mardi 12 février 2013

COMPRENDRE LE CONCEPT D'IDENTITÉ EN ORIENTATION ... selon Virginie Brodeur


Comprendre le concept d’identité en orientation

 
Virginie Brodeur, c.o.[1]
Le thème de l’identité a fait l’objet de nombreuses recherches scientifiques à travers les années. Celles-ci ont été menées par bien des auteurs et les champs d’études sur ce thème abondent tout autant (psychologie, sociologie, carriérologie, culture, religion, sexualité, philosophie, psychiatrie, histoire, etc.). D’ailleurs, la nature de ce concept est tout aussi variée puisqu’il existe plusieurs types d’identités: identité personnelle (à laquelle nous nous attarderons davantage dans le cadre de cet essai), sociale, groupale, ethnique, professionnelle, sexuelle, générationnelle, nationale, et plus encore.
S’il y a aujourd’hui autant de définitions et de reformulations de ce concept qu’il y a de personnes qui s’y sont intéressé, c’est sûrement car les théoriciens ont du mal à s’entendre quant aux processus de base impliqués dans le développement identitaire. Malgré tous ces efforts pour définir ce concept, celui-ci demeure pour plusieurs encore bien flou et complexe, malgré sa grande popularité depuis les dernières décennies. D’ailleurs, tel que le souligne Kaufmann (2009) : « Le mot identité se retrouve partout, c’est une espèce de mot valise dans lequel chacun met son propre contenu. Il est important de définir ce que l’on comprend derrière ce terme, ce qui nous amène à cette interrogation : l’identité, qu’est-ce que c’est ? » (p.55) D’abord, Pierre Tap (1979), professeur en psychologie sociale et reconnu comme un spécialiste de la concision, a défini ce concept comme étant :
un système de sentiments et de représentations de soi, c'est-à-dire à  l’ensemble des caractéristiques physiques, psychologiques, morales, juridiques, sociales et culturelles à partir desquelles la personne peut se définir, se présenter, se connaître et se faire connaître, ou à partir desquelles autrui peut la définir, la situer ou la reconnaître. (p.8)
 
L’identité est ce qui permet de se définir et de se distinguer des autres par notre unicité et par nos attributs caractéristiques propres à travers le temps. C’est le sentiment d’être le même, malgré les changements auxquels nous faisons face. En effet, Erikson (1968) décrit l’identité personnelle comme « le sentiment de similitude avec soi-même et de continuité existentielle (se sentir « le même » dans différents contextes et dans le temps). » (Erikson, cité par Barbot, 2008, p.1) Ainsi, l’individu souhaite parvenir à une identité claire pour lui-même et aux yeux des autres qui soit immuable dans le temps et qui reste la même dans les différentes sphères de sa vie. De plus, l’identité personnelle peut être définie comme « l’ensemble des buts, des valeurs et des croyances que l’individu donne à voir (par exemple, ses projets professionnels), ainsi que de tout ce qui constitue sa particularité individuelle par rapport aux autres. » (Cohen-Scali et Guichard, 2008b, p.4) En d’autres mots, l’identité, c’est ce qui permet de se reconnaître et de se faire reconnaître. C’est donc le fait qu’une personne conserve une perception identique à elle-même, malgré des contextes changeants et son développement à travers les années.  L’identité personnelle découle donc d’un besoin de se distinguer des autres tout en restant reconnu par les autres. (Barbot, 2008)
Il est primordial de s’attarder ainsi aux définitions d’Erikson, puisqu’il est considéré par la communauté scientifique comme le précurseur d’une théorie du concept de l’identité liée à la psychologie du développement. Plusieurs auteurs lui ont succédé et se sont appuyés sur sa théorie afin de poursuivre les recherches sur ce concept. Erikson a soulevé bien des aspects importants dans sa théorie de l’identité, toutefois le concept d’identité personnelle a reçu une attention particulière. Tel que mentionné précédemment, ce concept sera retenu ici puisqu’il est tout à fait à propos lorsque l’on parle d’intervention sur l’identité de la personne en contexte d’orientation.
D’après des propos rapportés par Barbot (2008), les auteurs Grotevant et Cooper se sont intéressés à l’identité personnelle et l’ont décrite comme étant un « équilibre entre l’individualité et la relation. » (p.2) En effet, l’identité est souvent articulée comme un système dynamique et dialectique entre le sentiment d’être une personne unique et distincte et le sentiment d’être reconnu par les autres. (Barbot, 2008) Ainsi, sans les autres, on ne peut se définir, puisque l’identité est souvent abordée comme étant fondamentalement relationnelle. 
Il est donc possible de percevoir des éléments qui reviennent au sein de ces différentes définitions. Or, à la lumière des nombreuses lectures effectuées sur le sujet de l’identité, certaines caractéristiques fondamentales et quasi communes à l’ensemble des définitions sur la conception identitaire seront soulevées subséquemment. Ainsi, cette section a pour objectif de définir diverses composantes de l’identité afin d’en saisir l’essence même et de permettre une meilleure compréhension du concept. Par la suite, certains rapprochements et distinctions seront effectués au regard de trois concepts souvent associés, soit l’identité, le soi et la personnalité. Trois phases de la vie (enfance, adolescence, âge adulte) seront ensuite abordées dans le but de saisir que le développement de l’identité est présent tout au long de l’existence. Différentes modélisations seront ensuite exposées afin d’obtenir les points de vue de certains auteurs quant au développement identitaire. Enfin, des liens entre l’identité et l’orientation seront effectués.

 

Les composantes de l’identité personnelle en termes de sentiments d’identité
 
Tout d’abord, l’identité personnelle possède deux significations, d’une part objective et d’autre part subjective. L’identité objective peut être considérée comme la plus évidente puisqu’il s’agit de celle qui acquiesce la différence de chacun par son patrimoine génétique, c’est donc le caractère héréditaire et l’historique de la personne. (Marc, 2009)  C’est aussi celle que l’on remarque le plus entre autre par le biais des traits de personnalité, de caractères, d’attitudes, etc. D’ordre plus complexe, l’identité subjective serait plutôt associée à l’expérience de soi et renvoie à cette définition de Mucchielli (1986) qui précise que l’identité est caractérisée par « un ensemble de critères de définition d’un sujet et un sentiment interne [nommé sentiment d’identité] composé de différents sentiments : sentiment d’unité, de cohérence, d’appartenance, de valeur, d’autonomie et de confiance autour d’une volonté d’exister ». (p.5) Cette définition englobe des caractéristiques de l’identité non seulement soulevées par Mucchielli, mais qui sont également communes à différentes définitions de l’identité personnelle. En effet, ce sont des points d’ancrage présents dans chacune d’elles, seules les terminologies peuvent toutefois différées d’un auteur à l’autre. 
 
Tout d’abord, les sentiments d’unité et de cohérence reposent sur la structure cognitive de la personne, considérée par Mucchielli (1986) comme le noyau identitaire individuel. Cette structure cognitive est consécutive aux différentes expériences vécues par le sujet. Ces expériences affectives, relationnelles et intellectuelles engendrent des activités cognitives chez l’individu lui permettant d’organiser l’ensemble de l’information reçue sous formes de sensations, de sentiments, d’émotions, de pensées, de réflexions, etc. qui sont transformés en savoirs se rapportant à son système cognitif qui est source du sentiment d’identité personnelle. (Mucchielli, 1986) Tap (2009) définit ces sentiments comme « la représentation plus ou moins structurée, plus ou moins stable que j’ai de moi-même et que les autres se font de moi. Je me comporte selon un certain style, ce qui renvoie à l’idée d’unité, de cohérence du moi. » (p.55) En simple, c’est ce qui permet à une personne de dire « Je suis moi ». Ensuite, les sentiments de différence et d’unicité renvoient à l’idée qu’un sujet se veut et se perçoit comme un être unique et distinct d’autrui. C’est donc un sentiment de singularité permettant à un individu d’affirmer qu’il est différent des autres. Mucchielli (1986) a d’ailleurs fait mention que « Le sentiment de différence est essentiel à la prise de conscience de son identité. » (p.54)
 
 
Comme toute personne grandit et évolue dans un environnement social donné, celle-ci développe un sentiment d’appartenance qui résulte de l’intégration des normes, valeurs et modèles sociaux présents dans ce milieu. C’est entre autre ce qui permet à cette personne de parler au « nous ». D’ailleurs, le sentiment d’appartenir à un groupe est lié étroitement au sentiment d’autonomie, puisque selon Mucchielli (1986), une personne affirmera son identité personnelle seulement si elle se sent membre d’un groupe tout en étant autonome par rapport à celui-ci en termes de pensées et de décisions par exemple. Quant au sentiment de confiance, il s'acquière dans la relation à l'autre. (Mucchielli, 1986) D’après Tap (2009), « lorsqu’une personne se sent en sécurité au sein d’un groupe, elle a plutôt tendance à s’affirmer dans sa singularité. Inversement, en situations de conflit, elle accentue le besoin de ressembler aux autres, de fusionner, de se référer au groupe. » (p.57) Le sentiment de confiance renforce celui d’appartenance puisqu’il permet au sujet de participer à la vie commune et donc de se développer à travers cette participation. 
 
 
Comme il le sera démontré ultérieurement, l’identité se modifie tout au long de l’existence. Malgré cela, le sentiment de continuité est ressenti chez le sujet comme le sentiment profond d’être toujours le même, dans l’espace et dans le temps. En effet, malgré les différentes expériences vécues et les nombreux changements qui surviennent au fil du temps, le sentiment de continuité qu’éprouve une personne lui permet de demeurer semblable à elle-même, de se reconnaître et de se faire reconnaître par autrui. C’est donc ce qui permet à un individu de dire « Je suis toujours la même personne » et ce qui permet à son entourage de mentionner « Je te reconnais bien ». Chauvier, professeur de philosophie à l’Université de Caen, a soulevé ces propos permettant de saisir davantage le concept de continuité :
 
Si toutes les cellules qui constituent un être vivant se régénèrent au cours de sa vie, comment peut-on dire que l’être vivant qui figure au terme de ce processus est le même que celui du départ ? Résoudre ce problème général de l’identité « transtemporelle » des choses changeantes, c’est déterminer ce qui constitue l’essence individuelle de la chose, ce qu’elle ne peut pas cesser d’être sans cesser d’être la chose singulière qu’elle est. C’est cette essence individuelle ou haecceité que l’on vise quand on est en quête de son « identité » : notre identité en ce sens, c’est notre haecceité, ce que nous sommes essentiellement et singulièrement et qui, pour cette raison, doit rester identique au travers des changements que nous subissons pour que nous restions la même personne. (2009, p.20)
 
Quant à lui, le sentiment de valeur engendre le désir d’identité et prend sa source dans le regard d’autrui. Cette caractéristique « est associée à la nécessaire vision positive de soi (estime de soi). » (Tap, 2009, p.56)  En conséquence, le sujet cherche à se faire valoir aux yeux des personnes qu’il considère importantes pour lui, ce qui provoque le sentiment d’existence, par lequel une personne donne du sens à sa vie, à travers ses différentes intentions et projets d’avenir. (Mucchielli, 1986) D’ailleurs, « l’identité renvoie alors à l’idée de la réalisation de soi par l’action, « du devenir soi-même » à travers des activités (faire et, en faisant, « se faire »). » (Tap, 2009, p.56) En effet, celui-ci a soulevé le fait qu’une personne est définie par ce qu’elle fait.
 
