mardi 15 janvier 2013

COMPRENDRE L'ÉPUISEMENT PROFESSIONNEL... selon Éric Péloquin, c.o.


Comprendre l’épuisement professionnel 

 

Pour obtenir une copie pdf de l'essai complet d'Éric Péloquin sur les pratiques de conseillers d'orientation oeuvrant auprès de personnes aux prises avec de l'épuisement professionnel, veuillez m'écrire: cournoyer.louis@uqam.ca ou aller directement télécharger le document en cliquant sur ICI 


Éric Péloquin, c.o.[1]



L’épuisement professionnel est un concept faisant l’objet d’une quantité très importante de recherches scientifiques. Donc, les descriptions proposées n’ont pas la prétention d’être exhaustives. Toutefois, elles représentent tout de même un grand survol des approches conceptuelles et des stratégies d’intervention développées par des chercheurs et des professionnels très reconnus dans leur domaine respectif.


De récentes recherches démontrent que l’épuisement professionnel peut être différencié des autres troubles mentaux. Plus spécifiquement, Schaufeli (2003) mentionne : « L’épuisement professionnel peut être considéré comme un trouble mental qui peut être différencié cliniquement et empiriquement des autres troubles mentaux, plus particulièrement la dépression[2] » (p. 5). Selon Freudenberger (1987), l’épuisement professionnel est « […] généralement temporaire et orienté vers une situation précise dans la vie d’une personne […]. Une personne dépressive risque de se sentir coupable de tout ce qui ne va pas, celle qui est en train de se brûler aura plutôt tendance à éprouver de la colère » (p. 73). De plus, le fait que l’épuisement professionnel est relié au milieu du travail est un autre élément qui le distingue de la dépression, dont « l’état dépressif est prolongé et s’étend à tous les aspects de la vie d’une personne » (Ibid.).


Selon Schaufeli et Enzmann (1998), la forte corrélation entre l’épuisement professionnel et la dépression vient du fait que les deux partagent des symptômes similaires, notamment la perte d’énergie, le manque de motivation au travail et une attitude négative envers la vie. Malgré quelques similitudes, la distinction fut officiellement confirmée par les travaux de Bakker et associés (2000), et plus récemment par les travaux d’Ahola et Hakanen (2007). Pour Schaufeli (2003), cette différence a des implications pratiques et politiques importantes puisque cela sous-entend que l’épuisement professionnel devrait avoir un statut officiel et reconnu comme étant une raison légitime d’absence, de congés de maladie et d’incapacités à travailler.

 

Pour ce qui est de la détresse psychologique, le point de vue de Marchand (2004) nous renseigne un peu plus. Selon lui, la « notion de détresse psychologique se présente comme la plus générale dans sa définition et sa mesure, car elle chevauche à la fois les divers signes d’un déséquilibre psychique décrits et mesurés par les notions de dépression et d’épuisement professionnel » (p. 12). Elle est plus particulièrement associée à la phase prépathologique. Lorsqu’elle n’est pas traitée, la détresse psychologique peut entraîner des conséquences plus graves comme l’épuisement professionnel ou même la dépression sévère et l’alcoolisme par exemple (Ibid.).


Le surmenage, à la différence de l’épuisement professionnel, n’est pas nécessairement une conséquence directe du stress. Il est principalement relié à la quantité de travail effectuée. En fait, le surmenage est défini comme étant un « ensemble de troubles résultant d’un exercice excessif, d’un excès de travail » (Le Petit Robert, 2011). Travailler de façon excessive entraîne donc une très grande fatigue qui mène ainsi au surmenage. Plus précisément, Ahola et al. (2007) soulignent que le surmenage prédispose à l’épuisement professionnel.





Il existe plusieurs définitions, concepts et théories sur l’épuisement professionnel. Une des définitions les plus générales qu’il est possible de trouver sur l’épuisement professionnel est la suivante : « L’épuisement professionnel est un syndrome psychologique en réponse à une exposition chronique et prolongée au stress en milieu de travail[3] » (Maslach et al., 2001, p. 399). Dans cette définition, la notion de stress est importante.  

