lundi 3 décembre 2012

L’approche Masterson en counseling de carrière …


L’approche Masterson en counseling de carrière …

 

Jean-François Maltais, c.o.

 
Au sein du courant psychodynamique, une approche se révèle de plus en plus présente en matière de formation initiale et continue chez les professionnelles et les professionnels de la relation d’aide, soit l’Approche Masterson. L’auteur de cette approche, le docteur James F. Masterson, a créé une approche qui, à l’intérieur d’une psychologie du soi, intègre plusieurs théories différentes : la théorie de l’attachement, la théorie développementale, la théorie des relations d’objets précoces et les nouvelles avancées sur la neurobiologie du cerveau. Inspiré des concepts fondamentaux de la théorie freudienne des pulsions : transfert, compulsion de répétition, résistance, conflit psychique, existence de l'inconscient et perlaboration, l'Approche Masterson est une approche psychothérapeutique des troubles de personnalité qui oriente son accent thérapeutique sur la période préoedipienne (avant l’âge de trois ans), plutôt que sur le conflit oedipien lui-même (Orcutt, 1997). L’approche s’inscrit dans les courants de la psychologie du Soi (Kohut 1971; 1977) et de l’école américaine de la théorie des relations objectales (Mahler, 1968;  Kernberg, 1967). Elle intègre les recherches touchant la théorie de l’attachement (Bowlby, 1969; Ainsworth et coll., 1978) et le développement psychologique de l’enfant (Mahler, 1968). L’approche utilise aussi les nouvelles avancées dans le domaine de la neurobiologie du développement affectif et social (Schore, 1994).



L’AM découle tout d’abord d’études empiriques menées auprès d'adolescents état limite internés dans un hôpital de New York (Masterson, 1967, 1972, 1980), ainsi que d’intervention auprès de centaines d'adolescents et d'adultes en consultation et en traitement en pratique privée (Masterson, 1976; 1981). Ces recherches cliniques, combinées aux travaux de Margaret Mahler (1968) sur le développement de l’enfant dans la période préoedipienne emmenèrent Masterson à penser que le trouble de la personnalité état limite était avant tout un problème développemental. S’ajouta ensuite les théories des relations d’objet, afin d’expliquer l’existence d’un lien possible entre l’indisponibilité de la mère et l’arrêt du développement du soi et de la structure intrapsychique. Durant les années 80, le docteur Masterson décida d’élargir la portée de son approche en appliquant celle-ci à la compréhension des troubles de la personnalité narcissique. Il s’intéressa aussi davantage à la théorie du Soi en intégrant celle-ci à son approche et en ajoutant des concepts qu’il utilisait lui-même dans ses thérapies : le vrai Soi ou Soi-Réel et le Soi défensif. De 1988 à aujourd'hui, l’AM s’est enrichie de nouvelles notions importantes, entre autres grâce au travail de Ralph Klein et Candace Orcutt qui ont intégré les travaux de Guntrip et Fairbairn sur les troubles schizoïdes à la théorie de Masterson. Ensuite, les récentes études sur la théorie de l’attachement qui sont venues confirmer l’influence de la mère dans le développement du soi et les nouvelles avancées en recherches neurobiologiques sur le cerveau, qui elles, sont venues ouvrir la porte à la compréhension des connexions neurobiologiques qui sous-tendent le développement du soi.



Masterson (2004), distingue quatre structures de personnalités pathologiques (état limite, narcissique, schizoïde et antisocial) et propose pour chacune de ces structures des stratégies de communication adaptées. Parmi les concepts clés utilisés par Masterson, notons le développement de l’alliance thérapeutique, l’analyse des résistances, des mécanismes de défense et des passages à l’acte qui font obstacle à l’alliance thérapeutique, ainsi que le cycle de l’individu appelé « Triade dynamique du trouble du soi ». Le tableau ci-dessous présente les différentes inspirations théoriques de l’Approche Masterson :

Tableau 2.1
Influences théoriques de l’AM
Théorie de l’attachement de Bowlby (1969)
De l’enfance, puis de façon répétitive tout au long de leur vie, les individus tendent à adapter leurs comportements personnels et interpersonnels en fonction de la satisfaction de besoins instinctifs d’attachement. Entre autres, l’histoire développementale de la personne au plan de la satisfaction ou de la non-satisfaction de ces besoins affectifs pourra témoigner de l’adoption de comportements fondée sur une dynamique de sécurité ou d’insécurité personnelle ressentie selon les individus dans leur vie adulte (Ainsworth et coll., 1978), de même que leur capacité à autoréguler leurs actions personnelles, et ce, dès le l’enfance (Siegel, 1999; Fonagy, 2001). Sroufe et coll. (1999) sont venus corroborer ces faits en démontrant la persistance du style d’attachement de l’enfant dans l’âge adulte et l’implication du style d’attachement du parent dans la détermination de celui de l’enfant. Tout cela amenant le développement d’un faux soi défensif chez l’enfant, résultant de l’accommodation de celui-ci aux besoins émotionnels de son parent et brimant du même coup l’expression de son « soi réel », tel qu’utilisé par Masterson (Orcutt, 1997, p. 74).