 
Les concepts d’identité, de soi et de personnalité sont souvent associés et avec raison. Effectivement, ce sont des notions très proches les unes les autres, elles sont ardues à définir et sont souvent employées comme synonymes d’après Bégin, Bleau et Landry (2000) :
Le concept d’identité, que certains appellent parfois le soi (self) ou le moi (ego), que d’autres appellent personnalité, caractère ou concept de soi, n’est pas un concept facile à définir. Erikson (1968) reconnaît lui-même qu’il désigne plusieurs choses. Même si le concept recouvre plusieurs notions, on peut définir l’identité ainsi : le caractère de ce qui demeure identique à soi-même, le sentiment que ressent la personne d’être la même, la conscience de son individualité. On peut aussi définir l’identité de la personne en disant que c’est le sentiment de se sentir unifié et non compartimenté. » (p.28)
Force est de constater qu’il y a plus qu’une définition du concept de l’identité, mais ce qui revient toujours, c’est le sentiment d’être soi-même, d’être unique et donc différent des autres. Il n’y a pas deux personnes qui soient pareilles au plan identitaire tout comme c’est le cas au plan de la personnalité. Il est donc possible d’affirmer que la personnalité d’une personne la rend aussi unique et lui permet de se distinguer des autres. La personnalité peut être définie comme « une structure organisée, stable dans le temps et cohérente du rapport au monde d’un individu » (Alexandre-Bailly et al., 2009, p.8) ou encore comme « l’ensemble organisé, et non simplement aggloméré, des caractéristiques psychiques de chaque être humain, perçu comme une totalité. » (Bouchard et Gingras, 2007, p.1) Ainsi, malgré qu’elle ne soit jamais achevée, la personnalité tout comme l’identité, s’avère un concept constant dans le temps, c'est-à-dire qu’à travers les changements qui surviennent chez l’individu, celui-ci sera toujours en mesure de se reconnaître et de se faire reconnaître par les autres. D’ailleurs, l’identité tout comme la personnalité a une part d’inné et d’acquis génétique et se construit à travers l’environnement social et les diverses expériences vécues.
Or, selon Alexandre-Bailly et al. (2009),  « L’identité est un concept distinct de celui de la personnalité dans la mesure où il n’est pas utilisé dans les mêmes circonstances. » (p. 8) Selon eux, la personnalité permettrait aux autres de reconnaître les caractéristiques de l’individu alors que l’identité, pour sa part, est ce qui permet à l’individu lui-même de se définir et de se reconnaître. (Alexandre-Bailly et al., 2009) En d’autres mots, cela revient à dire que la personne se définit et de se reconnait une identité et que les autres reconnaissent pour leur part la personnalité de cette personne. Ils ont un regard extérieur à la personne contrairement à cette dernière qui a un regard intérieur à elle-même. Pour cette personne, son identité est le « rapport [qu’elle] entretient […] avec elle-même au cours de son existence. » (Keucheyan, 2002, p.263) 
La définition suivante de la personnalité de Salvador Maddi et reprise par Alexandre-Bailly et al. (2009) s’avère davantage explicite : « vue de l’extérieur, la personnalité est un ensemble de caractéristiques et de tendances qui détermine les points communs et les différences du comportement psychologique – pensées, sentiments et actions – des gens…» (p.11) Pour sa part, l’identité est constituée d’un ensemble d’éléments, tels que des éléments corporels, biologiques et physiologiques, des éléments culturels historiques (ex. : origines, motivation, valeurs, intérêts) et des éléments cognitifs multiples (ex. : compétences, aptitudes, connaissance). (Alexandre-Bailly et al., 2009) Enfin, Bégin, Bleau et Landry (2009) ont affirmé que « L’identité [est] définie comme le concept stable de ses buts, intérêts et aptitudes. » (p.28)
Quant au soi par rapport à l’identité, il est possible de rapprocher ces deux concepts par cette affirmation du Laboratoire de recherche sur le soi et l’identité de l’Université du Québec à Montréal (2012) :
Le soi est une structure cognitive multidimensionnelle qui englobe différentes dimensions inter-reliées contenant chacune des renseignements sur qui nous sommes. Concrètement, le soi réfère à notre réponse à la question : ‘Qui suis-je ?’. Les identités sont des parties plus spécifiques du soi, qui peuvent référer à ce qui nous caractérise personnellement (identité personnelle), mais qui découlent aussi de notre appartenance à des groupes sociaux (identités sociales).(http://www.lrsi.uqam.ca/fr/recherche/themes-generaux-etudies.html)
Ainsi, ces deux notions ne sont pas séparées l’une de l’autre, mais sont plutôt conjointes. En effet, les différentes identités d’une personne (identité personnelle, identité sociale, identité culturelle, etc.) sont considérées comme des morceaux de casse-tête constituant le soi.
 
 
Les recherches sur l’identité font souvent mention d’une période charnière où son développement est à son apogée, c'est-à-dire celle de l’adolescence. D’après Christine Cannard (2010), le mot adolescence vient du mot latin adolescentia signifiant « grandir vers » et « croître ». Selon L’Écuyer (1978), l’adolescence se situe approximativement entre 10 et 18 ans et est une période dite de reformulation et de différenciation du soi. (St-Louis et Vigneault, 1984) D’ailleurs, « À la puberté, la conscience de soi s’approfondit. L’adolescent « se cherche » et fait l’essai de ses potentialités ». (Mucchielli, 1986, p.37)  Ainsi, il est possible d’observer chez les adolescents, plusieurs variations entre autre dans leurs perceptions de soi.
Certains auteurs font de l’identité la grande affaire de l’adolescence, puisqu’il s’agit d’une étape de vie marquée par une multitude de changements et par la quête d’une identité propre à soi. Les changements physiques et physiologiques liés à la puberté par exemple, sont généralement mis de l’avant puisqu’ils sont les premiers signes biologiques de l’entrée dans l’adolescence. Toutefois, les changements liés au développement de soi passent souvent un peu plus inaperçus ou bien sont définis par l’expression « crise d’adolescence » qui revêt souvent une connotation négative. Cette crise est néanmoins nécessaire à la redéfinition des rôles de l’adolescent ainsi qu’à sa quête d’indépendance et d’autonomie. En effet,
C’est ainsi que le jeune adolescent qui, au cours de son enfance, avait construit son image de lui-même en se référant aux standards de son milieu culturel et qui, dans le contexte traditionnel, pouvait poursuivre son développement en continuant de s’y conformer, s’est vu confronté à une tâche nouvelle et difficile : celle de se redéfinir à partir des aspects nouveaux de sa personnalité mis en lumière par la poussée pubertaire […] il a tâtonné à la recherche de nouveaux modèles plus conformes à ses aspirations. […] Il a connu un état de crise parce qu’il a dû quitter une identité empruntée…(Artaud, 1985, p.9-10)
Malgré que le développement de l’identité soit souvent associé à l’adolescence, il a été reconnu par plusieurs comme étant présent tout au long de la vie. Luc Bégin a d’ailleurs fait mention que « l’identité commence à se façonner très tôt dans la vie, voire avant l’entrée au primaire » (Bégin, 2001, p.210), tout comme Erikson reconnaît que l’identité est en développement toute la vie durant. En effet, l’identité n’apparaît pas du jour au lendemain à l’adolescence comme les premiers signes de la puberté par exemple. Elle résulte plutôt d’une « construction progressive dont les fondements se situent dans les toutes premières années de la vie. » (Marc, 2009, p.29)
Dans ses premiers mois d’existence, l’enfant n’est pas conscient de son identité, puisqu’il n’a pas encore la conscience de soi. Avant l’âge d’un ou deux ans, l’enfant qui se regarde dans un miroir ne reconnaîtra pas l’image de lui-même qui lui sera projetée. Il se reconnaîtra seulement lorsqu’il se percevra comme objet dans l’espace et qu’il sera en mesure d’incorporer ce reflet en le faisant correspondre aux ressentis intérieurs à lui-même. C’est lors de cette reconnaissance que l’enfant commencera à employer le « je » dans son discours. Cela est donc un signe que celui-ci ressent un sentiment d’identité. (Marc, 2009) D’ailleurs, la prise de conscience des sensations chez l’enfant âgé entre six mois et deux ans lui permet aussi d’assimiler la conception de permanence de l’objet. Ainsi, ce phénomène serait le fondement de l’identité, car l’enfant comprend par exemple que même s’il ne voit pas sa mère parce qu’elle est partie faire des courses ou parce qu’elle est dans la pièce adjacente, elle existe tout de même.
À l’âge de trois ans, l’enfant commence à prendre conscience et à se reconnaître comme une personne distincte des autres. On ne peut renier le rôle des interactions d’abord avec son milieu familial et ensuite avec un entourage plus élargi dans la constitution de l’identité.  En effet, le développement identitaire n’est pas qu’un processus interne au sujet. Dès les premiers temps de la vie, le nourrisson prend conscience graduellement de son corps et construit une conscience stable de lui-même surtout grâce à la relation affective avec sa mère et toute l’attention qu’il recevra. Les sourires sont d’ailleurs une façon pour le bébé de répondre aux stimulations de son entourage. Une seconde manière bien connue est la phase du « non » qui débute lorsque l’enfant est âgé d’environ deux ans, phase agaçante pour les parents, mais essentielle puisque l’opposition est une façon de s’affirmer, de se différencier des parents et de se percevoir comme être autonome. (Marc, 2009)
Dans le processus de développement de l’identité chez l’enfant, l’identification détient aussi un rôle important. Effectivement, elle est « l’un des mécanismes fondamentaux de la dynamique identitaire : identification aux images des parents, des frères et sœurs, des camarades; aux idéaux et aux modèles de la famille et de la culture. » (Marc, 2009, p.32)  Il n’est pas rare d’entendre un enfant dire qu’il exercera le même métier que son père ou encore de voir un enfant imiter les gestes de ses parents. L’identification passe aussi par les normes et les modèles d’abord transmis par les parents, mais par la suite par l’école sans oublier par les médias tels que la télévision et Internet. D’ailleurs, l’école et les relations qu’il y développe permettent à l’enfant d’apprendre à reconnaître ses différents rôles, les différences sociales et conséquemment celui-ci prend peu à peu conscience qu’il fait partie de divers groupes d’appartenance. Dès lors, tel que le « je » est apparu, le « nous » surgira, d’où l’importance des interactions sociales dans la construction de l’identité car « autrui est, aux différentes étapes de la vie, un miroir dont chacun a besoin pour se reconnaître lui-même ». (Marc, 2009, p.33) De plus, les relations parent-enfant ainsi que les relations maître-élève permettent aux jeunes de se développer au plan personnel, puisqu’il s’agit souvent de relations dites formatives. En effet, la relation parent-enfant permet que « l’enfant se développe, [qu’il] commence à développer son intelligence, à construire son identité ainsi que divers autres éléments de sa personnalité. » (Bégin, Bleau et Landry, 2000, p.39) Par exemple, lorsqu’un parent demande à son enfant de partager son jouet avec un ami en lui soulignant l’importance du partage, il forme alors son enfant. Qui plus est, la relation maître-enfant (enseignant, instructeur, entraîneur, animateur, etc.) est formative lorsqu’elle concerne par exemple « la façon dont l’élève apprend, de l’effort que ce dernier fournit, de son engagement, de sa conception de la matière, cela sans pour autant mettre de côté le contenu, les connaissances à transmettre. » (Bégin, Bleau et Landry, 2000, p.40)
Dans un même ordre d’idées, la construction de l’identité présente à l’enfance et à l’adolescence se poursuit aussi à l’âge adulte. Il est toutefois nécessaire de préciser qu’autrefois, il était plus facile de délimiter cette période de vie par des évènements tels que la fin des études et l’entrée sur le marché du travail, le mariage et le départ du nid familial.
À partir du moment où l’adolescence a cessé d’être un moment rapide d’initiation à un mode d’existence adulte aux contours bien définis par une culture, à partir du moment où, en raison de l’évolution des structures sociales, on a vu le temps se déployer entre la fin de l’enfance à l’insertion dans la société adulte, un certain nombre de comportements nouveaux sont apparus chez les jeunes…(Artaud, 1985, p.9)
Les rites de passage vers l’âge adulte d’autrefois ne tiennent plus et dire que l’adolescence s’étire jusqu’à ce qu’un de ces évènements surviennent ne peut être simplement considéré. En effet, les jeunes demeurent de plus en plus longtemps chez leurs parents, ils étudient souvent plusieurs années après leur majorité, ils quittent le nid familial et y reviennent quelques années plus tard, etc. Ainsi, ces jeunes âgés entre 18 et 25 ans qui étaient auparavant, peut-on dire, classés dans la catégorie adulte dus aux référents institutionnels précédemment nommés, font de nos jours parties de la catégorie qu’Arnett (2000) nomme Âge adulte émergeant. Cette catégorie « se distingue à la fois de l’adolescence et de l’âge adulte par cinq caractéristiques spécifiques : l’exploration identitaire, l’instabilité, l’entre-deux, les possibilités et l’égocentrisme. » (Moulin, 2012, p.2) Ainsi, l’accession à l’âge adulte est aujourd’hui difficilement repérable dans le temps. Nonobstant, ce qui importe ici n’est pas d’obtenir une définition de l’âge adulte, mais bien de savoir que l’identité d’un adulte n’est pas contrainte à la stabilité. Comme l’identité est sujette à travers le temps à toutes sortes de changements pouvant survenir dans la vie de chacun et que ceux-ci peuvent engendrer des modifications au sein de la conscience de soi, il serait donc faux de dire qu’un adulte a une identité achevée. (Marc, p.34) 
Plusieurs facteurs sociaux peuvent produire des changements de rôle ou de statut pouvant entraîner ces modifications de la conscience de soi : un changement de carrière, une perte d’emploi, un ou une nouvelle conjointe, le mariage, la naissance d’un enfant, un divorce, le décès d’un proche, un retour aux études, la maladie, un échec, une réussite, etc. Selon Marc (2009), ces facteurs peuvent « [provoquer] quelquefois une véritable crise de l’identité, jusqu’à bouleverser totalement la perception de soi du sujet. Ainsi, la construction identitaire apparaît bien comme un processus dynamique, marqué par des ruptures et des crises, inachevé et toujours repris. » (p.35) D’ailleurs, bien associée à la période de l’adolescence, la notion de crise peut aussi être liée à l’âge adulte puisque dans le langage commun, on parle aussi de crises de la trentaine, de la quarantaine ou de la cinquantaine par exemple, pouvant entre autre être associées chez la femme à la ménopause et chez l’homme à l’andropause, dus aux changements physiques et physiologiques qui en suivent. (Marc, 2009)
Enfin, « dans les sociétés occidentales, le travail – au sens large – est un facteur déterminant dans le développement, […] car il contribue à la socialisation et au sentiment de participer activement au fonctionnement de la société. » (Cohen-Scali et Guichard, 2008b, p.7) Or, une phase importante dans la vie d’un individu est sans doute le départ à la retraite. En effet, la transition du travail à la retraite peut engendrer des remaniements de l’identité. La personne se retirant du marché du travail, corps social important qui lui a permis de se forger une identité professionnelle (Pointenaud et al., 1987), son image de soi se verra touchée par cette perte d’identité associée à la carrière. Traversée sans préparation, cette transition vers la retraite peut être vécue difficilement et peut provoquer une crise identitaire, puisque la perte d’un statut social peut agir sur le sentiment que la personne a d’elle-même, mais aussi sur la perception que les autres s’en feront par la suite. (Marc, 2009)
En somme, l’identité est un processus en marche tout au long de l’existence. Chacune des périodes comportent des réalités différentes permettant à la personne de construire son identité. Malgré que la conscience de soi puisse se stabiliser à une certaine période de la vie, le sentiment d’identité n’en est pas moins figé dans le temps et dans l’espace, puisqu’ « il évolue selon les âges, en fonction des évènements de la vie et des traumatismes […] en fonction des sociétaux. » (Roucoules, 2009, p.12) Ces propos de Samson (2011) permettent d’ailleurs d’effectuer une synthèse de ce qui a été soulevé précédemment :
De l’enfance à l’âge adulte, en passant par l’adolescence, le sujet se forge en tant qu’individu, en tant que sujet individué intégré dans son monde. Cette identité, appelée à se modeler pendant toute une vie, commence à s’établir à l’adolescence. L’adolescent est l’artisan de son être. Ainsi, un être bien identifié sera constant dans ses pensées, ses actions et ses passions, il acquerra une temporalité qui lui permettra de s’analyser et de porter un jugement sur lui-même, et finalement de bien s’intégrer dans la société. (p.27)