Selye, dont les concepts théoriques sont présentés par l’ouvrage de Sauvé (1997), précise que le stress « […] est un ensemble de perturbations organiques, psychiques, provoquées par des agents stresseurs qui entraînent des perturbations dans l’organisme » (p. 13). Il existe plusieurs formes de stress; Selye en identifie quatre catégories, soit les bons stress (eustress), les mauvais stress (détresse), les stress extrêmement plaisants (hyperstress) et les stress extrêmement déplaisants (hypostress). Ainsi l’important sera donc de « […] trouver un équilibre entre les forces destructrices qui sont les extrémités (hyperstress et hypostress) et de découvrir plus de bons stress que de mauvais stress » (Ibid., p. 18). Selye précise qu’une personne soumise à plusieurs mauvais stress pendant une période prolongée va vivre un processus en trois phases, c’est-à-dire une phase de réaction d’alarme, une phase de résistance et une dernière phase d’épuisement qui « […] par suite d’une exposition longue et continue au même agent stressant auquel le corps s’[est] adapté, l’énergie d’adaptation est finalement épuisée » (Ibid., p. 10-11). Ce processus en trois phases est ce qu’il nomme le syndrome général d’adaptation. Une personne sera donc stressée « […] quand l’intensité du stress accumulé dépasse son seuil optimal d’adaptation » (Ibid., p. 11). Lazarus et Folkman (1984) abondent en ce sens en mentionnant que le stress psychologique résulte d’un déséquilibre entre les demandes imposées par l’environnement et la capacité de l’individu à s’y adapter en fonction de ses ressources personnelles. Toutefois, dans leur définition du stress, ils apportent une nuance importante. Le stress peut aussi apparaître lorsqu’une personne perçoit que les ressources dont elle dispose sont insuffisantes pour faire face aux demandes. Ainsi, selon cette conception, la perception du manque de ressources autant que le manque de ressources lui-même peuvent tous les deux provoquer une réaction de stress chez un individu (Ibid.).

Quelques années plus tard, une nouvelle théorie sur le stress fut également proposée par Hobfoll (1989). Selon sa conception, le stress provient d’une réaction à l’environnement particulièrement en lien avec les ressources. Sa théorie comporte deux aspects importants. D’une part, le stress apparaît chez un individu lorsqu’il y a une menace de perdre des ressources ou une perte réelle. D’autre part, lorsqu’une personne perçoit que son investissement en ressources (temps, énergie, etc.) ne lui rapportera pas beaucoup de gains également en ressources (reconnaissance, statut, argent, etc.), cela provoque du stress (Ibid.). Par exemple, une personne pourrait faire preuve de dévouement pendant plusieurs années pour obtenir une promotion et apprendre un jour que le poste a été offert à un nouvel employé. L’iniquité que cela provoque et la frustration d’avoir investi autant de ressources pour peu de récompenses pourraient engendrer une escalade de stress chez cette personne. Enfin, selon ce même Hobfoll (1989), les individus recherchent activement le plaisir et le succès dans la vie et selon lui, ce courant psychologique fut ignoré dans les théories du stress.

Le concept de stress et d’épuisement professionnel peut également être abordé sous l’angle de l’inhibition de l’action, théorie élaborée par Laborit.

Celle-ci (l’inhibition de l’action) peut être considérée comme adaptative puisque résultant de l’impossibilité de la fuite et de l’insuffisance de la lutte. Si cette dernière était poursuivie, elle aboutirait à la mort de l’individu soit par destruction par l’agresseur, soit par épuisement. Mieux vaut alors l’inhibition et celle-ci, répétons-le, ne peut être que secondaire à l’apprentissage de l’inefficacité de l’action (Laborit, 1986, p. 195).

L’inhibition de l’action est donc un moyen d’adaptation pour un individu qui fait face à des situations stressantes, et tout comme le syndrome général d’adaptation de Selye, il peut, à la suite d’une longue exposition, entraîner des individus vers l’épuisement. Dans une situation où un employé vit énormément de stress au travail et que ce stress dépasse un certain seuil critique, il peut arriver qu’il se sente coincé entre son insécurité de quitter son travail (obligations financières, peu d’emplois dans le domaine, etc.) et son incapacité à modifier ses conditions de travail (peu de pouvoir, peur de congédiement, etc.). Ainsi, comme le mentionne Laborit, quand la fuite et la lutte sont impossibles ou semblent impossibles, l’employé acceptera de s’adapter à des niveaux de stress élevé souvent au péril de sa santé et parfois même jusqu’à l’épuisement.

Dans une optique plus biologique, une méta-analyse de 147 études sur le sujet démontrait récemment que le stress relié au travail et le stress de la vie en général produisent une augmentation de cortisol dans l’organisme (Chida et Steptoe, 2008, p. 275). Le cortisol est une hormone qui, produite sous l’effet du stress, modifie certains aspects biologiques (taux de sucre, pression sanguine, etc.) et qui permet à l’organisme de réagir pour combattre le stress. Cette même recherche démontrait que les facteurs psychosociaux comme la fatigue et l’épuisement professionnel par exemple, empêchent la production de cortisol. Ne produisant plus suffisamment de cortisol pour combattre le stress, les personnes deviennent ainsi vulnérables aux effets du stress (Ibid.). Une autre étude, celle-ci effectuée par Mommersteeg et al. (2006), en arrive aux mêmes conclusions, mais en spécifiant que les taux de cortisol sont particulièrement bas après le réveil matinal.

