur un modèle taylorien où l’organisation
du travail se fait selon une méthode de distribution stricte des tâches, de
spécialisations des sous-systèmes d’opération et de la division hiérarchique
entre exécutant et gestionnaire. Beauséjour affirme que cette forme
d’organisation et déshumanisante dans un contexte de services de soins car les
intervenants ont besoin d’une autonomie décisionnelle dans leurs relations et
interactions avec les individus qui reçoivent les soins. Afin de diminuer la
distance entre les gens qui pensent les services et ceux qui les dispensent, et
donc de rétablir une relation entre ces personnes, l’auteur propose de
co-construire des relations de partenariat et de coopération au lieu des
rapports de contrôle et de méfiance qui existent. Beauséjour définit la
coopération comme la prise en commun des décisions et la collaboration comme la
répartition logique et consentie des rôles, des tâches et des responsabilités.
L’auteur présente une expérience de changement organisationnel qui a eu lieu
dans un CHSLD et qui a été guidée par des concepts systémiques, soit
l’organisation par l’information plus que par le contrôle, la récursivité dans
les rapports humains, l’implication des personnes concernées par un problème
dans la recherche de solutions et la participation à l’établissement de règles
et aux prises de décisions. Beauséjour aborde ensuite les changements engendrés
par l’organisation systémique du travail sous différents angles, soit dans la
structure, chez les résidants et chez les cadres. On peut trouver un tableau
comparatif fort bien fait qui synthétise les deux modèles organisationnels à la
page 216. Ce chapitre interpellera en premier lieu les intervenants qui ont un
intérêt pour la gestion ou qui occupe des fonctions de cadre. Toutefois, sa
présentation claire et succincte permettra aussi à l’intervenant qui travaille
« sur le plancher » de conceptualiser certaines réalités
organisationnelles et peut-être proposer des changements dans son milieu.
Pertinence pratique
L’approche
systémique en santé mentale est un ouvrage aux contenus variés. En plus
d’exposer les fondements théoriques de cette approche, ce livre trace un survol
historique de l’émergence puis de l’évolution de la systémique dans le domaine
de la santé mentale. Aussi, il permet au lecteur d’avoir accès à des exemples provenant de la
pratique de professionnels variés, propose plusieurs techniques d’intervention
et favorise la réflexion grâce aux chapitres qui abordent des concepts tels que
l’intuition, les rapports de contrôle et le partenariat-coopération en passant par
les modes de gestion. Les professionnels de l’orientation et du développement
de carrière qui voudraient s’inscrire dans l’approche systémique auraient, en
plus de respecter les principes à la base de la systémique, à raffiner leur
réflexion et position afin d’identifier laquelle parmi les nombreuses
possibilités qui s’offrent à eux et qui se situent toutes dans une perspective
systémique. L’intervenant en développement de carrière ou en orientation
intéressé par l’approche systémique souhaitera-t-il utiliser l’approche brève
stratégique ou l’approche brève centrée sur les solutions ou encore l’approche
narrative et des histoires de vie ou encore? Adoptera-t-il le groupe comme
canevas de travail pour ses interventions auprès de clients? Choisira-t-il plutôt
d’influencer les processus de gestion d’organisation, comme la sélection de
personnel, dans une perspective systémique ? Voudra-t-il au contraire, suite à
une adhésion à ce cadre d’analyse, intervenir au niveau des structures
économiques afin de permettre le développement des carrières des individus qui
y évoluent? Suite à la lecture de cet ouvrage, l’intervenant en développement
de carrière qui choisira de s’inscrire dans l’approche systémique concevra que,
pour comprendre la demande d’aide de son client, il lui faut prendre en
considération le contexte dans lequel la difficulté de son client émerge et le
contexte dans lequel le conseiller lui-même évolue. Il choisira d’intervenir à l’intérieur d’une
relation égalitaire où l’interaction de la personne avec son milieu sera prise
en considération, parfois même plus que ses propres caractéristiques
personnelles…! Il ne s’intéressera peut-être pas aux émotions comme telles, qui
sont finalement, de l’ordre du contenu, mais aux règles internes de son client
qui font en sorte par exemple, que ce dernier éprouve des émotions difficiles à
l’idée de ne pas savoir quel programme choisir à une date fixe. Il pourra alors
privilégier des questionnements socratiques afin d’aider ce client à recadrer
sa perception de la nécessité de faire le
bon choix avant le 1er mars. Le systémicien du développement
de carrière pourrait envisager d’intervenir sur les problèmes d’épuisement
professionnel en tant que consultant, à l’intérieur du contexte organisationnel
qui les a vus émerger, là où se rencontrent les employés qui sont devenus
malades et les milieux de travail qui les ont accueillis durant le
développement de la maladie. Ce même intervenant pourrait utiliser l’approche
narrative afin d’aider de jeunes adultes peu scolarisés à
« ré-encoder » une partie de leur parcours scolaire, souvent
difficile, et ainsi les aider à envisager d’autres possibilités que des métiers
peu spécialisés et des emplois précaires. Les applications de l’approche
systémique au domaine du développement de carrière et de l’orientation peuvent
être nombreuses et diversifiées. Un des apports important aux sciences humaines
de l’approche systémique est que cette dernière fournit une perspective
alternative sur les problématiques sociales qui permet de saisir la réalité
d’une manière plus globale que ne le fait le positivisme Cette approche laisse
aussi beaucoup d’espace aux clients et tente d’éviter de confondre les
problèmes avec les personnes qui les vivent. Cette perspective qui invite les
observateurs-acteurs à ne pas perdre de vue que leur point de vue en vaut un
autre, puisque toute réalité est subjective, amène ainsi l’auteur de ces lignes
à laisser aux lecteurs de ces mêmes lignes le loisir d’interpréter à leur
guise…
[1]Louise Landry Balas, L’approche systémique en santé mentale,
Paramètres, 2e édition, Les Presses de l’Université Laval, 234 p.,
couverture arrière.
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