 

Modélisations du développement identitaire 
 
Tel que mentionné antérieurement, le concept d’identité, depuis des décennies, a fait l’objet de plusieurs études où travaux empiriques, approches et théories en ont jaillis. En effet, bon nombre de théoriciens se sont intéressés à ce concept et ont développé des modèles qui expliquent leur vision de comment se construit l’identité chez un individu. Les deux premiers modèles, issus de la perspective développementale[2] de l’identité, ne peuvent être laissés de côté de par leur impact sur les travaux qui en ont découlés par la suite. Erikson, malgré qu’il n’ait été le premier à parler d’identité, demeure toutefois un pionnier quant aux apports théoriques sur l’identité en psychologie individuelle. (Cohen-Scali et Guichard, 2008b) Quant à James Marcia, il a entre autre voulu vérifier de façon empirique les travaux d’Erikson et a donc poursuivi ses recherches dans un but d’opérationnalisation des concepts théoriques de son prédécesseur. Le modèle de Marcia ayant suscité l’intérêt de bien des théoriciens, les modèles de trois de ses successeurs seront abordés, soit celui de Grotevant, Luycks et ses collègues, ainsi que celui de Waterman. Ensuite, la modélisation relationnelle des systèmes dynamiques de Breakwell sera expliquée. Ce théoricien désirant que son modèle ait sa place au sein de la perspective développementale, cette association demeure toutefois à être confirmée. (Kunnen et Bosma, 2006) Par la suite, les travaux de Dubar, issus de la perspective contextuelle[3], seront brièvement expliqués. Enfin, la théorie psychogénétique de l’identité de Bégin issue de la perspective cognitive[4] sera soulevée. Ainsi, sans prétention d’exhaustivité, la présente section a pour objectif de décrire différentes modélisations afin de permettre une meilleure compréhension de la façon dont une personne se développe au plan identitaire. 
 
 
Précédemment, la notion d’identité personnelle d’Erikson a été soulevée comme étant importante au sein de sa théorie. Un second concept de l’identité qui a tout autant attiré l’attention de la communauté scientifique est de concevoir le développement épigénétique comme un processus étant à la fois continu, dialectique et dynamique. En effet, selon cet auteur, c’est en franchissant huit stades[5] dichotomiques qu’un individu développe son identité tout au long de sa vie, puisqu’il y traverse des crises[6] psychosociales provoquées par les interactions qu’il vit entre son Moi et son environnement social à chacun de ces stades. Donc, ce principe atteste que « Tout être qui grandit le fait en vertu d’un plan fondamental dont émergent, chacune à son moment spécifique, les diverses parties, jusqu’à ce qu’elles soient capables de fonctionner comme un tout. » (Erikson, 1972, pp. 94-95) Ainsi, la manière dont il franchira ces diverses étapes données d’avance aura un impact sur le façonnement de son identité.
Le tableau présenté à la page suivante illustre les stades du développement psychosocial selon Erikson, mais tout d’abord, il est pertinent d’expliquer comment lire et comprendre ce tableau. Selon cet auteur :
La diagonale analyse le déploiement ontologique des composantes principales de la vitalité psychosociale. […] À la verticale allant de l’enfance jusqu’à l’identité, il s’agit des contributions spécifiques que les stades antérieurs ont apportées directement au développement de l’identité. […] Sur l’horizontal de la carte, […] les divers symptômes partiels de la confusion d’identité (en lien avec le stade où se produit la régression). (Erikson, 1968, pp.188-190)



Tableau 2 : Les stades du développement psychosocial d’Erik Erikson
 
 
 
 
 
 
 
Intégrité versus Désespoir
 
 
 
 
 
 
Générativité versus Stagnation
 
 
 
 
 
 
Intimité versus Isolement
 
 
 
Perspective temporelle  versus confusion du temps
 
Certitude de soi  versus conscience de soi
 
Expérimentation des rôles versus fixation des rôles
 
Apprentissage versus inhibition au travail
 
IDENTITÉ
VERSUS
CONFUSION
 
Polarisation sexuelle versus confusion bisexuelle
 
Direction et compagnonnage versus confusion d’autorité
 
Engagement idéologique versus confusion des valeurs
 
 
 
Industrie versus Infériorité
Identification à la tâche versus sentiment de futilité
 
 
 
 
 
Initiative versus Culpabilité
 
Anticipation des rôles versus inhibition des rôles
 
 
 
 
Autonomie versus Honte/doute
 
 
Volonté d’être soi versus doute de soi
 
 
 
Confiance versus Méfiance
 
 
 
Acceptation réciproque versus Isolement autistique
 
 
 
Source : Adolescence et crise (Erikson, 1972, p.97)


Fortement teintés des conceptions de Freud, les quatre premiers stades correspondent aux stades de l’organisation de la libido de ce théoricien (oral, anal, phallique, latence) et sont donc traversés durant l’enfance. Selon Cohen-Scali et Guichard (2008b), « Erikson met l’accent, [pour chaque période] d’une part, sur les interactions qui s’y déroulent et, d’autre part, sur les sentiments identitaires que l’enfant y élabore. » (p.5)
À l’adolescence, un individu devrait déjà avoir traversé quatre stades qui lui auront permis de cristalliser et d’intégrer divers éléments identitaires jouant un rôle dans la formation de son identité. En effet :
§  En conséquence du premier stade (confiance versus méfiance), l’adolescent cherche des personnes à qui donner sa confiance, recherche des idéaux nobles; il redoute les engagements à la légère. (Erikson, 1972)
 
§  Conséquemment au deuxième stade (autonomie versus honte/doute), « L’adolescent recherchera l’occasion favorable pour décider en plein accord, avec soi, sur laquelle des avenues disponibles et indispensables il s’engagera. » (Erikson, 1972, p.134)
 