À ce jour, l’épuisement professionnel n’est pas cliniquement et officiellement reconnu comme une maladie parce qu’il ne figure toujours pas dans le Diagnostic and Statistical Manual (DSM IV), le manuel médical des troubles mentaux conçu par l’American Psychiatric Association (APA) aux États-Unis, ni dans la Classification internationale des maladies (CIM-10) de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). C’est pourquoi il est encore considéré comme étant un syndrome qui est défini comme suit : « Un ensemble de plusieurs symptômes ou signes en rapport avec un état pathologique donné et permettant, par leur groupement, d’orienter le diagnostic » (Dictionnaire Larousse, 2011). Selon Schaufeli (2003), les expériences cliniques en Europe démontrent que les employés souffrant d’épuisement professionnel qui ont reçu un traitement psychothérapeutique, mentionnent avoir des symptômes qui se rapprochent particulièrement du diagnostic de neurasthénie du CIM-10 (p. 3). La neurasthénie est définie comme étant une « névrose caractérisée par une grande fatigabilité, des troubles psychiques et physiques » (Le Petit Robert, 2011). Ce diagnostic se retrouve dans le cinquième chapitre du CIM-10 concernant les troubles mentaux et comportementaux et précisément dans la catégorie des troubles neurologiques, somatiques et reliés au stress. L’Organisation mondiale de la Santé (2007) présente la neurasthénie sous deux formes possibles. La première forme est associée à une augmentation de la fatigue après un effort mental et souvent accompagnée d’une diminution de la performance au travail et de la capacité d’adaptation. L’autre forme met l’accent sur les sentiments de faiblesses physiques, et ce, après un effort minimal seulement, en plus d’être accompagnée de douleurs musculaires et d’une incapacité à se détendre.

Au Québec, comme le précise Lafleur (1999), les médecins vont opter pour « […] un congé pour trouble de l’adaptation avec humeur dépressive, parce qu’on ne trouve pas encore le diagnostic d’épuisement professionnel dans les gros livres de psychiatrie; cette forme de souffrance n’a donc pas encore de numéro de code dans les formulaires des compagnies d’assurances » (p. 15). Ce diagnostic se retrouve dans l’axe 1 du DSM IV concernant les troubles psychiatriques. Selon le DSM IV, le trouble de l’adaptation s’associe au développement de symptômes dans les registres émotionnels et comportementaux, en réaction à un ou plusieurs facteur(s) de stress identifiable(s), au cours des trois mois suivant la survenue de celui-ci (ceux-ci). De plus, ces symptômes ou comportements sont cliniquement significatifs s’ils s’avèrent : 1) une souffrance marquée, plus importante qu’il n’était attendu en réaction à ce facteur de stress; 2) une altération significative du fonctionnement social ou professionnel (scolaire); une perturbation liée au stress ne répond pas aux critères d’un autre trouble spécifique de l’axe 1 et n’est pas simplement l’exacerbation d’un trouble préexistant de l’axe 1 ou de l’axe 2; et 3) les symptômes doivent également s’associer à autre chose que l’expression d’un deuil et ne pas persister plus de six mois. Concernant l’humeur dépressive, il est mentionné que « ce sous-type doit être utilisé lorsque les manifestations prédominantes sont des symptômes tels qu’une humeur dépressive, des pleurs ou des sentiments de désespoir » (Mini DSM-IV-TR, 2004, p. 282).

 

Une variété d’approches conceptuelles

L’émergence de l’épuisement professionnel et l’intérêt suscité pour la recherche ont incité plusieurs professionnels à élaborer des approches conceptuelles pour mieux comprendre et illustrer le phénomène. Il semble toutefois qu’aucune approche ne puisse rendre compte à elle seule de l’immense complexité de l’épuisement professionnel (Schaufeli et Enzmann, 1998). Malgré cette affirmation, les conceptualisations proposées dans la littérature scientifique peuvent tout de même être regroupées en deux grandes catégories d’approches distinctes, soit les approches individuelles et les approches interactionnelles et organisationnelles.