Théorie développementale (Mahler, 1968)
À travers le développement d’un enfant normal, il vient un moment où celui-ci doit développer une identité (sens de soi), qui soit séparé de celle de sa mère. Cela se produit à travers le stade de séparation/individuation selon Mahler. Entre autres, la disponibilité ou l’indisponibilité de la mère à répondre au besoin affectif de l’enfant entre 5 et 30 mois aurait une incidence majeure sur le développement d’un soi sain chez celui-ci. L’arrêt du développement normal à la phase de séparation-individuation, provoqué par une réponse parentale insuffisante à soutenir le soi émergent de l’enfant serait à l’origine des troubles de la personnalité. Cet arrêt du développement viendrait limiter les capacités d’autorégulation de l’enfant (Masterson utilise les expressions activation autonomes ou activation du soi réel). Conséquemment, les personnes présentant une faible capacité d’autorégulation se verraient donc porter à l’adolescence et à l’âge adulte à utiliser des mécanismes de défense primitifs tels que le clivage, le déni, la projection et l’évitement, ainsi qu’à utiliser des objets externes pour se réguler (Masterson, 1972).
Théorie des relations d’objet

S’insérant dans le courant américain des relations objectales (Mahler, Kernberg) et le courant britannique (Fairbairn, Guntrip), Masterson (2004, p.24) définit la notion de relation d’objet comme étant les représentations internes qu’ont les individus d’eux-mêmes et des autres. Ces représentations internes sont reliées à des affects parfois négatif, parfois positif et influence la relation que les individus entretiennent avec eux-mêmes et avec les autres. Dans le cas des personnes présentant un trouble de la personnalité, celles-ci auraient seulement des relations d’objet partielles. Conséquemment, elles ont une vision extrême et irréaliste d’elles-mêmes et des autres qu’on pourrait concevoir comme étant tout bon ou tout mauvais et qui fait en sorte que leurs relations d’objet ne sont pas entières.
Théorie du Soi
Stern (1985) dans sa théorie développementale du soi, stipule que l’enfant développe des « sens du soi » qui évoluent à travers ses interactions sociales. Ces interactions sociales sont elles-mêmes régulées et organisées par le filtre subjectif du soi de l’enfant. La transformation psychique des individus se fait donc à travers les interactions sociales qu’ils ont et par leur capacité à s’actualiser par celles-ci (Orkutt, 1997).
Neurobiologie de l’attachement (Schore, 1994; 2003)
Le développement du soi serait grandement influencé par le style d’attachement du parent nourricier, selon qu’il soit sécure ou insécure. Conséquemment, un style d’attachement insécure chez le parent peut entraîner une incapacité de se synchroniser avec les besoins affectifs de l’enfant. L’incapacité à répondre aux besoins affectifs de l’enfant qui ferait en sorte que les connections neuronales nécessaires au développement d’un soi sain ne se ferait pas, ce qui entrainerait le développement d’un trouble de la personnalité ou trouble du soi, tel que décrit par Masterson. De plus, ces traumatismes d’attachement seraient incorporés dans la mémoire autobiographique à long terme, ce qui appuierait l’hypothèse des relations d’objet pathologiques. Notons aussi l’hyperexcitation de la branche sympathique du système nerveux autonome décrite par Schore comme caractéristique des pathologies préoedipiennes du Soi et qui correspondrait à la dépression d’abandon décrite par Masterson (Bessette, 2010).

Ce qu’il faut retenir, c’est que James Masterson s’est inspiré de plusieurs théories provenant de divers horizons, afin de mettre des bases théoriques et cliniques à son approche psychothérapeutique. Tout d’abord influencé par la théorie de l’attachement, d’une théorie développementale et de la théorie des relations objectales, l’AM a évolué et s’est ensuite enrichie des concepts d’une théorie du soi pour expliqué la transformation psychique des individus à travers leurs relations, mais aussi de notions plus modernes en neurobiologie, afin de solidifier ce qu’elle avançait sur l’influence des relations d’attachement sur le développement des enfants. Il apparaît donc que l’AM s’est construite au fur et à mesure d’expériences cliniques, de recherches personnelles par Masterson, mais aussi de collaboration avec d’autres chercheurs. Cette construction de l’AM a aussi donné naissance à plusieurs concepts centraux dont il faut prendre connaissance si on veut bien comprendre l’application pratique de cette approche.



Masterson utilise plusieurs termes, propres à son approche et qui méritent d’être expliqués plus en détail. Dans le but de faciliter la compréhension du lecteur et de faire l’inventaire des concepts importants devant se retrouver dans une formation portant sur cette approche, le tableau ci-dessous rassemble et explique les concepts clés de l’Approche Masterson.

Tableau 2.2
Articulation conceptuelle de l’AM
Triade dynamique du trouble du soi (de la personnalité)

Réfère au cycle où l’individu tente d’activer son « Soi réel » ou activation autonome, ce qui entraine chez lui l’apparition d’affects négatifs appelés « Dépression d’abandon ». Pour s’en protéger, l’individu doit alors mobiliser des mécanismes de défense primitive. Ce cycle permet entre autres à la conseillère ou au conseiller qui l’utilise de former des hypothèses cliniques sur les clients et sur eux-mêmes, dont la validité pourra ensuite être vérifiée à travers les rencontres.
Activation autonome

Tel de décrit par Bessette (2007), l’activation autonome ou activation du Soi réel correspond à « toute situation qui requiert la mobilisation et l’utilisation des capacités d’adaptation et d’autorégulation de l’individu ». L’activation des capacités de l’individu déclenche donc l’émergence des d’affects négatifs que Masterson appelle la «dépression d’abandon ».
Dépression d’abandon
Le terme dépression d’abandon est en fait le terme que Masterson utilise pour décrire les réactions émotionnelles intolérables de l'enfant face à un désajustement d'avec sa mère. Il fait référence au sentiment subjectif qu’éprouve l’individu d’être abandonné ou à une menace ressentie par l’individu concernant sa survie, ainsi que ce qui compose cet état. Lorsque les besoins affectifs de l’enfant ne trouvent pas de réponse appropriée, ou se butent à une réponse hostile de la part des figures d’attachement, l’enfant se trouve laissé à lui-même pour gérer des situations qui le dépassent, et il est envahi à répétition par les affects de dépression, de colère, de peur, de culpabilité de passivité, d’impuissance, de solitude, de vide et de nullité (Masterson, 1976 : 38; 2004; Bessette, 2007).