§  En résultante du troisième stade (initiative versus culpabilité), l’adolescent « a une imagination illimitée quant à ce qu’il pourrait devenir ». (Erikson, 1972, p.134)
 
§  Finalement, en conséquence du quatrième stade (industrie versus infériorité), l’adolescent cherchera avant tout à accomplir, à faire fonctionner quelque chose d’une façon qui lui est unique. Aussi, dans le choix d’une profession, c’est ce qui sera prépondérant et, non pas le statut ou la rémunération. (Erikson, 1972)
 
Ainsi, selon Cohen-Scali et Guichard (2008b), les quatre premiers stades permettent l’intégration d’éléments identitaires qui seront cristallisés à l’adolescence et qui formeront chez l’individu une cohérence interne qui lui est propre. Ces auteurs ont d’ailleurs mentionné que « La confiance acquise au cours des stades précédents en son identité, en sa valeur sociale et en sa continuité, conditionne l’accès à une identité assumée du moi et permet l’accomplissement de la promesse tangible d’une carrière. » (Cohen-Scali et Guichard, 2008b, p.6) Cela est le résultat d’une résolution positive des stades qui précèdent le cinquième stade Identité versus Confusion et menant à une identité réalisée. L’envers de la médaille est plutôt la confusion identitaire signifiant une « incapacité à développer un tel ensemble cohérent d’idéaux sur lequel construire son identité d’adulte. » (Cohen-Scali et Guichard, 2008b, p.3)
Bref, ces explications du modèle du développement psychosocial d’Erikson particulièrement en ce qui a trait à la définition des stades ne se veulent pas exhaustives puisque l’idée principale était plutôt de comprendre les fondements de sa théorie. Ce qui importe de retenir est donc que selon Erikson, l’identité d’une personne est façonnée grâce aux relations sociales qu’elle entretient, que le développement de l’identité est un continuum tout au long de la vie et que l’identité est conséquente à la réponse d’une personne face aux crises, réponse qui lui permettra de traverser chacun des huit stades hiérarchiques de développement et qui lui permettra ainsi de se développer. Enfin, il est important de souligner à nouveau qu’Erikson a donné le point d’ancrage aux approches de ses successeurs quant au développement de l’identité et que celles-ci 
permettent de comprendre la manière dont l’individu parvient plus ou moins facilement à construire une représentation cohérente de lui-même, à partir de son histoire et en envisageant ce qu’il souhaite devenir. Cette question est d’une importance majeure pour les conseillers d’orientation psychologues[7] qui s’adressent à un public majoritairement composé d’adolescent ou « d’adultes émergents. » (Cohen-Scali et Guichard, 2008b, p.2)

 

 
James Marcia, au milieu des années 1960, a proposé deux dimensions comportementales contribuant au développement identitaire particulièrement à l’adolescence, soit l’exploration (aussi appelée questionnement et période de crise) et l’engagement de soi. Marcia définit l’exploration comme un « comportement de résolution de problème visant à mettre à jour de l’information à propos de soi ou de son environnement de façon à prendre une décision concernant des choix de vie importants », (Cohen-Scali et Guichard, 2008b, p.7) tel qu’un choix de carrière par exemple. C’est donc une période où la personne remettra en question ses choix antérieurs ainsi que ses valeurs. Le résultat du processus d’exploration consistera en une forme d’engagement, qui renvoie pour sa part, « aux choix, décisions, attitudes, oppositions de l’adolescent dans les différents domaines de vie significatifs. » (Barbot, 2008, p.2) De ces deux dimensions ont émané par entrecroisement quatre statuts d’identité que Marcia définit comme les façons dont l’individu, en fin de période d’adolescence, gèrera la question de l’identité. Ainsi, la présence ou l’absence de ces dimensions chez une personne a comme impact un de ces statuts aussi appelés États identitaires[8], représentés dans le tableau suivant.
 
Tableau 3 : États identitaires, exploration et engagement
 
 
États
identitaires
 
Caractéristiques
 
Exploration
 
Engagement
 
Diffus
Identité faible et changeante.
Confusion
 
Absente
 
Absent
 
Forclos
Identité forte allo-attribuée
 
 
Absente
 
Présent
 
Moratoires
En transition, ambivalence
 
 
Présente
 
Absent
 
Accomplis
Identité forte et souple
 
 
Présente
 
Présent
Source : La dynamique de l’engagement chez des étudiantes en formation des maîtres analysée sous l’angle des états identitaires (Gohier, Anadón et Chevrier, 2008, p.819)
 
Il est donc possible de percevoir que ces quatre statuts se distinguent par leur degré faible ou élevé d’exploration et d’engagement chez l’individu. En effet, une personne ayant une identité diffuse n’aura traversé aucune phase d’exploration ni d’engagement. Ainsi, « les comportements sont peu adaptés, voire à risques. Il s’agit d’une sorte d’absence de structure identitaire de base. » (Cohen-Scali et Guichard, 2008b, p.7) Celle qui aura une identité forclose aura pris des engagements sans exploration au préalable. Ce peut être le cas par exemple d’un adolescent qui s’est engagé dans une formation sans pour autant avoir remis en question ses choix antérieurs simplement en adoptant les valeurs de ses parents. Pour sa part, l’individu qui aura une identité en moratoire explorera activement sans toutefois prendre d’engagement. Il sera donc capable de « définir plusieurs alternatives possibles lors de choix importants. » (Cohen-Scali et Guichard, 2008b, p.7) Finalement, la personne ayant une identité accomplie ou réalisée aura pris des engagements à la suite d’une exploration. Cela voudra donc dire qu’elle n’est plus en quête identitaire, mais en accomplissement de soi. (Cohen-Scali et Guichard, 2008b) Toutefois, « Marcia insiste cependant sur le fait qu’il ne faut pas voir la résultante de ces tensions en termes dichotomiques, avec une dominance exclusive de l’un ou l’autre pôle de l’opposition, mais comme une dialectique, sur un mode de résolution personnelle, se manifestant par un équilibre. » (Gohier, Anadón et Chevrier, 2008, p.816) Il est donc possible de s’imaginer un axe où l’identité y trouve sa place par exemple à mi-chemin entre ces deux pôles, c’est donc dire par métaphore qu’elle n’est pas nécessairement blanche ou noire, mais peut être grise.
La notion d’engagement s’avère importante dans la théorie de Marcia, ainsi que dans le travail des conseillers d’orientation, puisque c’est par ces engagements qu’il est possible de dégager les différents domaines auxquels l’individu accorde de l’importance et dans lesquels il se définit. En effet, cette notion « signifie que l’individu, dans un secteur de la vie, choisit sa route, s’implique personnellement dans des décisions qui correspondent à ses désirs, ses buts, ses valeurs. » (Dumora et Bariaud, 2006, p.4) C’est ainsi qu’une personne se reconnait et se fait reconnaître par les autres, renvoyant au caractère relationnel de l’identité reconnu par Marcia. Il faut savoir que les engagements changent souvent avec le temps, ils peuvent devenir plus forts, plus faibles, plus rigides, plus flexibles, ils peuvent complètement changer de nature, mais peuvent aussi demeurer stables. Ainsi, Kunnen et Bosma (2006) ont soulevé que « Le développement de l’identité, en général, peut être considéré comme l’ensemble des changements qui se produisent dans la force et la nature des engagements. » (p.6) 
Enfin, « L’évaluation de la structuration de l’identité se fait [entre autre] au moyen d’une entrevue semi-structurée explorant trois domaines d’engagement : idéologique, professionnel et sexuel. » (Cohen-Scali et Guichard, 2008b, p.7) De ce fait, elle pourrait donc être utilisée au sein d’un processus d’orientation, puisqu’elle amènera le conseiller à obtenir des indices sur le niveau d’exploration et d’engagement de l’adolescent ou de l’adulte et pourra intervenir en conséquence. En guise d’exemple, afin d’assurer une meilleure compréhension et transposition des concepts dans la pratique, quatre adolescents présentant chacun une configuration identitaire au sens de Marcia pourraient être décrits de cette façon :
[La] réalisation identitaire caractérise les adolescents solides et sûrs d’eux-mêmes, capables d’articuler les raisons de leurs choix. […] Les adolescents en diffusion identitaire semblent marqués par un profond désintérêt et avoir des difficultés à se positionner. […] Le moratoire identitaire caractérise les adolescents comme étant en « crise identitaire ». Dans leur discours, ces adolescents ont beaucoup de dilemmes actuels. […] Les adolescents en forclusion identitaire ont des discours très tranchés (stéréotypes), peu de logique de choix. (Barbot, 2008, p.3)
Dans la lignée des approches néo-ériksonniennes, le théoricien Harold D. Grotevant s’est intéressé au développement de l’identité, tout particulièrement au travail fait par Marcia. D’abord, Grotevant acquiesce la base de la conception de Marcia comme quoi l’exploration est bien l’assise du processus de construction de l’identité. (Cohen-Scali et Guichard, 2008b) De l’analyse du processus d’exploration, Grotevant a dégagé ces deux composantes : les habiletés et les orientations.
Les habiletés (pensée critique, résolution de problèmes, prise de distance, etc.) seraient des compétences particulières facilitant l’évaluation objective et critique des identités alternatives potentielles. Les orientations réfèrent à la volonté ou non d’engager ses ressources psychologiques et émotionnelles dans le processus de sortie d’exploration, à travers le choix d’une alternative, d’un engagement. (Cohen-Scali et Guichard, 2008b, p.13)
Ainsi, l’addition d’une bonne orientation et d’une ou plusieurs habiletés encouragerait le processus d’exploration selon Grotevant. Toujours selon cet auteur, cinq facteurs ont aussi le potentiel de faciliter l’exploration ou encore de la freiner, soit la tendance à la recherche d’informations, la présence ou l’absence de forces en compétition, la satisfaction de son identité, les attentes liées à l’exploration et la volonté d’explorer. (Cohen-Scali et Guichard, 2008b) Or, « la probabilité qu’une personne s’engage dans un travail identitaire est déterminée par l’interaction entre des caractéristiques individuelles, des facteurs contextuels, et les processus de formation de l’identité actuels dans d’autres domaines. » (Kunnen et Bosma, 2006, p.7) Des caractéristiques telles qu’une estime de soi élevée, une grande ouverture à l’expérience ou encore la présence de capacités cognitives peuvent avoir un impact positif sur l’exploration et donc sur le développement de l’identité. De plus, la notion de facteurs contextuels pour Grotevant admet le rôle de la famille, des pairs, de l’école, de l’environnement de travail ou des attentes et croyances culturelles face au choix dans le développement de l’identité. (Kunnen et Bosma, 2006) Tel que soulevé par Lannegrand-Willems (2008), « des caractéristiques de chaque contexte facilitent ou handicapent la construction identitaire. » (p.4) En définitive, l’exploration étant l’assise de la formation identitaire selon Grotevant, la stimulation du processus d’exploration en contexte d’orientation scolaire et professionnelle pourrait s’avérer une stratégie d’intervention pertinente. (Barbot, 2008)
Luyckx et ses collègues se sont également intéressés au modèle de l’exploration et de l’engagement de Marcia. Ils s’en sont inspiré afin de proposer leur propre modèle du statut identitaire. Or donc, leur modèle ne comprend pas deux processus comme celui de Marcia, mais bien quatre, car l’exploration et l’engagement ont été scindés en deux dimensions. Ainsi, le concept d’exploration de Marcia a été conservé, mais a toutefois été renommé exploration de surface. L’exploration en profondeur a aussi été ajoutée et peut être définie comme « l’analyse des engagements déjà pris. » (Cohen-Scali et Guichard, 2008b, p.14) Quant au concept d’engagement, de la définition qu’en a faite Marcia, a été joint le concept d’identification à l’engagement « renvoyant une forte allégeance aux engagements déjà effectués. » (Cohen-Scali et Guichard, 2008b, p.14)
Selon Luyckx et ses collaborateurs, l’ensemble des quatre processus précédemment nommés seraient mis en œuvre dans la formation de l’identité. (Cohen-Scali et Guichard, 2008b) Par exemple, face à l’obligation d’effectuer un choix de programme d’études, une personne pourra en tout premier lieu considérer plusieurs options de domaines d’études (exploration en surface). Comme elle doit arrêter son choix, elle s’engage dans une des options considérées au préalable, soit une technique du secteur des arts par exemple (engagement). Son engagement lui permet de poursuivre l’évaluation de l’option choisie, c'est-à-dire qu’elle pourrait débuter ses études collégiales dans le programme choisi (exploration en profondeur) et dès lors, elle pourra s’identifier ou non à ce choix (identification à l’engagement). Ainsi, les réalités actuelles de changements de programme au sein du milieu collégial soulevées à la section précédente dénotent bien la notion d’exploration en profondeur de ces théoriciens.
Parti du concept d’exploration et d’engagement de Marcia, Alan S. Waterman a pour sa part constaté ceci : deux individus peuvent être classés à l’intérieur du même statut (ex. : identité prescrite) sans toutefois percevoir l’exploration et l’engagement dans une même activité de façon identique. De plus, Waterman aborde la notion d’expressivité personnelle dans sa théorie. Il s’agit du sens « qui se retrouve essentiellement chez les individus à l’identité réalisée et qui correspond au sentiment de vivre une vie en accord avec celui qu’on est vraiment. » (Cohen-Scali et Guichard, 2008b, p.15) De façon plus philosophique, l’expressivité personnelle serait ce qui permet à une personne d’effectuer la découverte de ce qui lui apporte une satisfaction profonde et qui lui procure un sentiment de pur bonheur. La pratique d’une activité professionnelle chez l’adolescent tel qu’un emploi d’été comme animateur de camp de jour pourrait engendrer un sentiment de satisfaction et de bonheur qui favorisera l’actualisation et le développement de soi. Donc, ce sentiment d’expressivité personnelle ressenti pourrait aider l’adolescent à clarifier ses motivations (animer, travailler avec les enfants), à explorer les possibilités d’emploi et à s’engager dans certaines voies (s’inscrire en techniques d’interventions en loisir au cégep par exemple). (Cohen-Scali et Guichard, 2008b)
En somme, tous ces travaux, de ceux d’Erikson à ceux de Waterman, soulèvent des notions essentielles qui permettent aux conseillers d’orientation de guider leurs interventions lorsqu’ils sont en processus de counseling d’orientation avec leurs clients. En effet, Cohen-Scali et Guichard (2008b) soulèvent ceci :
D’abord, ces analyses soulignent toutes que l’enjeu majeur de l’adolescence (et de l’âge adulte émergeant; cf.arnett, 2000) est la construction identitaire. Elle s’ancre dans des sentiments identitaires élaborés précédemment à l’occasion d’interactions avec des personnes significatives dans des contextes variés. Cette construction identitaire en constitue une synthèse et un dépassement par lesquels l’individu inscrit son présent (et son passé ainsi repris) dans la perspective de certaines anticipations de son futur personnel au sein de groupes et de contextes significatifs pour lui. (p.17)
 