Tableau 3
Catégorisation des différentes approches conceptuelles du syndrome d’épuisement professionnel

Catégories d’approches
Approches conceptuelles

Individuelles
·      Approche psychologique (idéalisme)
·      Approche existentialiste
·      Approche des traits de personnalité

Interactionnelles et organisationnelles
·      Approche transactionnelle de Cherniss
·      Approche relationnelle de Maslach
·      Approche relationnelle de Leiter
·      Modèle organisationnel de Maslach et Leiter
·      Modèle de Karasek
·      Modèle de Siegrist
·      Modèle de Bakker et Demerouti


La première catégorie regroupe les approches individuelles aussi appelées approches cliniques, dont l’attention est portée principalement sur les observations cliniques, l’analyse des traits de personnalité, des fonctionnements psychologiques, des comportements, des valeurs de l’individu et autres qui entravent l’adaptation en milieu de travail. La deuxième catégorie regroupe les approches interactionnelles et organisationnelles, c’est-à-dire qu’elles priorisent l’analyse de l’interaction entre les facteurs individuels d’une personne et le contexte de travail en particulier. Ces approches sont considérées comme étant scientifiques parce qu’étant mieux supportées par les recherches empiriques (Schaufeli, 2003). Les approches individuelles sont surtout basées sur des observations qualitatives et expérientielles qui manquent parfois de support empirique parce que plus difficilement quantifiables (Ibid.). Le choix d’une approche ou d’une autre dépend majoritairement des croyances du chercheur et des besoins d’utilisation. Un psychothérapeute priorisera sûrement le plan individuel tandis qu’un consultant en entreprise sera plus intéressé à comprendre l’épuisement professionnel en contexte organisationnel (Ibid.).


Les approches individuelles

Freudenberger, par ses observations cliniques, est le premier à avoir inspiré cette catégorie d’approche. L’emphase est orientée vers le diagnostic, la relation d’aide, l’accompagnement individuel et la réhabilitation (Schaufeli, 2003). L’analyse des symptômes et des facteurs individuels reliés à l’épuisement professionnel est priorisée.


L’approche psychologique (idéalisme)

Freudenberger (1987) dit : « Tous ces gens avaient au départ de grandes espérances et des visions de réussite éclatante, […] pendant la plus grande partie de leur vie, ils avaient été pleins d’enthousiasme, d’énergie et d’optimisme » (p. 14). Dans la même optique que Freudenberger, pour Edelwich et Brodsky (1980), l’épuisement professionnel représente une perte progressive d’idéalisme, d’énergie et de sens au travail. Le modèle en quatre phases qu’ils ont proposé (l’enthousiasme, la stagnation, la frustration et la démoralisation) a contribué à l’avancement des recherches de l’épuisement professionnel, notamment en tant que processus graduel.

La phase d’enthousiasme représente l’idéalisme et l’ambition de la personne. Elle est caractérisée par un très haut degré d’investissement en temps et en énergie pour l’organisation dont elle fait partie. La phase de stagnation apparaît lorsque la personne se rend compte que malgré ses efforts constants, les résultats ne sont pas à la hauteur de ses attentes personnelles ou tout simplement non reconnus. La personne tentera d’y remédier en redoublant d’efforts, le niveau de stress augmentant. La phase de frustration est caractérisée par des signes sérieux comme la fatigue et la déception et beaucoup de difficultés à gérer les tensions (irritabilité, cynisme, colère, etc.). Enfin, la phase de démoralisation représente le sentiment de vide intérieur, la personne perdant tout intérêt pour son travail. À cette étape, l’absentéisme et l’évitement des clients, des collègues et des patrons sont plus présents. La personne n’offre plus aucune résistance (Edelwich et Brodsky, 1980).

L’objectif de cette approche vise donc une modification sur le plan des valeurs et des besoins des individus. Comme le mentionne Freudenberger (1987), « la perception, l’image que l’on a de nous, nous empêche de percevoir que nos problèmes sont peut-être reliés à des facteurs internes » (p. 25). L’idée principale sera donc de remplacer l’idéalisme problématique par un réalisme mieux adapté et ainsi éviter de revivre chacune des phases qui mènent à l’épuisement professionnel.



L’approche existentialiste

Pour Pines, l’échec d’une personne dans sa quête pour donner un sens à son existence constitue l’essence de sa conception de l’épuisement professionnel. Selon elle, « les gens idéalistes travaillent dur parce qu’ils s’attendent à ce que leur travail fasse partie d’un tout plus grand et que cela donne un sens à leur existence[4] » (Pines, 1996, p. 83). Sa conception est illustrée par la figure suivante :

Buts et attentes
Motivations universelles
Motivations spécifiques à la profession
Motivations personnelles
Environnement de travail supportant
Environnement de travail stressant
Buts et attentes comblés

Succès
Buts et attentes non comblés
Échec

Sens existentiel
Épuisement professionnel
 














Figure 1
Modèle de l’approche existentialiste de Pines
Source : Schaufeli et Enzmann (1998, p. 112)

Son modèle, inspiré de la psychologie existentialiste, distingue trois types de motivations au travail. Les motivations universelles (ex. : recherche de succès et d’appréciation), les motivations spécifiques à la profession (ex. : impact sur les clients) et les motivations personnelles quant au type de travail (ex. : le fait d’aimer le métier). Advenant qu’une personne ne réussisse pas à satisfaire ces motivations, elle vivra des sentiments d’échec qui mèneront progressivement à l’épuisement professionnel.