Mécanismes de défense
Corresponds aux moyens utilisés par n’importe quel individu pour éviter d’avoir à vivre la dépression d’abandon et ses affects ressentis comme intolérables. La réactivation de la dépression d’abandon entraînerait la mobilisation de défenses primitives, efficaces pour ne pas avoir à vivre les affects intolérables, mais destructeurs pour l’adaptation et le fonctionnement psychosocial. Les principaux mécanismes de défense utilisés chez les personnes ayant un trouble de la personnalité sont : le clivage, le déni, la projection, l’identification projective, l’évitement, la fuite dans les fantaisies et le passage à l’acte. Dans la vie de la personne, ces passages à l’acte se traduiraient par des gestes suicidaires et parasuicidaires, de l’abus de substance, des explosions colériques et de la violence verbale ou physique. Tandis que dans le processus thérapeutique, en plus des passages à l’acte, on pourrait les constater par des retards et des absences fréquents, un non-respect du cadre d’intervention, parler de sujet secondaire ou changer continuellement de sujet (Bessette, 2007).

Vrai Soi ou Soi réel
Tel que décrit par Klein (Masterson et Klein, 1989), le « vrai soi » de Masterson représente une personnalité qui s’est développée de façon saine, mais aussi une structure de personnalité saine. Cela se traduit par la capacité à vivre la séparation, la capacité à pouvoir s’attacher, la capacité d’individuation et à faire preuve d’autonomie. On peut aussi penser au fait d’être capable de vivre avec et sans les autres, ainsi qu’être capable d’intégrer ces différentes capacités à travers les structures de sa personnalité. Ce «Vrai Soi», serait ressenti par les individus comme un sentiment de continuité, de stabilité et de réciprocité dans l’expérience à soi, avec et sans les autres. Tandis qu’un individu ayant de la difficulté à exprimer son «Vrai Soi» se plaindra généralement de problèmes reliés à sa capacité à vivre l’intimité, à avoir de l’empathie et à partager. Des difficultés dans l’expression du « Vrai Soi » emmèneraient aussi l’individu à avoir de la difficulté à admettre ou à partager ses pensées, ses sentiments et ses désirs.
Structure intrapsychique
Masterson (2004) définit la structure intrapsychique comme étant le résultat de la somme des expériences en bas âge avec le donneur de soins principal et de nos représentations objectales, ainsi que des affects qui y sont reliés. La structure intrapsychique organise donc la façon dont nous nous percevons en relation avec les autres, ce qui se répercute par la suite dans la vie adulte. Tel qu’expliqué par Bessette (2007), cette structure intrapsychique est pathologique chez les personnes ayant un trouble de la personnalité, faisant en sorte qu’ils vont être clivés dans leurs perceptions. Le côté positif du clivage, correspondant au système d’attachement pathologique de la personne qui focalise sur les besoins de l’objet et le côté négatif du clivage, correspondant à un état d’abandon où les personnes perdent le sentiment d’être connectées à l’objet et aux relations.
Acting-out transférentiel
Par l'acting-out transférentiel, l’enfant tente par ses comportements d'éviter d'avoir à évoquer la désapprobation parentale ou la négligence durant les premières années de son développement. Ce qui devient par la suite chez la personne atteint d’un trouble du soi, une partie intégrante de sa réponse fondamentale aux relations. Le concept d’acting-out transférentiel prend une importance particulière dans la relation thérapeutique, où l’individu, au lieu de présenter une attitude nuancée des relations humaines (distorsion de la réalité, combinée à une vision réaliste et raisonnable), présente plutôt une vision clivée, constituée essentiellement de sentiments et d’émotions distorsionné3s envers le ou la thérapeute. Par exemple, le client pourrait se sentir choqué, désappointé ou à l’écart lorsque le thérapeute n’agit pas comme il le désire (Orkutt, 1997 : 74 ; Masterson, 2004). Lorsqu’une personne fait de l’acting-out transférentiel dans sa vie adulte, elle tente par ce comportement ou compromis psychique d’éviter d’avoir à vivre la dépression d’abandon (Orkutt, 1997 : 74).
Neutralité analytique
Ce concept clé dans l’Approche Masterson est directement lié à l’acting-out transférentiel, car il implique la création par la conseillère ou le conseiller, d’un climat thérapeutique qui donne toute la place au client. L’approche accorde une grande attention à ce que la conseillère ou le conseiller, face aux problèmes du client, n’introduisent pas de matériel personnel, tel que leurs réactions émotionnelles dans la relation. Comme il est inévitable pour un intervenant d’avoir des réactions émotionnelles dans une rencontre, il doit donc éviter de faire lui-même des acting-out contretransférentiels, soit de réagir aux acting-out des clients par un autre « acting-out », ce qui laisserait le patient et l’intervenant pris dans une dynamique malsaine (Masterson, 2004).
Distance thérapeutique
Masterson (2004) considère que le thérapeute doit garder une neutralité avec son client. Cette neutralité n’a toutefois rien à voir avec une attitude froide, détachée ou indifférente de la part du thérapeute, mais elle permet plutôt d’éviter d’être en collusion avec les transferts du client. Et ce, afin qu’il puisse se permettre de relever les comportements défensif, régressif ou autodestructeur de celui-ci (Roberts, tirés de Masterson, 2005).
Cadre thérapeutique
Consiste à l’établissement de règles claires et constantes, sans toutefois être rigides, afin de définir dès le départ la façon de travailler et ce qui est attendu du client. Par exemple, justification des absences, retards fréquents et moment du paiement (Masterson, 2004).
Technique de la confrontation
La technique de la confrontation sert à confronter de façon empathique les défenses mises en place par le client et lui servant à préserver son faux soi. Comme les personnes ayant un trouble de la personnalité ont la plupart du temps des perceptions de la réalité qui sont clivées ou partielles, la technique de la confrontation est utilisée ici pour fournir au client une perception de la réalité qui soit plus juste et plus complète (Masterson, 1998 : 131).
Capacités du Soi réel
Masterson (2004) ; Bessette (2007)
Les capacités du soi réel (capacités d’adaptation) sont :
La régulation de l’humeur et de l’estime de soi ;
La capacité de vivre les émotions profondément, avec vivacité, joie, vigueur, excitation et spontanéité ;
La capacité d’identifier ses intérêts et ses objectifs personnels, de s’activer et de faire preuve d’initiative, de s’affirmer et de se défendre ;
La capacité d’apaiser les affects douloureux (émotions douloureuses), de contrôler ses impulsions et de tolérer la frustration;
La capacité d’engagement face à un objectif ou  à une relation, et de persévérance pour atteindre ses buts malgré les obstacles;
La créativité;
Capacité d’intimité : la capacité d’exprimer qui on est réellement dans une relation intime, sans craindre de façon démesurée d’être abandonné ou d’être englouti;
L’autonomie.