 
La base du modèle de Breakwell est l’interaction entre une personne et un contexte. Par interaction, il dénote chacune des situations, évènements et expériences pouvant avoir un impact sur les engagements de cette personne. Il soulève aussi, par le concept d’interaction, la notion de perspective transactionnelle du développement et sa nature essentiellement relationnelle et dynamique puisqu’il « suppose que la personne est affectée par le contexte et que le changement dans la personne affecte en retour le contexte […] Le contexte changé agit sur la personne à nouveau et ainsi de suite. » (Kunnen et Bosma, 2006, p.8) C’est pourquoi Breakwell décrit le développement à long terme tel qu’une succession d’interactions et de transactions entre la personne et le contexte.
Comme le souligne Kunnen et Bosma (2006), « Ce modèle a des implications pour la théorie, la recherche et les interventions : il appelle une approche centrée sur les émotions, les interactions et les trajectoires individuelles. » (p.1) De plus, le modèle de Breakwell est qualifié de réactif, c'est-à-dire qu’il s’intéresse au résultat d’une menace à l’endroit de l’identité d’un individu et donc à sa façon de réagir lorsqu’il ressent une certaine tension. En effet, « La personne donne sens aux évènements du contexte (demandes, buts, défis) qui ne deviennent importants que si elle les perçoit comme tels, et c’est ce sens donné qui détermine ses choix, ses « engagements » affectant en retour son contexte d’expériences. » (Dumora et Bariaud, 2006, p.4) Ainsi, ce modèle permet entre autre d’expliquer pourquoi, lorsque vient le temps de choisir un programme de formation collégiale à la fin du secondaire ou un programme de formation universitaire à la fin des études collégiales, certains étudiants se mobilisent afin d’arrêter leur choix alors que d’autres ne le font pas. En effet, selon ce modèle, lorsque survient cette période de choix, certains ressentent une pression élevée de la part de leur environnement social provoquant un conflit interne, alors que d’autres pas. Ainsi, Dumora et Bariaud (2006) soulèvent 
[qu’] il ne suffit donc pas de l’insistance de la demande extérieure, ni des incitations raisonnables des C.O.P.[9] Il faut qu’une discordance soit vécue, de façon suffisamment consistante et durable dans l’émotion qui l’accompagne, entre ce à quoi la personne tient fortement (une idée de soi, des valeurs majeures) et les données de la réalité, pour que la stabilité du soi soit menacée; alors, face à cette menace, des individus différents mettront en place des modalités de réponses différentes (assimilation, accommodation, évitement). Le conflit, expérience cognitive et surtout émotionnelle, est posé comme le moteur du changement. C’est une invitation à repenser la notion même de       « choix ». (p.5-6)
Ainsi, ces propos résument bien un des concepts centraux du modèle étant que « Sans émotions il n’y a pas conflit [et conséquemment] Sans émotions, l’identité ne changerait pas. Cela signifie que les émotions peuvent être utilisées [p.ex. en contexte d’orientation] comme un indicateur de conflit et de changement identitaire. » (Kunnen et Bosma, 2006, p.11) Dans un autre ordre d’idées, tel qu’abordé dans la citation de Dumora et Bariaud, Breakwell joint aussi à son modèle les notions d’assimilation et d’accommodation dans son modèle du développement identitaire, qu’il décrit comme étant un processus. D’abord, « L’assimilation consiste à interpréter les nouveaux événements à la lumière des schèmes de pensée déjà existants. [Ensuite,] L’accommodation est le processus inverse, c’est-à-dire changer sa structure cognitive pour intégrer un nouvel objet ou un nouveau phénomène. » (http://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_09/i_09_p/i_09_p_dev/i_09_p_dev.html) Le choix d’une ou de l’autre permet de percevoir de quelle façon l’individu s’adapte à une situation ou un évènement. Or, considérant entre autre les « différences dans des facteurs personnels et contextuels [qui] causeront de la variabilité intra-individuelle et des différences interindividuelles dans les trajectoires développementales », (Kunnen et Bosma, 2006, p.9) il va de soi que chacun réagira de manière distincte à un évènement pouvant être qualifié de menace à l’identité. En effet, la préférence d’une personne pour l’assimilation ou l’accommodation aura un impact sur la façon de traverser une situation conflictuelle. Un individu pourra par exemple attribuer ce qui lui arrive à des facteurs extérieurs à lui-même (p.ex. : c’est la faute du conseiller d’orientation si j’ai fait le mauvais choix) et un autre l’attribuera pour sa part à des facteurs intérieurs à soi (p.ex : j’ai fait le mauvais choix de carrière parce que je n’ai pas fait tous les exercices d’introspection et d’exploration que le conseiller d’orientation m’a proposés).
Tout comme d’autres auteurs s’étant intéressés au construit de l’identité, Breakwell joint à son modèle l’idée de conflit, qu’il décrit comme étant l’élément déclencheur permettant une modification de l’identité. Ainsi, « Un conflit se produit si des intérêts spécifiques sont menacés dans la transaction. Les émotions […] jouent un rôle central parce c’est seulement par les émotions, suscitées par la menace à l’égard d’une préoccupation personnelle, qu’un individu devient motivé à agir, que ce soit pour assimiler ou accommoder. » (Kunnen et Bosma, 2006, p.10)  La teneur et le nombre de conflits vécus chez une personne dépend à la fois de facteurs externes à soi, les plus souvent nommés étant les autres, la société et le phénomène du hasard, mais cela dépend aussi des caractéristiques internes à soi. En effet, selon Kunnen et Bosma (2006) :
Les adolescents qui sont ouverts à l’expérience, qui entrent dans les situations nouvelles sans parti pris, qui essaient différentes manières d’être et d’agir, peuvent rencontrer plus de conflits que d’autres […] Certains individus sont trop « ouverts ». Nous voulons dire par là qu’il y a peu de stabilité dans leurs engagements, qu’ils changent avec chaque modification de l’environnement, et que le conflit alors débouche très facilement sur un changement dans les engagements. (p.12)
En résumé, la personne dite ouverte à l’expérience vivra certainement plusieurs conflits, mais cela lui permettra de s’engager dans des explorations et des engagements (au sens de Marcia) enclins à permettre le développement d’une identité accomplie, c'est-à-dire une identité qui est forte et souple. Au contraire, une personne qui n’est pas du tout ouverte à l’expérience vivra très peu de conflits, ce qui engendrera peu de changements au plan de l’identité. Finalement, une personne dite trop ouverte à l’expérience n’aura pas la possibilité ni d’explorer (en profondeur), ni de s’engager, ce qui revient au développement d’une identité diffuse selon Marcia.
L’exemple suivant permettra de bien saisir ce modèle : Un adolescent de 16 ans a depuis très longtemps l’engagement de faire carrière dans le domaine des sciences. Convaincu qu’il s’agit de sa vocation, il a travaillé très fort au secondaire afin de réussir ses cours de chimie, de physique et de mathématiques. Intéressé par ces matières, l’adolescent présente toutefois aucune facilité et doit souvent assister à des cours de récupération, contrairement aux cours de français, d’histoire et de géographie dans lesquels il réussit avec brio et ce, sans effort. Lorsque vient la période d’admission au collégial, cet adolescent pose sa candidature dans le programme d’études Sciences de la nature. La réponse étant positive, l’adolescent est heureux, ce qui vient renforcer son engagement. Lors de sa première session au cégep, ce dernier récolte des échecs à ses premiers examens théoriques malgré tous les efforts alloués à ses études qui pourtant au secondaire portaient fruits. Il y a donc un conflit entre son engagement et la situation. L’adolescent peut par exemple résoudre cette problématique en redoublant d’ardeur aux prochains examens. Si cette fois il réussit, la résolution de ce conflit aura été possible grâce à l’assimilation. Ainsi, son engagement sera confirmé et aucun changement au sein de l’identité n’aura été produit. S’il échoue à nouveau, cette assimilation ne fonctionnera pas et les émotions négatives envers cette situation risquent fortement de s’amplifier. En conséquence, les échecs répétés à assimiler peuvent donc affaiblir l’engagement de cet adolescent à devenir un scientifique. L’adolescent pourra donc décider de quitter le cégep afin de se retirer complètement de la situation, ce qui aura comme impact de faire disparaître ses engagements envers ce type d’études. Il pourra aussi utiliser l’accommodation afin de changer ses engagements et ajuster son identité, par exemple en choisissant de bifurquer vers des études de niveau moins élevé touchant tout de même à la science, tel que le programme d’études en conduite de procédés de traitement de l’eau menant à un diplôme d’études professionnelles (DEP). (Kunnen et Bosma, 2006)
Il est toutefois important de mentionner que pour faire disparaître un engagement, celui-ci doit souvent être confronté à plus d’une situation conflictuelle. Tel que mentionné dans l’exemple ci-haut, l’adolescent a dû faire face à plus d’un échec avant que son engagement s’affaiblisse, ce qui a alors laissé place au changement et à l’accommodation. (Kunnen et Bosma, 2006) En terminant, ce modèle propose donc d’entrevoir la pratique de conseil en orientation de cette façon :
Plutôt que de se fonder sur des auto-évaluations de caractéristiques personnelles stables et décontextualisées comme on les recueille traditionnellement (par exemple des traits de personnalité, des intérêts, des préférences…mais tout cela n’est sans doute par à jeter !), le praticien devrait se focaliser directement sur les interactions qu’entretiennent, à ce moment donné de son existence, l’individu et les contextes significatifs dans lesquels il vit : les perceptions qu’il a des évènements de ces contextes (comme l’injonction à l’orientation, ses évaluations scolaires), l’importance qu’il leur accorde comparativement à celle qu’il accorde à d’autres évènements de sa vie, la façon dont il se sent perçu et « attendu » par les autres qui comptent pour lui, ce qu’il est prêt à faire pour trouver un équilibre entre ses attentes personnelles et celles des contextes, les ressources qu’il se sent aptes à mobiliser pour cela, et, si ce n’est pas le cas, pourquoi, etc. (Dumora et Bariaud, 2006, p.6)
En somme, ce qui importe de retenir de ce modèle est que le développement de l’identité est de nature relationnelle et dynamique, que sans conflits et émotions, il n’y a pas de changement au plan de l’identité et que les engagements évoluent dans l’interaction et les transactions entre le sujet et son contexte.
 