L’approche des traits de personnalité

Au-delà de l’idéalisme et de la quête de sens, certaines approches conceptuelles ont mis l’accent sur certains traits de personnalité ou fonctionnements psychologiques pouvant avoir une incidence sur les cognitions, les émotions et les comportements en milieu de travail. Selon Alacorn et al. (2009), les traits de personnalité suivants, incluant les cinq traits du Big Five (névrosisme, extraversion, ouverture à l’expérience, caractère consciencieux et agréabilité), doivent être considérés :

Tableau 4
Traits de personnalité et leur influence sur le développement de l’épuisement professionnel

Traits de personnalité favorisant l’épuisement professionnel
Traits de personnalité ne favorisant pas l’épuisement professionnel
Faible estime de soi
Bonne estime de soi
Sentiment d’efficacité personnelle faible
Sentiment d’efficacité personnelle élevé
Instabilité émotionnelle
Stabilité émotionnelle
Locus de contrôle externe
Locus de contrôle interne
Introversion
Extraversion
Caractère insouciant
Caractère consciencieux
Désagréabilité
Agréabilité
Affectivité négative
Affectivité positive
Négativisme
Optimisme
Personnalité inactive
Personnalité proactive
Abdication
Résistance

Source : Alacorn et al. (2009)

L’analyse de la personnalité permettra, selon cette approche conceptuelle, d’identifier des façons de penser (cognitions), des sentiments ou des comportements qui favorisent l’apparition de l’épuisement professionnel. Par exemple, une personne dont le locus de contrôle est externe doublé d’une personnalité inactive risque d’entretenir l’idée que l’employeur est responsable du problème et qu’il lui revient de procéder à des changements dans sa façon de faire. Au contraire, une personne dont le locus de contrôle est interne et dotée d’une personnalité proactive prendra probablement l’initiative de provoquer lui-même des changements pour retrouver une situation plus convenable. En terminant, comme le mentionnent Alacorn et al. (2009), même si des interventions organisationnelles sont effectuées pour modifier l’environnement de travail, il restera toujours quelques individus qui vivront de l’épuisement professionnel en raison de leurs traits de personnalité.


Les approches interactionnelles et organisationnelles

 

L’analyse de l’interaction entre l’individu et l’environnement constitue l’objectif de recherche et de conception de ces approches. Elles furent grandement inspirées par de Maslach. Tel que mentionné plus tôt, elles sont influencées par un mélange des facteurs relationnels, sociaux et organisationnels (Schaufeli, 2003). 

L’approche relationnelle de Maslach

Maslach considère l’épuisement professionnel comme étant « une expérience individuelle négative incorporée dans un contexte de relations interpersonnelles au travail qui implique la conception professionnelle de soi-même et des autres[5] » (Schaufeli et Enzmann, 1998, p. 115). Cette expérience individuelle négative, en réaction aux différents stresseurs en milieu de travail, comporte trois composantes, soit l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisation et la réduction du sentiment d’efficacité personnelle. Cette dernière composante n’était pas incluse dans la conception de Cherniss (1980). Sa conception de l’épuisement professionnel représente un continuum qui peut être illustrée de la façon suivante :




Épuisement émotionnel et physique
Stresseurs
Énergie
 




                                                                   VS
                                                                  
Dépersonnalisation
Engagement
 

                     VS
Sentiment d’efficacité personnelle
Réduction du sentiment d’efficacité personnelle
                                          
                                                                           VS

Figure 3
Conception de l’approche relationnelle de Maslach
Source : Maslach, 2008, p. 498

L’épuisement émotionnel et physique est la composante reliée aux effets du stress sur l’énergie de la personne. Elle réfère à la réduction des ressources personnelles physiques et émotionnelles (Maslach, 2008). La dépersonnalisation, quant à elle, fait référence à l’attitude et aux relations interpersonnelles en milieu de travail. C’est une forme de réponse détachée et négative envers plusieurs aspects du travail (Ibid.). Enfin, la réduction du sentiment d’efficacité personnelle représente la dimension évaluative de la personne; elle réfère aux sentiments d’incompétence, au faible degré d’accomplissement et de productivité au travail (Ibid.).