Ces concepts mettent tout d’abord l’emphase sur la compréhension de l’individu au niveau de son ressenti et des comportements et attitudes qui l’accompagnent. Ainsi, l’utilisation de la triade dynamique, les notions de vrai soi ou soi défensif, la notion d’acting-out transférentiel, celle des capacités du soi réel et le concept de structure intrapsychique servent ici d’outils pour la conceptualisation des clients que les conseillères ou les conseillers rencontrent. Les autres concepts tels que la neutralité analytique, la distance thérapeutique, le cadre thérapeutique et la technique de la confrontation représentent davantage des aspects techniques liés à l’utilisation de l’AM. Il est important de retenir que les concepts au cœur de l’AM ont été construits au regard de clientèles présentant des troubles de la personnalité. Il est donc important de bien comprendre l’étiologie de ces troubles selon Masterson, afin de saisir l’origine et l’utilité des concepts proposés pour des clientèles présentant un trouble de personnalité ou présentant des traits de personnalité marqués, nuisant à leur fonctionnement.


Notion de trouble de personnalité, au cœur de l’AM

Selon Masterson (Masterson et Lieberman, 2004), les troubles de la personnalité résulteraient d’un arrêt dans le développement du Soi et d’un syndrome angiodépressif particulier, appelé la « dépression d’abandon » (Bessette, 2007 : 11.04). Ils seraient principalement causés par un problème lors de la phase de séparation-individuation dans l’enfance, où l’enfant introjecte la gratification et le retrait de la mère comme étant les deux seules réponses possibles à ses besoins (clivage) (Poirier, 1997). Les troubles de personnalité pourraient aussi être causés par des facteurs qui n’ont rien à voir avec le développement en bas âge. Par exemple, des facteurs tels que le tempérament, les caractéristiques de l’enfant et les évènements stresseurs du hasard de la vie, peuvent être reliés au développement d’un trouble de la personnalité et sont généralement pris en considération dans l’étiologie du trouble. (Masterson et Klein, 1989, p.11).  L’individu présentant un trouble de la personnalité, tout comme les personnes ne présentant pas de tels troubles, tente de satisfaire ses besoins psychologiques (« activation du Soi réel ») par la mobilisation et l’utilisation de ses capacités d’adaptation et d’autorégulation. Toutefois, au lieu de ressentir des émotions tempérées pouvant être positives et négatives comme la plupart des gens, il ressent plutôt des affects négatifs que Masterson appelle la « dépression d’abandon ». La personne peut alors ressentir des émotions telles que la dépression, la rage, de l’anxiété, de la honte, du désespoir ou un sentiment de vide. Afin de contrer ces sentiments négatifs et ainsi ne pas avoir à les supporter, l’individu développera un faux soi défensif, en mettant en place des mécanismes de défense primitifs tels que le déni, le clivage, la projection, l’identification, la fuite ou l’évitement. La dynamique qui s’exerce entre l’activation des capacités du soi réel de la personne, les affects négatifs qui en résultent et les mécanismes de défense mis en place, est appelé pas Masterson la triade dynamique du trouble du soi et constitue la pierre angulaire de son approche. (Masterson et Klein, 1989; 1995).


Les troubles de la personnalité peuvent être regroupés dans l’Approche Masterson selon quatre grandes catégories : état limite, narcissique, schizoïde et antisocial. Cette dernière serait semble-t-il non-traitable et correspondrait au type psychopathe du DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders). Masterson a aussi ajouté des sous-catégories à celles d’état limite, de narcissique et de schizoïde. L’auteur différencie son approche de celle du DSM-IV (1994), par le fait que ce dernier fournit plus un portrait des comportements et attitudes dysfonctionnelles observables associés aux psychopathologies, tandis que sont approche irait plus en profondeur en analysant la structure intrapsychique des personnes c’est-à-dire des représentations internalisées du soi et de l’objet. Pour Masterson, les critères diagnostiques du DSM-IV constitueraient en quelque sorte des défenses qui sont partagées par tous les troubles de la personnalité et qui se traduiraient différemment selon la structure interne des personnes.


Personnalité limite

Au niveau de la correspondance avec le DSM-IV (2004), on retrouve à l’intérieur de ce type de personnalité de l’Approche Masterson, les types de personnalité histrionique, dépendante, passive agressive et compulsive. Dans la formulation de James Masterson du trouble limite du soi, l’individu tente, par des comportements mésadaptés, d’éviter à tout prix de ressentir la dépression d’abandon. Concrètement, cela se traduit de deux façons dans le processus thérapeutique. Du côté positif du clivage, le client va s’en remettre au thérapeute, de façon à ce que celui-ci lui donne des solutions, le prenne en charge, le réconforte et le rassure dans ce qu’il croit ou ce qu’il fait. Il va donc se soumettre à l’objet (thérapeute). Lorsque le thérapeute ne répond pas positivement à ces demandes de prises en charge, le client se retrouvera du côté négatif du clivage. Le client verra alors le thérapeute comme rejetant et abandonnant et se sentira alors comme étant indigne de recevoir de l’amour ou sans valeur. Le thérapeute devra alors faire attention à ne pas être contaminé par les projections du client et ainsi, éviter de se sentir responsable du client et de le prendre en charge (Bessette, 2007).