 
Dubar, un sociologue français, présente l’identité comme étant le résultat de socialisations successives entre un sujet et les différentes instances sociales dans lesquelles il évolue (famille, école, amis, groupes sportifs, travail, etc.). (Dumora et al., 2008) La socialisation dite primaire est celle qui se vit avec la famille d’origine alors que celle dite secondaire est plutôt rendue possible par la participation à différents groupes sociaux, les plus importants étant souvent l’école et le travail. (Laing, 1971) Selon Laing (1971), les groupes auxquels prend part un individu peuvent se voir exposer des règles entrant en contradictions les unes les autres. Ainsi, lorsqu’il y a désaccord, cela engendre des reconstructions au sein de l’individu, par la mise en œuvre de stratégies identitaires et ce, dans le but de réduire l’écart entre les différentes contradictions. (Doray, 1992)
D’ailleurs, celui-ci a soulevé au sein de ses recherches ces deux concepts : celui de formes identitaires et celui de transaction. Par formes identitaires, Dubar distingue l’idée de formes symboliques et construites par les sujets à l’intérieur desquelles ils « se racontent, argumentent et s’expliquent. » (Dumora et al., 2008, p.7) C’est ainsi qu’une personne se définit d’une façon satisfaisante pour soi tout en cherchant la validation de l’environnement social dans lequel elle évolue. Selon Dubar, la construction de l’identité est possible grâce à la socialisation et par « le récit de soi dans des « formes identitaires ». » (Dumora, et al., 2008, p.7) Le second concept, celui de transaction, est expliqué du fait que l’identité est une  « transaction entre une identité pour soi et une identité pour autrui. » (Dumora et al., 2008, p.7) En effet, tout sujet s’engageant dans une action collective se voit allouer une identité par et pour autrui, signifiant ainsi la façon dont les autres perçoivent le sujet.  Or,
« l’identité pour soi » est un processus biographique de mise en relation des identités héritées et des identités visées par le récit de soi, l’histoire que le sujet se raconte ou raconte à autrui de sa propre vie (Dubar, 1998). Quant à « l’identité pour autrui», c’est un processus de mise en relation des identités attribuées par autrui et des identités incorporées par des identifications à des types d’Autrui saillants dans une société ou un entourage. (Dumora et al., 2008, p.8)
En d’autres mots, l’identité pour soi est l’ensemble de traits identitaires ancrés par le passé, par la transmission de l’héritage et par la reproduction de l’identité d’une génération à l’autre. Pour sa part, l’identité pour autrui est une construction possible grâce à la relation à l’autre. Il s’agit d’une production du social et non d’une reproduction du social tel qu’est le cas pour l’identité pour soi. De plus, ce modèle permet de prendre en compte dans quels contextes évoluent l’individu, puisque ce sont ces contextes qui lui ont permis de se former une identité.
En contexte d’entretien de conseil tel qu’en orientation par exemple, ce théoricien préconise de laisser le client se raconter sous formes de récits de soi. Selon lui, une simple introspection de l’individu sur ses caractéristiques personnelles, telles que ses préférences ne suffit pas. Selon les propos de Dubar, cités par Dumora et al., il s’agit davantage d’un « vrai travail de production de soi par le récit de ses pratiques, de ses expériences, même douloureuses, de ses contraintes et de ses projets, et du sens (à la fois la direction et la justification) que l’on décide de leur donner. » (2008, p.8) Cette mise en récit par l’individu laisse donc entrevoir la manière dont il se construit sa propre réalité. (Dumora et al., 2008)
 
Au Québec, le docteur en counseling et professeur retraité de l’Université du Québec à Montréal Luc Bégin s’est intéressé depuis une vingtaine d’années à la problématique identitaire et plus spécifiquement à l’identité en contexte d’orientation. On lui doit plusieurs écrits sur le sujet dont les livres Identité du moi (1990) et Reconstruire le sens de sa vie (1998).
Les recherches de Bégin l’ont mené à formuler la théorie psychogénétique de l’identité, ayant comme précepte « qu’il est possible de comprendre comment les individus construisent leur monde. » (Bégin, 1998, p.69) Ainsi, selon Bégin, l’identité correspond à l’action d’organiser ses expériences et cette organisation est celle qui lui fournira un sentiment de continuité, de cohérence et d’unité, caractéristiques de l’identité personnelle telles que soulevées ultérieurement. En d’autres mots, « l'identité [est] essentiellement considérée comme étant constituée de catégories d'expériences personnelles qui doivent se construire pour que la personne puisse donner un sens à ce qui survient dans sa vie. » (http://irfcpo.org/home/)  
Un concept défini par Bégin dans sa théorie est la catégorisation. Selon lui,  la catégorisation est « l’activité dirigée de l’esprit qui lui permet de réduire la diversité expérientielle à des dimensions manipulables par l’esprit, d’une part, et d’autre part, de l’intégrer à un corpus expérientiel en voie constante d’organisation. » (1998, p.81-87) En d’autres mots, la catégorisation permet d’organiser nos construits ou représentations afin de donner du sens à des expériences qui surviennent au cours de notre vie. Selon Bégin et Ross (2007), « cette catégorisation se réalisera […] en autant que les stimulations appropriées l’amènent à le faire. Il faut comprendre la stimulation ici comme une pression à laquelle l’individu est confronté, sans pouvoir y échapper, et qui l’oblige à modifier sa perception. » (p.8-9) Ainsi, un évènement déclencheur vécu en tant que pression tel qu’un refus dans un programme de formation par exemple, pourra engendrer des changements au sein de la perception de la personne vivant ce refus.
Pour sa part, le concept d’activité catégorielle permet de « relier entre elles un ensemble d’expériences passées qui ont une signification communes. » (Ross et Bégin, 2007, p.7) L’activité catégorielle donne donc naissance à l’identité et le sentiment d’être soi qui sera engendré pourra être vécu comme étant positif ou négatif, ce qui tire des ressemblances du modèle d’Erikson où l’identité dépend entre autre des résolutions positives ou négatives à chacun des stades (sans la notion de stades dans la conception de Bégin). Selon Bégin, l’identité est :
le résultat de l’activité ininterrompue du système cognitif qui la construit à chaque instant. Si l’identité personnelle acquiert cette apparence de constance que l’on a surtout fait ressortir jusqu’ici en psychologie, c’est que la base des expériences préservées en mémoire, sur laquelle opère le système cognitif en même temps qu’il traite l’information résultant de l’interaction avec le milieu qui se traduit à son tour en expérience, comprend l’ensemble de l’histoire individuelle. (http://irfcpo.org/home/)
De plus, dans son livre Reconstruire le sens de sa vie, Bégin (1998) a émis trois hypothèses en lien avec sa conception de l’identité et pouvant aussi s’appliquer en contexte de choix de carrière. Celles-ci sont présentées à la page suivante.
1.      « Les individus recherchent des milieux d’activités (travail, relations interpersonnelles significatives) d’un niveau de complexité correspondant à celui des schèmes dont ils disposent.
 
2.      Les milieux ont, en retour, des exigences de complexité que l’individu doit satisfaire pour s’y adapter et pour s’y sentir adapté.
 