Ainsi, selon Maslach, une personne soumise à de mauvais stress pendant une longue période de temps commencera par vivre un épuisement physique et émotionnel. Dans le cas contraire, la personne sera pleine d’énergie. En conséquence à l’épuisement émotionnel et physique, des comportements de dépersonnalisation commenceront à apparaître envers la clientèle, les collègues et la direction de l’entreprise. Dans le cas contraire, la personne démontrera un bon niveau d’engagement pour l’entreprise. Finalement, après un certain temps, l’épuisement émotionnel et la dépersonnalisation entraîneront une réduction du sentiment d’efficacité personnelle. En général, les recherches sur l’épuisement professionnel ont établi la séquence entre l’épuisement émotionnel et physique et la dépersonnalisation. Toutefois, le lien avec la réduction du sentiment d’efficacité personnelle est moins clair; les données actuelles soutiennent le développement simultané de la troisième dimension plutôt que sous forme de séquence (Maslach et al., 2001). Les conclusions des travaux de Lee et Ashforth (1996) vont aussi en ce sens. Leurs résultats démontrent que la réduction du sentiment d’efficacité personnelle se développe très indépendamment de l’épuisement émotionnel et de la dépersonnalisation.

Cette conceptualisation de l’épuisement professionnel fut tout de même l’inspiration majeure dans la construction du Maslach Burnout Inventory : Human Services Survey (MBI-HSS) et du Maslach Burnout Inventory : Educators Survey (MBI-ES). Étant donné la croyance de départ voulant que l’épuisement professionnel soit relié aux professions aidantes, les outils étaient orientés en ce sens (Maslach, 2001). Toutefois, depuis que certaines recherches ont démontré que l’épuisement professionnel n’était pas uniquement relié aux professions aidantes, le Maslach Burnout Inventory : General Survey (MBI-GS) fut également créé. Il est adapté pour être utilisé dans l’ensemble des professions. La structure des trois composantes est similaire à la version originale (Schaufeli, 2003). Il existe également une version française du premier inventaire qui fut traduit et validé au Québec (Dion et Tessier, 1994).



Conception de Leiter

Toujours selon l’approche relationnelle et basée principalement sur les travaux de Maslach, la conception de l’épuisement professionnel de Leiter rassemble différents concepts. Sa conception intègre de nouveaux éléments découverts par la recherche notamment la distinction entre les demandes qualitatives et quantitatives et leur influence sur les composantes de l’épuisement professionnel. Voici une représentation graphique de sa conception :
Demandes interpersonnelles
(qualitatives)
Demandes sur charge de travail
(quantitatives)
Épuisement émotionnel et physique
Dépersonnalisation
Réduction du sentiment d’efficacité personnelle
Manque de ressources
 











Figure 4
Conception de l’épuisement professionnel selon Leiter
Source : Schaufeli et Enzmann, 1998 p. 118

Selon cette conception, les demandes interpersonnelles (ex. : conflits avec un collègue) et les demandes sur la charge de travail (ex. : temps supplémentaire) ont un impact sur l’épuisement émotionnel et physique. Le fait de manquer de ressources pour faire face aux demandes aurait plutôt un impact sur la dépersonnalisation et sur la réduction du sentiment d’efficacité personnelle. Les conclusions de Lee et Ashforth (1996) sont venues confirmer cette conceptualisation. Leur méta-analyse confirme deux choses en particulier. La première est que les individus sont plus sensibles aux demandes imposées qu’aux ressources obtenues pour faire face à ces demandes (Ibid.). La deuxième est que les associations entre les demandes et les ressources et les trois dimensions sont concordantes avec les explications de l’épuisement professionnel (Ibid.)


Modèle organisationnel de Maslach et Leiter

Toujours suivant l’idée que l’épuisement professionnel résulte de l’interaction entre les individus et leur environnement de travail, les recherches ont conduit Maslach et Leiter à vouloir identifier, plus en profondeur, les facteurs organisationnels qui en seraient responsables. Les conclusions des recherches ont permis l’identification de ces six facteurs organisationnels :

Tableau 5
Facteurs organisationnels en cause dans le développement de l’épuisement professionnel

Facteurs organisationnels
Explications
Charge de travail
Fait référence à la quantité élevée de travail exigée par l’entreprise.
Peu de contrôle sur son travail
Fait référence à l’incapacité de modifier les conditions de travail.
Manque de reconnaissance
Fait référence au manque d’appréciation pour le travail effectué.
Sentiment d’iniquité
Fait référence aux injustices vécues en milieu de travail.
Faible soutien social
Fait référence aux conflits relationnels non résolus en milieu de travail.
Conflits de valeurs
Fait référence à l’incompatibilité des valeurs de l’entreprise et de l’individu.