Personnalité narcissique

Au niveau de la correspondance avec le DSM-IV, le type narcissique tiré de ce même manuel ne correspond qu’au sous-type exhibitionniste de Masterson. L’auteur a ajouté les types à grandiosité inhibée « closet narcissistic » et dévaluant dans son approche. Dans la personnalité narcissique décrite par Masterson, les représentations du soi et de l’objet sont fusionnées. Lorsque ça se passe bien, la personne voit l’objet comme étant parfait et tout puissant, donc parfaitement capable de répondre au besoin narcissique du Soi : fournir le regard admirateur qui confirme la grandiosité du Soi. Donc lorsque le narcissique obtient ce sentiment d’être supérieur, merveilleux ou spécial, il s’en sert pour réguler son humeur et s’accorder la valeur qu’il mérite. Lorsqu’il ne l’obtient pas, le narcissique aura tendance à voir le thérapeute comme étant dévaluant ou attaquant et à se sentir fragmenté, pas à la hauteur, minable ou dévaluée. Le type exhibitionniste est celui qui correspond en grande partie au type narcissique du DSM-IV, car sa grandiosité est exprimée au maximum afin qu’il puisse se réguler. Toutefois, les clients ayant une grandiosité plus discrète ne semblent pas ressortir si on se fit au critère du DSM-IV. C’est pourquoi Masterson a ajouté deux autres types de narcissiques. Le type narcissique à grandiosité inhibée se distingue, car il utilise davantage l’idéalisation de l’objet pour se réguler, en maintenant ses projections de la fusion grandiose. Il voit alors les autres comme supérieurs, performants, spéciaux ou puissants. Ce maintien de la personne dans le côté positif de son clivage fait en sorte qu’il arrive à ressentir qu’il peut répondre aux besoins et aux attentes des autres et à se sentir adoré. Il évite ainsi d’avoir à vivre la dépression d’abandon et de passer du côté négatif du clivage, où il se sentira inadéquat et fragmenté par rapport à l’objet. Le type dévaluant se distingue quant à lui dans le fait qu’il se situe uniquement du côté négatif du clivage. Il y a deux scénarios possibles du côté négatif du clivage : sois je suis le dévaluant et tu es le minable; sois je suis le minable et tu es le dévaluant. Le type dévaluant  peut donc adopter deux attitudes ou jouer deux rôles dans la relation. D’un côté, s’il prend le rôle du dévaluant, il fera sentir au conseiller qu’il est minable, inférieur et inadéquat. La dévaluation est ici une défense pour le client et lui permet de projeter sur l’autre le rôle du minable. De l’autre côté, quand la dévaluation ne fonctionne plus (la défense de la dévaluation n’est plus assez forte), le client est alors coincé à reprendre le rôle du minable, de l’inadéquat. Il n’arrive plus à « se remonter en écrasant l’autre». Le contre-transfert se répercutera alors chez les intervenants de façon différente que chez le client état limite. Comme le client projette ses idéalisations sur le conseiller, celui-ci peut alors sentir qu’il doit performer de façon exceptionnelle, certains parlent d’un sentiment de marcher sur des œufs dans la relation avec le client.


Personnalité schizoïde

Contrairement aux deux autres structures de personnalité, la structure schizoïde ne croit pas qu’il est possible pour lui de créer de véritables relations avec les autres et ainsi obtenir un apport affectif. Par conséquent, on ne retrouve pas dans cette structure un côté positif dans le clivage, comme dans les deux autres structures de personnalité. La personne schizoïde voit d’un côté du clivage l’objet comme étant le maître qui manipule, qui exploite, qui impose ses volontés et qui ne veut pas entrer en relation. Elle se voit donc comme étant l’esclave qui exécute les désirs du maître, un robot, une victime. Celui-ci trouve alors une forme de sécurité dans la relation maître-esclave, jusqu’à ce que les sentiments associés à cette dynamique soit trop insupportables et que la personne passe de l’autre côté du clivage, appeler pôle exil. La personne schizoïde voit alors l’objet comme sadique, dangereux et abandonnant. La personne se sent alors isolée, étrangère aux humains, aliénée. Le fait de ne pouvoir être ni trop près, ni trop loin de l’objet est appelé le dilemme schizoïde. Tandis que le compromis schizoïde correspond au fait de trouver une distance sécuritaire entre l’objet et le schizoïde. La réponse contre-transférentielle à laquelle il faut faire attention dans l’intervention avec les schizoïdes est de ne pas répondre à la projection de maître faite par le client sur le thérapeute (objet) et de se mettre à diriger le client comme un robot ou un esclave. Ou de l’autre côté du clivage, de se détacher du client et de s’isoler comme lui-même le fait.



Personnalité antisociale

Selon Masterson (2004), les symptômes de la personnalité antisociale dans l’AM demeurent les mêmes que ceux décrient dans le DSM-IV. Toutefois, la façon de faire le diagnostic diffère, car elle est plutôt basée sur la nature détachée des émotions en lien avec les relations d’objet internalisées du client, plutôt qu’être uniquement basé sur les symptômes de celui-ci, comme c’est le cas avec le DSM-IV. La structure de personnalité antisociale ne répondrait toutefois pas aux traitements psychodynamiques en général. En se basant sur une vision intrapsychique des relations d’objet, il n’y aurait, chez les personnes atteintes de ce trouble, aucune connexion affective entre le soi et l’objet. Ces connexions affectives seraient essentielles pour intervenir avec une psychothérapie de type psychodynamique, ce qui explique pourquoi il ne serait pas traitable selon Masterson.


Recension des écrits sur l’AM

L’approche Masterson (Masterson et Klein, 1989; Masterson et Lieberman, 2004) a fait l’objet de plusieurs études tant au niveau théorique, qu’empirique. Suite à une recension des écrits en lien avec cette approche, il appert que l’approche a été utilisée avec diverses problématiques de santé mentale et aussi qu’elle a été utilisée pour aider une multitude de clientèles différentes.