3.      La capacité adaptative de l’individu sera en fonction du degré d’organisation des schèmes catégoriels dont son système psychologique dispose. » (p.88-89)
 
Or, Bégin a élaboré un instrument nommé Épreuve Groupements. Il s’agit d’un instrument diagnostic permettant d’analyser la manière dont est organisée l’expérience par un individu. Il s’agit donc de reproduire à plus petite échelle, l’activité de catégorisation précédemment soulevée afin d’évaluer le niveau de structuration ou d’organisation de l’identité des individus dans le but de comprendre leur fonctionnement global au regard de l’identité. Ainsi, les réponses à cette épreuve renvoient aux stratégies employées par une personne pour « construire les significations qui guident sa vie. […] [Les résultats] traduisent l’être qui s’y soumet. » (Bégin et Ross, 2007, p.v-vi)
Sommairement, l’Épreuve Groupements comprend trente-sept cartons numérotés sur lesquels y est inscrite une phrase courte décrivant une activité, telle que Isoler un plafond, Transporter des blessés, Étudier les coutumes d’un peuple primitif, Conseiller des personnes qui ont des problèmes d’orientation ou encore Soigner un blessé. La procédure de passation de cet instrument est simple. En effet, le sujet reçoit les trente-sept cartons et il doit associer ceux qu’il croit aller ensemble. Il n’y a pas de limites en ce qui a trait aux associations. Ainsi, plusieurs cartes peuvent être assemblées alors que d’autres peuvent être laissées seules. Pour chacun des groupements effectués, le sujet doit donner la raison pour laquelle ces cartons vont ensemble. Les cartons laissés seuls n’ont pas à être justifiés. Il est important de souligner à la personne soumise à cette épreuve qu’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses. (Ross et Bégin, 2007)
Les résultats qui sont obtenus (groupements et justifications) sont ensuite analysés afin de produire un diagnostic identitaire défini comme étant « l’identification des zones d’organisation personnelle susceptibles de faciliter ou d’entraver l’adaptation aux différentes situations de la vie, que ce soit à l’école, au travail ou dans la vie personnelle. » (http://irfcpo.org/home/) Seule une personne ayant suivi une formation peut effectuer le travail d’interprétation. L’Épreuve Groupements s’avère un instrument utile en contexte d’orientation scolaire et professionnelle. En effet, l’interprétation d’une production à cette épreuve permet au conseiller d’orientation d’obtenir de l’information sur son client, à savoir « la stabilité de son orientation professionnelle, voire de sa capacité de s’orienter, du niveau de ses aspirations professionnelles et de la direction générale de son orientation, à savoir les familles professionnelles qui s’avèreront les plus immédiatement attrayantes pour lui. » (Bégin, 1990, p.41)
D’ailleurs, la théorie psychogénétique de l’identité soutenant cet instrument a été développée en tout premier lieu à partir de problématiques liées à l’orientation. Bégin conçoit l’orientation telle qu’une discipline allant au-delà de l’adéquation individu-travail comme elle est souvent représentée, mais plutôt comme « une discipline qui s’attarde à intervenir sur les diverses difficultés identitaires des individus afin de leur permettre de transposer une identité « suffisamment construite » en termes professionnels. » (Ross et Bégin, 2007, p.4) De ce fait, l’Épreuve Groupements permet de cibler ce qui fait en sorte qu’une personne possède des difficultés à s’orienter d’elle-même et donc de pouvoir intervenir en conséquence à ce diagnostic.
Bégin a donc voulu, par ses recherches sur la formation de catégories, saisir de quoi est formée l’identité, mais aussi comprendre comment elle se forme. Partant de cette prémisse selon laquelle l’identité « se forme au fur et à mesure que la personne vit des expériences, celles-ci faisant l’objet de catégorisation par le système cognitif » (Bégin, Bleau et Landry, 2000, p.48), Bégin est d’avis qu’une personne doit catégoriser les informations envoyées par les différentes activités et expériences afin de leur donner un sens. (Ross et Bégin, 2007)
***
À la lumière de cette recension de quelques modèles liés au développement de l’identité, il est possible de dégager des éléments clés permettant de comprendre comment l’identité se construit. Plusieurs éléments sont en commun à travers les différentes modélisations soulevées, quelques points sont plutôt uniques à certains théoriciens. En tout premier lieu, force est de constater que l’identité se développe à travers les relations du sujet avec l’autre, l’autre pouvant être considéré comme la société, l’environnement social, la famille, les pairs, etc. En effet, tous les auteurs ont soulevé au sein de leur modèle, le caractère social de l’identité, qu’il s’agisse de notions de relation à l’autre, d’interactions, de transactions, de socialisation, de facteurs contextuels, de contextes sociaux, tous ces termes démontrent la nature relationnelle de l’identité. Donc, l’identité dépend d’autrui, car « Sans référence aux autres, l’identité ne saurait exister! » (Roy, 2011, p.3)
Parmi les modèles abordés ci-haut, seuls Waterman et Breakwell ont dégagé la notion d’émotions au sein de leur conception. Effectivement, du côté de Waterman, celle-ci a été soulevée par le concept d’expressivité personnelle référant au sentiment ressenti par une personne lorsque sa vie reflète exactement ce qu’elle est, ce qui renvoie à la réalisation identitaire. Pour sa part, Breakwell se réfère aux émotions vécues par une personne et qui l’amènent à changer au plan de son identité. Ces émotions sont conséquentes à une certaine menace à l’égard d’un engagement et permettent le changement de l’identité. D’ailleurs, d’autres modèles adhèrent à l’idée que pour qu’il y ait changement au sein de l’identité d’un individu, celui-ci doit faire face à une menace. Toutefois, cette notion de menace est aussi désignée sous les termes suivants : crise, exploration, conflit, tension, stimulation et pression. Ceux-ci surviennent à travers les relations à autrui, les différents contextes, les évènements, mais aussi à travers les expériences et situations nouvelles qui permettent à une personne d’être en contact avec de nouvelles réalités. Cela provoque donc certaines réinterprétations au plan identitaire et une nouvelle compréhension de soi.
Enfin, tel qu’il est possible de le distinguer, seul Erikson aborde le développement de l’identité à travers des stades, qui sont d’ailleurs des étapes données d’avance qui seront toutes traversées par un individu un jour ou l’autre dans son existence. Or, ce concept de stades a fait l’objet de plusieurs débats à travers les années, en réaction à sa nature pouvant être considérée comme étant linéaire, séquentielle et plutôt figée. En effet, il est possible de se questionner à savoir si ces huit stades se voient toujours traversés dans cet ordre précis par exemple. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Stades_du_d%C3%A9veloppement_psychosocial)
 

 
Contrairement à un courant plus traditionnel de l’orientation qui veut que s’orienter relève davantage de la connaissance de soi et de la connaissance du marché du travail, Bégin (1990) est d’avis que la capacité d’une personne de s’orienter dépend d’une identité bien formée. D’ailleurs, tel que mentionné antérieurement, cet auteur considère que « L’orientation professionnelle des individus se réalise par la transposition de leur identité personnelle en termes professionnels. » (Bégin, 1990, p.2) Cette étape est toutefois possible seulement si une personne a préalablement eu l’occasion de construire son identité et ensuite l’occasion ou l’aide pour la clarifier. (Bégin, Bleau et Landry, 2000) Pour leur part, certaines conceptions classiques ne considèrent pas nécessairement que la construction de l’identité soit préalable à la connaissance de soi, mais plutôt comme étant deux concepts interreliés :
clarifier l’identité aide celle-ci, d’une certaine façon, à se développer, à se construire, si elle ne l’est suffisamment. Il y a une certaine équivalence : développer son identité, c’est la clarifier. Et vice versa. L’identité est alors vue comme un contenu qu’il s’agit de connaître et de clarifier. (Bégin, Bleau et Landry, 2000, p.29)
Contrairement à ces conceptions classiques de l’orientation, d’autres conceptions sont plutôt en accord avec l’idée que l’identité « ne consiste pas en un contenu à connaître et à clarifier, mais plutôt en une base, une structure, une organisation, un fondement qui doit se construire et dont la construction ne peut être tenue pour acquise. » (Bégin, Bleau et Landry,        2000, p.30)
Considérant les statistiques soulevées à la section précédente en ce qui a trait aux difficultés d’orientation qui sont entre autre liées à des difficultés de construction identitaire, il va de soi, tel que le souligne Lannegrand-Willems (2008) que les professionnels de l’orientation ont un rôle à jouer afin d’aider les jeunes dans leur quête d’identité. En effet,                        « Accompagner les personnes dans leur orientation, c’est donc les aider à se former une représentation de soi pour soi, mais également à prendre en compte […] les représentations de soi que les autres renvoient. » (Cohen-Scali et Guichard, 2008, p.3) Ainsi, l’orientation est alors conçue comme un processus développemental, plus spécifiquement comme « un cheminement continu au cours duquel la personne, partant de ses ressources individuelles, construit sa propre identité et la transpose au plan professionnel. » (CSÉ, 2002, p.13) Selon Bégin, Bleau et Landry (2000), les conseillers et conseillères d’orientation détiennent au sein de leurs pratiques :
un rôle d’aide auprès des élèves ayant une problématique identitaire particulière, sans oublier l’aide individuelle nécessaire à beaucoup de jeunes pour faire le point sur leur orientation et les assister en fonction de leur problématique spécifique afin qu’ils réussissent à s’orienter. [Leurs] interventions peuvent alors porter tant sur la structure de l’identité pour aider l’élève dans ses difficultés à cet égard, que sur son contenu pour aider l’élève à clarifier son identité, ou sur le contexte pour l’aider à la transposer en termes professionnels. (p.93)
Toutefois, toujours selon Bégin, Bleau et Landry (2000), malgré que les précédentes fonctions puissent aider plusieurs clients à cheminer au plan personnel et vocationnel, certains spécialistes de l’orientation considèrent : 
[qu’] un certain nombre de personnes qui consultent pour des difficultés d’orientation ne sont pas aidées par les techniques et les interventions traditionnelles d’orientation et de clarification de l’identité : le counseling d’orientation, la psychométrie, les techniques de prise de décision, l’information scolaire et professionnelle, etc. L’aide auprès de ces personnes relativement à la clarification du concept de soi, de l’identité et de sa transposition en termes vocationnels ne semble pas donner les résultats souhaités […] une intervention à caractère thérapeutique peut parfois s’avérer nécessaire…(p.29-30)
Dans cette lignée, il peut donc être inadéquat d’entreprendre un processus d’orientation avec une personne présentant un problème d’orientation sous-tendant un problème d’identité. En effet, cette métaphore de Condamin (1996) reprise par Bégin, Bleau et Landry (2000) rappelle que « Le développement de l’individu se construit comme une seule et même maison, avec ses bases, ses murs et son toit, et il est inutile d’essayer de faire un toit lorsqu’il n’y a ni murs solides ni bases établies. » (p.32) C’est donc dire qu’il est nécessaire de résoudre ses problématiques d’identité avant même d’aborder la question de l’orientation…
Dans un même ordre d’idées, il a été soulevé précédemment que l’identité se développe entre autre à travers les diverses influences issues d’abord du milieu familial et ensuite du milieu scolaire et des différents milieux sociaux auxquels le jeune prend part. Sachant qu’un jeune passe plusieurs heures par jour à l’école, les diverses interactions qu’il y vit devraient lui permettre de développer son identité. En effet, le CSÉ (2002) a repris les propos de l’OCCOQ (1995) étant que l’identité se développe « à travers des activités intellectuelles, scientifiques, sociales, physiques, artistiques et culturelles, et ce, en interaction avec des adultes. » (CSÉ, 2002, p.14)
Or, afin d’aider les jeunes à se construire une identité claire à travers les activités d’apprentissage effectuées à l’école, l’approche orientante, créée au début des années 2000 par le Ministère de l’éducation du Québec (2002), est une stratégie pédagogique qui suggère un accompagnement de l’élève dans sa construction identitaire, ainsi que dans son cheminement vocationnel. Cette approche a pour objectif de faciliter la démarche d’orientation en proposant différentes activités dans le but de permettre à l’élève de construire et de structurer son identité. Elle a aussi comme mandat d’aider l’élève à effectuer des liens entre les apprentissages qu’il acquière à l’école et le monde du travail.
Plusieurs sont les acteurs pouvant intervenir au sein de l’école orientante. Or, le conseiller d’orientation détient un rôle important dans la mise en place et le bon fonctionnement de l’approche orientante au sein du milieu scolaire. En effet, il est considéré comme la personne-ressource puisqu’il est entre autre celui qui « maîtrise le mieux les fondements de l’orientation, celui qui possède une base solide quant au concept de l’identité…» (Bégin, Bleau et Landry, 2000, p.92) Il est donc celui qui chapeaute le projet à l’intérieur de l’école et qui apporte son soutien et son expertise aux membres de l’équipe-école qui intègrent à leurs pratiques éducatives, des ressources formatives permettant d’aider les jeunes à se construire au plan identitaire dans le quotidien scolaire. En effet, les pratiques éducatives permettent un apprentissage qui réfère à un acquis de savoirs, de contenus, alors que les pratiques formatives consistent plutôt « dans l’élaboration de substrats qui permettent l’acquisition de contenus. » (Bégin, 2001) En d’autres mots, les activités éducatives ciblent un acquis de savoirs, de notions, de techniques quelconques, de comportements, de connaissances etc. (Bégin, Bleau et Landry, 2000) tandis que les activités formatives permettent plutôt, par l’entremise de la relation avec l’autre,
la formation, la construction, la croissance, le développement de la façon de penser, de la conception de différents aspects de la réalité, de l’organisation psychologiques de la personne, de sa structure psychologique, des mécanismes psychologiques internes. (Bégin, Bleau et Landry, 2000, p.39)
Brièvement, les assises de l’approche orientante sont celles de la théorie psychogénétique de l’identité de Bégin qui a été discutée précédemment et celles de la théorie de John Holland qui pour sa part, « propose que la personnalité des gens peut être décrite à l’aide de six dimensions […] elles touchent entre autres aux aptitudes, aux attitudes, aux intérêts, aux valeurs, aux mécanismes d’adaptation, aux traits de personnalité, aux aspirations. » (Bégin, Bleau et Landry, 2000, p.44) Or, les six dimensions sont chacune associée à un univers : Réalisme (l’univers de la réalité), Investigatif (l’univers de la science), Artistique (l’univers de la créativité), Social (l’univers de la communication et des relations interpersonnelles), Entreprenant (l’univers du leadership) et Conventionnel (l’univers du quotidien). (Bégin, Bleau et Landry, 2000)
Ainsi, chaque dimension a une signification en ce qui concerne l’identité et sa construction peut être favorisée de différentes façons. Le tableau à la page suivante offre une définition des dix dimensions de la personnalité, des exemples de difficultés pouvant être perçues chez les personnes pour qui la dimension est peu ou pas construite, ainsi que quelques interventions possibles afin de favoriser leur construction.