Source : Maslach (2008)

La charge de travail, lorsqu’elle excède les limites personnelles d’un individu, contribue à l’épuisement physique et émotionnel. Une augmentation de la charge de travail quantitative autant que qualitative diminue la capacité d’une personne pour y faire face. Lorsque la charge de travail est trop élevée, qu’elle devient une condition chronique en entreprise et que les occasions de repos et de récupération se font plus rares, les ressources d’un individu finiront par se consumer tranquillement pour entraîner éventuellement une fatigue extrême.

Le peu de contrôle sur son travail, aussi appelé le manque d’autonomie, contribue également à l’épuisement professionnel. Avoir l’occasion et un certain pouvoir d’organiser son travail permet à un individu, en entreprise, de trouver un meilleur équilibre personnel, et ce, spécifiquement lorsque des situations stressantes surgissent. Dans le cas contraire, l’incapacité de modifier certaines conditions de travail, d’avoir accès à des ressources ou tout simplement de ne pas avoir l’autorité suffisante pour prendre des décisions rendent la personne impuissante et vulnérable aux événements. C’est le cas notamment lorsque les pouvoirs décisionnels  sont confus dans l’entreprise, ce qui donne lieu à des conflits de rôle.

Le manque de reconnaissance en milieu de travail est aussi lié à l’épuisement professionnel. Le fait de ne pas se sentir reconnu (financièrement, socialement et institutionnellement) contribue particulièrement à la réduction du sentiment d’efficacité personnelle. Au contraire, une personne qui reçoit suffisamment de reconnaissance pour le travail qu’elle accomplit ressentira une satisfaction intrinsèque plus grande, ce qui lui fournit des ressources supplémentaires pour faire face à des périodes de stress importantes.

Le sentiment d’iniquité peut aussi être source d’épuisement professionnel. Lorsqu’une personne perçoit des injustices sur le plan des conditions salariales, des charges de travail, des privilèges et promotions accordés ou même des évaluations, elle aura le sentiment de ne pas être respectée et estimée à sa juste valeur. L’équité est essentielle pour favoriser un sentiment de collégialité entre les individus travaillant pour une même entreprise. Dans le cas contraire, le sentiment d’iniquité provoque une colère et une frustration qui mènent à l’épuisement émotionnel et au cynisme envers les collègues avantagés, la direction et en bout de ligne, envers les clients dans certains milieux.
Le faible soutien social est aussi un facteur à considérer en lien avec l’épuisement professionnel. Parfois, c’est l’organisation du travail comme telle qui ne favorise pas les relations. Mais généralement, ce sont des conflits non résolus entre des personnes qui entraînent de l’épuisement émotionnel. Le soutien social est une ressource importante pour faire face à des situations stressantes. En l’absence de soutien social, une personne se sentira isolée et beaucoup plus vulnérable aux effets psychologiques du stress.

Enfin, le dernier facteur organisationnel qui contribue à l’épuisement professionnel est le conflit de valeurs. Dans certains milieux, des gens peuvent se sentir contraints d’effectuer des tâches qui ne sont pas en accord avec leurs valeurs ou leur niveau d’éthique personnel. Devoir mentir pourrait être un exemple. Le conflit de valeur peut également émerger d’une différence entre les aspirations professionnelles d’une personne et la mission de l’entreprise. Une personne qui demeure dans un environnement dont les valeurs sont différentes des siennes, ressentira de la frustration, ce qui la rendra plus vulnérable aux effets du stress.




Le modèle de Karasek

Il est important de noter que certains facteurs furent en partie influencés par les modèles de Karasek et de Siegrist principalement utilisés en gestion des ressources humaines. Le modèle de Karasek propose une relation directe entre la charge de travail et le degré de contrôle (autonomie) comme prédicateur de satisfaction au travail. Une personne dont la charge de travail est élevée et qui possède peu de contrôle sur son travail est plus à risque de souffrir de pression psychologique et de problèmes de santé. Contrairement à une personne qui jouit d’une bonne latitude au travail, une charge de travail élevée engendrera plutôt chez elle une motivation d’apprentissage et de développement (Theorell et Karasek, 1996).



Demandes psychologiques
                                             Faibles                                  Élevées

Contrôle
Faible             Élevé

Peu de pression


Actif

Passif

Beaucoup de pression


Figure 5
Modèle de Karasek : demandes psychologiques versus contrôle
Source : Theorell et Karasek, 1996, p. 11.