Les premières recherches de Masterson (1967, 1972, 1976; 1980; 1981) furent menées auprès d'adolescents ayant un trouble de personnalité limite d’une clinique psychiatrique de New York et auprès de centaines d’adolescentes et d’adolescents rencontrés en contexte de pratique privée par Masterson lui-même. Ces recherches ont en fait permis de soutenir et de critiquer les principes de base de l’Approche Masterson. D’autres auteurs (Poirier, 1997; Orkutt, 1997) se sont aussi attardés à décrire les modalités de traitement de personnes présentant un diagnostic de troubles état limite à partir des principes de l’approche Masterson en décortiquant les concepts clés reliés à celle-ci. Le docteur Masterson décida ensuite, dans les années 80, d’élargir la portée de son approche en appliquant celle-ci à la compréhension des troubles de la personnalité narcissique. Klein (1993) et Orcutt (1995) ont par la suite intégré les travaux de Guntrip (1969) et Fairbairn (1984) sur les troubles schizoïdes à la théorie de Masterson. Morrison (2008) a quant à lui mené une recherche afin de mieux comprendre les particularités des personnes présentant un trouble de la personnalité limite, combiné à un historique de traumatismes dans l’enfance. L’auteure questionne le fait que pour ce type de trouble de la personnalité particulier, les traitements actuels ne seraient pas adaptés. Elle suggère donc un traitement qui est spécifique à cette problématique, en intégrant des éléments de deux perspectives sur le sujet. Celle de Masterson sur les troubles de la personnalité et celle de Van der Kolk sur le syndrome de stress post-traumatique. L’auteur conclut en suggérant que d’autres études soient menées afin de valider empiriquement ce qu’elles avancent. Roberts (2000), propose quant à lui, une adaptation de l’Approche Masterson pour les traitements de psychothérapie courte durée sur les personnes état limite. L’auteur propose des buts limités au traitement, dus à la contrainte de temps engendré par le processus court-terme. Les buts évoqués étant, l’augmentation du contrôle des défenses nuisibles, l’apprentissage par le client de sa dynamique comportementale et l’augmentation de l’adaptation du patient. Les conclusions de l’étude démontrent que la thérapie court-terme à opéré un changement chez la personne en ce qui à trait à la gestion des défenses nuisibles par une compréhension de sa dynamique et démontrent aussi une augmentation de l’adaptation du patient. En ce sens, l’étude aura aidé à maximiser les bénéfices des traitements pour les clients état limite suivis en thérapie de courte durée. De son coté, Katz (2010) s’est intéressée à mieux comprendre la pertinence d’une telle approche fondée à partir de principes de psychanalyse relationnelle sur le traitement de personnes présentant un trouble état limite où leur thérapeute partage avec eux ce qu’ils pensent de leur situation, ainsi que l’utilisation explicite de l’intersubjectivité est la meilleure façon de travailler en psychanalyse. Pour Katz (2010), la neutralité thérapeutique entre le thérapeute et son client telle que défendue par l’Approche Masterson s’avère une dimension des plus importantes en raison de l’emphase mise sur les capacités du soi réel du client (souvent niées) et la démonstration de sa réticence à accepter ou à agir selon les projections du faux soi défensif de celui-ci.

D’autres recherches sur l’Approche Masterson et traitant des applications possibles de l’approche ont aussi été menées. Mulherin (2001) présente une analyse de cas traitant de l’utilisation de l’Approche Masterson à l’intérieur d’une thérapie par le jeu, pour le traitement d’un enfant possédant un trouble de la personnalité en émergence. L’approche est ici utilisée essentiellement pour son cadre théorique et ses outils servant à diagnostiquer et à traiter l’enfant pendant le jeu. Sachs (2003), dans un article traitant de l’alcoolisme en tant que trouble du soi, a émis l’hypothèse que la propension pour l’alcoolisme pourrait être due à un problème dans la relation d’attachement de l’enfant avec ses parents. L’auteur a donc combiné l’Approche Masterson avec des rencontres d’alcooliques anonymes (AA), afin de comparer cette combinaison avec les rencontres aux AA seules. Sachs mentionne que la combinaison des AA et de l’Approche Masterson apparaît comme étant un traitement de choix. Selon lui les rencontres AA n’étant pas suffisantes à elles seules pour créer un changement dans la structure de la personnalité. Avec ce type de traitement, la personne serait plus en mesure d’identifier ce qui le rend vulnérable et les modes de défenses qu’il utilise pour s’en préserver. Une autre étude est ressortie en lien avec le développement de l’employabilité (Affsprung 1998) et suggère le fait que beaucoup d’étudiants recherchant de l’aide dans les centres de counseling des collèges américains souffriraient du trouble de la personnalité narcissique à grandiosité inhibée de Masterson (closet narcissistic), ce qui nuirait à leur performance à l’école et dans leurs relations interpersonnelles. Affsprung souligne que les pressions induites pour se développer sont très fortes au collège et que cela peut favoriser l’apparition de troubles du soi. Si ces troubles ne sont pas relevés par le conseiller, alors le développement vocationnel et personnel de la personne pourrait être entravé. Bien que cette étude ne concerne pas directement les conseillers en emploi, l’auteur souligne clairement un lien avec l’employabilité et renforce l’idée de cette recherche quant au fait que l’utilisation d’une approche qui s’intéresse davantage au fonctionnement psychologique trouverait son utilité dans un contexte d’employabilité.  


Interventions de l’AM adaptées pour chacun des types de personnalité

Une des particularités de l’Approche Masterson est qu’elle fournit aux intervenants des interventions différentes dépendamment du type de personnalité dominant chez les clients. Le type de personnalité dominant chez une personne apparaît généralement plus évident à la suite de l’application de la triade dynamique des troubles du soi sur l’expérience des clients. Ces interventions adaptées aident ainsi la conseillère ou le conseiller à augmenter l’efficacité de ses interventions et lui permet surtout d’éviter de tomber dans des contre-transferts avec son client. Ces interventions sont décrites dans le tableau qui suit. Notons que le trouble de personnalité antisocial ne fait pas partie de ce tableau, car il serait jugé comme étant non traitable (Masterson, 2004).