 


Tableau 4 : Six dimensions de la personnalité d’Holland
 
Sens de la réalité
Sens de la rigueur
Sens de l’initiative
Sens de l’autre
Sens de l’influence
Sens de l’ordre et du devoir
 
Définition
 
Implique le contact avec la réalité, la préoccupation ou le besoin d’éléments factuels. Elle touche la prise de décision, la possibilité d’arrêter des décisions, car c’est en faisant appel aux éléments de la réalité que plusieurs décisions personnelles sont prises.
 
 
Cette dimension renvoie à l’idée de la logique, de l’exactitude et de la précision dans les façons de faire.
 
 
 
Cette dimension concerne la créativité, l’innovation, et le besoin d’initiative.
 
Réfère à l’ouverture, à l’engagement et à l’empathie envers les autres. Elle détermine également la capacité d’une personne à s’investir dans une relation, dans un projet de vie ou tout autre rapport avec les gens.
 
 
 
Cette dimension renvoie aux besoins d’influencer et d’avoir du leadership.
 
Cette dimension détermine comment la personne intègre son quotidien dans la vie de tous les jours, sa relation avec les aspects répétitifs de la vie, avec la routine.
Difficultés si cette dimension n’est pas construite
- Difficulté à arrêter des choix;
- Facilement influençable par ses pairs ou les médias;
- Adhésion à des croyances magiques;
- Possibilité de vivre de l’anxiété à l’égard du futur qui peut se manifester par de la rigidité et de l’impulsivité.
 
 
- Réponses souvent incomplètes;
- Approximation dans ses travaux;
- Ne voit pas la nécessité de respecter un cadre.
- Évitement des situations qui demandent de faire preuve d’initiative;
- Malaise dans les situations ambigües;
- Besoin marqué d’encadrement et de directives claires;
- Difficulté à prendre des risques.
- Attitudes égocentriques;
- Difficulté à établir des relations interpersonnelles profondes;
- Difficulté à prendre soin ou à se préoccuper des autres;
- Difficulté à s’engager dans des projets d’ordre personnel ou autre.
- Évitement de situations qui demandent d’influencer les autres et de les guider;
- Difficulté à exercer le leadership et/ou évitement des situations demandant un leadership.
- Difficulté à supporter la routine;
- Tendance à la procrastination et au désordre ou souci exagéré de l’ordre et du contrôle dans ce qu’il fait;
- Difficulté à respecter les obligations quotidiennes.
 
Interventions possibles
 
 
 
- Demander les raisons face à un choix;
- Confronter les préjugés ou idées préconçues;
- Insister pour que les élèves s’appuient sur des faits pour agir ou s’exprimer.
 
- Fournir et maintenir un cadre rigoureux;
- Être exigeant intellectuellement;
- Demander de préciser leur pensée ou d’utiliser un vocabulaire approprié;
- Demander le respect d’échéanciers très précis et serrés.
- Amener les élèves à s’exprimer dans des situations où il n’y a pas de bonne réponse;
- Amener les élèves à faire preuve d’initiative;
- Faire vivre des situations non structurées;
- Favoriser l’originalité et l’innovation.
 
- Travail d’équipe et de coopération;
- Activités d’implication communautaire;
- Débats où les jeunes ont à exprimer leurs différences;
- Interventions auprès d’élèves manquant de respect.
 
- Amener les élèves à faire preuve de leadership;
- Intervenir sur le type d’influence que les élèves exercent;
- Organiser des joutes oratoires.
 
- Demander aux élèves de réaliser des tâches répétitives, claires et bien définies selon un ordre préétabli;
- Établir des responsabilités quotidiennes.
Source : Tableau inspiré du livre L’école orientante : la formation de l’identité à l’école (Bégin, Bleau et Landry, 2000, p.79-80)


Ainsi, ces interventions permettront à un élève de construire son identité seulement si elles engendrent une situation d’inconfort et « subit une pression [psychologique] à laquelle [il] ne peut échapper et qui force la modification de sa perception. » (Bégin, 2001, p.206) Donc, les différentes interventions n’auront pas les mêmes impacts pour chacun, dépendamment de la pression qu’elles exerceront sur l’individu. D’ailleurs, pour favoriser les impacts des interventions sur le jeune, il est important selon Bégin, Bleau et Landry (2000) « qu’un adulte significatif puisse intervenir à son égard et, entre autre, lui faire remarquer [ses attitudes et comportements par exemple] […] c’est à travers des interactions avec d’autres personnes, et plus particulièrement avec des adultes, que le jeune va construire son identité. » (p.56) Donc, les adultes tels que les enseignants qui accompagnent les élèves dans différentes activités doivent intervenir auprès des étudiants afin de permettre certaines prises de conscience qui les amèneront à changer.

Plusieurs activités orientantes peuvent être expérimentées en classe, dans le cadre même des cours. Toutefois, d’autres milieux et pratiques peuvent favoriser la construction de l’identité, que ce soit la participation à des activités parascolaires, l’implication dans une coopérative étudiante, la pratique de bénévolat, l’organisation du spectacle de fin d’années, le vécu d’un stage en entreprise, etc., en autant que celles-ci soient supervisées par des adultes qui possèdent des attitudes orientantes et qui interviennent de façon appropriée au développement. (Bégin, Bleau et Landry, 2000) En somme, la mission de l’école (l’approche) orientante est de permettre à l’élève de parvenir, selon Bégin (2001) :

aux moments importants de son évolution scolaire avec les caractéristiques psychologiques qui lui permettront d’avoir le sentiment d’être ‘identique à lui-même’ ou […] d’avoir une identité stable. […] Parce que l’identité, c’est le sens que l’on donne à sa vie, c’est le sens que l’on attribue aux expériences que l’on vit.  (p.210)

Or donc, lorsqu’une personne est en mesure d’octroyer un sens à ses apprentissages et à l’école en général, cela pourra avoir pour conséquences qu’elle s’y intéresse davantage et qu’elle ait le désir de persister dans ses études jusqu’à l’atteinte de l’objectif convoité. (Bégin, 2000)



[1] Brodeur, V. (2013). Les pratiques professionnelles de conseillers et de conseillère d’orientation du réseau d’enseignement collégial public au regard de l’intervention sur l’identité de la personne. Rapport d’activité dirigée présenté à la faculté d’éducation en vue de l’obtention de la maîtrise en orientation profil : carriérologie. Document disponible en ligne : http://orientationpourtous.blogspot.ca/2013/02/essai-en-ligne-lintervention-sur.html
 
 
[2] « Les perspectives développementales associent la découverte de soi à l’identité personnelle. Les théories évoquées sont attachées aux aspects intégratifs de l’identité et sont focalisées sur la manière dont l’individu parvient plus ou moins facilement à construire une représentation cohérente de lui-même, à partir de son histoire personnelle, et en envisageant ce qu’il souhaite devenir. » (Cohen-Scali et Guichard, 2008a, p.4)
[3] D’après Cohen-Scali et Guichard (2008a), « les perspectives contextuelles attribuent une place centrale aux identités sociales (issues de la découverte de soi ou de la construction de soi) et au rôle des contextes sociaux. Ces théories s’intéressent globalement aux déterminants sociaux des représentations de soi et leur changement. » (p.4)
[4] L’approche cognitive « s’intéresse au développement de la personnalité à travers l’évolution des processus psychologiques donnant lieu à l’émergence du Soi […] au traitement de l’information dans des contextes sociaux et dont l’objectif est de rendre compte de la tendance que manifestent les individus à répondre de façon constante aux stimulations du milieu » (Essopos, 2007, notes de cours)
[5] « Le moment où une capacité donnée apparaît pour la première fois (ou apparaît sous forme testable), ou comme cette période où un certain nombre d’éléments corrélatifs sont si bien établis et intégrés que le degré suivant du développement peut être amorcé avec assurance ». (Erikson, 1968, p.103)
[6] La notion de crise peut être conçue comme « un synonyme de tournant nécessaire, de moment crucial dans le développement lorsque l’individu doit choisir entre des voies parmi lesquelles se répartissent toutes les ressources de croissance, de rétablissement et de différenciation ultérieure […] une période cruciale de vulnérabilité accrue et de potentialité accentuée. » (Erikson, 1968, p.11, 98)
[7] Appellation employée en Europe pour la profession de conseiller d’orientation
[8] Les états identitaires sont « des moments d’un processus de développement dynamique qui fonctionne sur le mode déséquilibre/rééquilibration […] Aucun état n’est définitif ni fermé sur lui-même ou encore exclu du processus de construction identitaire. » (Gohier, Anadón et Chevrier, 2008, p.817)
[9] C.O.P est une abréviation pour Conseillers d’orientation psychologues

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