Tableau 2.3
Interventions adaptées à chacun des types de personnalité
Types de personnalité
Interventions
État limite de Masterson
Le conseiller, de par ses interventions, doit confronter de façon empathique les défenses clivées du client état limite. L’objectif étant de favoriser la création d’une alliance thérapeutique avec le Soi réel du client.

Angles de confrontation possibles :
projections partielles vs réalité;
comportement défensif vs conséquences destructrices;
l’ampleur d’une réaction émotionnelle négative vs le caractère bénin ou positif d’une situation;
la perception subjective du client vs la réalité.

Positionnement contre-transférentiel :
Le conseiller doit s’efforcer de voir et de s’adresser au Soi réel compétent du client état limite, plutôt qu’au faux Soi défensif de celui-ci.
Narcissique de Masterson
Le conseiller, de par ses interventions, doit mettre l’emphase sur l’interprétation empathique de la vulnérabilité du client narcissique. Il devra donc porter une attention particulière au vécu subjectif interne du client. L’objectif général étant de diminuer les défenses et l’intensité des projections clivées du client.

Exemples de buts visés :
clarifier l’hypersensibilité à la réponse de l’environnement et faire le lien avec l’état affectif du client;
clarifie le passage de l’état grandiose à l’état de fragmentation du client;
clarifie les projections de l’objet, du Soi et des affects;

Positionnement contre-transférentiel :
Le conseiller doit s’efforcer de voir au-delà de la façade égocentrique, agressive et arrogante du client, pour s’adresser au Soi réel du client narcissique.
Schizoïde de Masterson
Le conseiller, de par ses interventions, doit mettre l’emphase sur : l’interprétation du dilemme schizoïde
les anxiétés d’une intrusion du conseiller ou des autres;
les mouvements de retrait du client;
les anxiétés de l’exil et d’un retour au mode possible au mode maître-esclave.
Ainsi que sur : l’interprétation du compromis schizoïde
distance sécuritaire aménagée par le schizoïde comme solution à son dilemme;
partage d’opinion sur la valeur du compromis en lien avec les objectifs du client.

Positionnement contre-transférentiel :
Le conseiller doit s’assurer que le client sache qu’il a droit à sa propre subjectivité et sa propre liberté. Donc de clarifier les projections maître-esclave et la position du thérapeute dans le processus.

Malgré la grande quantité de recherches menées à ce jour sur l’AM, ainsi que malgré les pistes d’intervention psychothérapiques validées au sein de celles-ci, peu d’études semblent s’être attardées à examiner le rôle possible de l’Approche Masterson en contexte de développement de l’employabilité. Suite aux constatations faites jusqu’à présent concernant le rôle des conseillers et conseillères en emploi, de la complexification des problématiques auxquelles ils font face, de la faiblesse de leur formation de baccalauréat quant à la compréhension du fonctionnement psychologique et des approches d’influence psychodynamique, le questionnement suivant s’impose : quels pourraient être les apports possibles pour les conseillères et les conseillers en emploi de se former à l’utilisation de l’Approche Masterson afin d’accroître leurs compétences cliniques au niveau du fonctionnement psychologique?   


Intégration possible de l’AM en développement de carrière

À la lumière des informations présentées, l’utilité de l’approche semble de plus en plus claire quant à l’aide qu’elle peut fournir aux conseillères et aux conseillers pour les aider à mieux comprendre le fonctionnement psychologique de leurs clients. Entre autres, l’utilisation de la triade dynamique du trouble du soi comme outil de travail fournit aux intervenants une sorte de grille d’analyse leur permettant en quelque sorte de cartographier le fonctionnement de leurs clients. Et ce, qu’ils aient ou non un trouble de santé mentale diagnostiqué. Plus spécifiquement, cette façon d’analyser les individus permet aux intervenants, à partir des évènements qui activent les clients, de faire ressortir les affects négatifs reliés à ces événements et par la suite d’identifier les mécanismes de protection nuisibles mis en place par la personne pour se protéger de ces affects. Les événements activateurs dont il est question, représentent ici toutes situations qui requièrent la mobilisation et l’utilisation des capacités d’adaptation et d’autorégulation des clients. Ces capacités faisant partie de la dimension du fonctionnement psychologique. Au niveau du développement de l’employabilité, les événements activateurs de l’autonomie pourrait entre autres se traduire par une transition de vie comme le passage à l’adolescence, un départ du foyer familial, le début d’un nouvel emploi, un événement stressant dans la vie des clients, tels qu’une séparation ou la naissance d’un enfant ou par des problèmes dans la vie de couple.

L’AM offre un cadre théorique décrivant les principes, les concepts et les modalités d’intervention clinique auprès de personnes manifestant entre autres des difficultés d’adaptation au plan du stress et de l’anxiété, sur le plan de l'autonomie, sur le plan de la connaissance de soi (identité), sur le plan des relations interpersonnelles et sur le plan de la régulation émotionnelle. Pour le champ disciplinaire du développement de carrière et de l’employabilité, celle-ci permet un travail approfondi au niveau des résistances, des passages à l’acte, de la mise en place de mécanismes de défense pouvant faire entrave au processus de relation d’aide et de stratégies personnelles d’insertion professionnelle. En suivant la logique de l’Approche Masterson, les clients aux prises avec des difficultés d’adaptation auraient des capacités du Soi réel réduites par rapport aux clients ne présentant pas de telles difficultés. Lorsque ça se passe bien, l’individu est capable d’activer son Soi réel<!--[if !supportFootnotes]-->[2]<!--[endif]-->, c’est-à-dire d’identifier  ses intérêts et ses besoins, de les exprimer dans la réalité et de les défendre lorsqu’ils sont attaqués sans être envahi pas des émotions négatives. L’individu réagit donc de façon adaptée aux situations de la vie qui se présentent à lui. Le Soi réel a deux fonctions, il est le véhicule émotionnel pour l’expression de soi  et il maintient l’estime de soi à travers l’apprentissage et la maîtrise des tâches de la vie. Par contre, lorsque ça se passe moins bien, on dit que les capacités du Soi réel sont réduites. Cela fait surgir des réactions émotionnelles excessives, vécues comme difficilement gérables, engendrant chez l’individu la mise en place d’un Soi défensif<!--[if !supportFootnotes]-->[3]<!--[endif]--> et de mécanismes de défense (mécanismes de protection nuisible). Ces mécanismes de défense sont efficaces pour bloquer  les affects douloureux, mais nuisent souvent à  l’adaptation de la personne. Au niveau du questionnaire de recherche, l’emphase a davantage été mise sur les capacités réduites du soi réel, qui se traduisent dans la vie des individus par des difficultés d’adaptation. Les questions ont donc été posées en termes de difficultés d’adaptation plutôt qu’en termes de capacités d’adaptation. Les capacités d’autorégulation et d’adaptation sont à la base de l’identité et de l’autonomie (Bessette, 2010) et s’insèrent à l’intérieur de la dimension du fonctionnement psychologique décrit précédemment et qui compose les individus avec les dimensions des ressources personnelles et des conditions du milieu.
           
Même si le secteur du développement de l’employabilité fournit des services quotidiens auprès des différentes clientèles présentées plus haut, tels que la clientèle étudiante, les clients aux prises avec des problèmes d’alcoolisme, d’autres souffrant de stress post-traumatique ainsi qu’auprès d’une population pouvant présenter des symptômes de santé mentale divers, peu d’études semblent s’être intéressées directement à l’utilisation de l’Approche Masterson dans le contexte du développement de l’employabilité. Néanmoins, Bessette (2007) mentionne des utilisations de l’approche avec lesquelles il est aisé de faire des parallèles avec le domaine de l’employabilité. Elle mentionne que bien que l’Approche Masterson a été développé principalement pour les traitements de psychothérapie à moyen et long terme, celle-ci éclaire et enrichit les types d’interventions à l’intérieur de processus court-terme dans des contextes non psychothérapeutiques, en emmenant aux intervenants une compréhension du monde intérieur et de la dynamique relationnelle propre à chacune des structures de personnalité. L’auteure nous informe entre autres que l’Approche Masterson pourrait être utile dans certains contextes, tels que l’éducation en diététique pour les personnes diabétiques, le maintien à domicile et les groupes d’entrainement aux habiletés parentales. Elle pourrait aussi être utile pour contourner les difficultés relationnelles et contrer les comportements faisant obstacles aux interventions ne visant pas spécifiquement le trouble de la personnalité. Malgré que le domaine de l’employabilité n’y soit pas mentionné, on comprend aisément que l’Approche Masterson pourrait sûrement être utilisée dans le domaine non psychothérapeutique du développement de l’employabilité et y être d’une grande utilité. En particulier concernant tout ce qui concerne les difficultés relationnelles et les comportements faisant obstacles aux interventions, qui sont souvent présents dans le contexte des interventions en employabilité. Bessette précise de plus pour appuyer ces dires, que lorsqu’un individu présentant un trouble de la personnalité utilise un mécanisme de défense tel que le passage à l’acte à l’intérieur d’une relation d’aide, il est facile de s’en apercevoir dans la relation. Par exemple, cela pourrait se manifester sous forme de retards et d’absences fréquentes du client aux rencontres, par une attitude passive et impuissante face au processus, par le non-respect du cadre d’intervention, par des demandes irréalistes dépassant le cadre de l’intervention, par la dévaluation ou l’idéalisation de la conseillère ou du conseiller ou encore lorsqu’un client ne cesse de parler de sujets secondaires pendant les rencontres. L’auteur mentionne que c’est par ces types de comportements que le client exprime ses affects. Or, ce genre de comportements est assez fréquent et peut s’observer aisément dans un contexte de relation d’aide en développement de l’employabilité. Il n’est pas exclusif au seul monde de la psychothérapie. Cela pourrait donc s’avérer fort utile en contexte de développement de l’employabilité.

À la lumière de ces informations, plusieurs interrogations apparaissent : est-ce que les conseillers en emploi sont suffisamment outillés pour travailler avec des gens présentant ces problématiques? Sont-ils suffisamment outillés pour arriver à modifier leurs interventions de façon à rejoindre ces clients dans leur dynamique personnelle? S’ils ne sont pas suffisamment outillés pour déceler ces problématiques, comment pourront-ils référer ces clients vers des ressources mieux adaptées à leur situation?
<!--[if !supportFootnotes]-->

<!--[endif]-->
<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> Maltais, Jean-François (2012). L’impact d’une formation axée sur la compréhension du fonctionnement psychologique (Approche Masterson) sur les pratiques de conseillères en développement de l’employabilité au sein d’organismes du Montréal métropolitain. Rapport d’activité dirigée présenté à la faculté d’éducation en vue de l’obtention de la maîtrise en orientation profil : carriérologie. Document disponible en ligne : http://orientationpourtous.blogspot.ca/2012/04/bonjour-vous-voici-une-premiere-mise-en.html

<!--[if !supportFootnotes]-->[2]<!--[endif]--> Le terme « soi réel » fait référence à un Soi sain et en santé, composé principalement d’aspects conscients de la réalité et, dans une moindre mesure, d’aspects inconscients et de l’ordre de l’imaginaire.  (Masterson et Lieberman, 2004)
<!--[if !supportFootnotes]-->[3]<!--[endif]--> Contrairement au Soi réel, le Soi défensif maintien l’estime de soi non pas par des efforts pour maîtriser la réalité, mais en se défendant contre des affects douloureux.  Le Soi défensif fait référence à une façon d’être, de se percevoir et de percevoir les autres qui est étrangère au Soi réel, qui est principalement « en réaction » aux autres et qui manque de spontanéité. (Masterson et Lieberman, 2004)

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