Le modèle de Siegrist

Ce modèle met en relation les efforts fournis au travail et le niveau de reconnaissance obtenu. Selon sa conception, un débalancement entre les coûts (temps, énergie, efforts, etc.) et les gains (argent, estime et statut) engendre une détresse émotionnelle chez les individus (Siegrist, 1996). Les efforts fournis sont une combinaison des demandes extrinsèques (obligations de faire son travail) et des implications intrinsèques (besoins d’accomplissement, d’adaptation, etc.). Son modèle se présente sous la forme suivante :

Beaucoup d’efforts
Peu de reconnaissance
Argent
Estime
Statut
 



Extrinsèques
Intrinsèques
 


Figure 6
Modèle de Siegrist : efforts fournis versus la reconnaissance
Source : Siegrist, 1996, p. 30.
Les modèles de Karasek et de Siegrist font toutefois l’objet de certaines critiques. Premièrement, malgré leur simplicité, ils ne tiennent compte que de quelques facteurs. Les plus récentes recherches, notamment celles de Maslach, ont démontré qu’il y avait d’autres facteurs pouvant provoquer du stress en milieu de travail. Deuxièmement, comme le mentionne Bakker et Demerouti (2006), ils ne sont pas adaptés pour tous les types d’emploi et d’entreprise. Dans certains milieux, des facteurs comme l’iniquité ou le manque de soutien social seront plus importants à considérer. Ainsi, dans le but de développer une approche conceptuelle plus intégrative, ces derniers ont également développé leur propre modèle.

Le modèle de Bakker et Demerouti

Ce modèle intègre différentes approches conceptuelles. Il inclut notamment le concept de demandes et de ressources en milieu de travail. Il fait également un lien entre les six facteurs organisationnels de Maslach et Leiter présentés précédemment et leur catégorisation en tant que demandes ou ressources. Il inclut aussi le modèle de l’approche relationnelle de Maslach. Ainsi, en combinant tous ces éléments, cela donne le modèle suivant :


Mental
                                                                                                                    BURNOUT
Émotionnel
Physique

Demandes

Épuisement
 


                                                                                                                                                   
Etc.
Soutien

Ressources

Dépersonnalisation
 




Réduction du sentiment d’efficacité personnel
                                                                                                                                                 
Reconnaissance
Etc.
Autonomie






Figure 7
Conception de l’épuisement professionnel selon Bakker et Demerouti
Source : Bakker et al., 2003, p. 19

Plus précisément, la charge de travail élevée, les sentiments d’iniquité et les conflits de valeurs sont notamment des demandes en emploi qui ont un impact sur les plans mental, émotionnel et physique. Le soutien social, l’autonomie et la reconnaissance sont quant à eux présentés davantage comme des ressources pour faire face aux stress en milieu de travail. Ces facteurs viennent ensuite influencer la dynamique entre les demandes et les ressources disponibles. Si les demandes sont trop élevées mais que les ressources sont suffisantes, c’est l’épuisement physique et émotionnel qui sera influencé. Si les ressources sont insuffisantes pour faire face aux demandes, des attitudes cyniques et une réduction du sentiment d’efficacité personnel apparaîtront.

En conclusion, chacune des approches interactionnelles et organisationnelles présentées procurent un éclairage sur les différents facteurs et processus qui contribuent à l’épuisement professionnel. Essentiellement, l’objectif est d’examiner attentivement le contexte de travail d’une personne pour mieux comprendre les raisons qui ont contribué au développement de l’épuisement professionnel (Maslach, 2001).


Une variété d’interventions

Les interventions en matière d’épuisement professionnel peuvent aussi être regroupées selon les trois grandes catégories d’approches conceptuelles : individuelles, interactionnelles et organisationnelles. Intervenir au plan individuel signifie que l’attention sera portée sur les stratégies individuelles qu’un conseiller d’orientation et son client conviennent d’utiliser, et ce, indépendamment du contexte (Schaufeli et Enzmann, 1998). Par exemple, un client pourrait choisir de démarrer un programme d’exercices physiques pour réduire les effets du stress ou se renseigner davantage en achetant quelques livres pertinents. Ainsi, en modifiant certaines cognitions et quelques comportements personnels qui augmentent ses résistances, la personne se donne des moyens pour être moins vulnérable aux effets psychologiques négatifs qu’occasionne le stress en milieu de travail (Ibid.). De plus, ces stratégies peuvent être initiées en dehors du contexte du travail et dans un cadre de counseling individuel entre le conseiller d’orientation et son client. Contrairement aux stratégies individuelles, les stratégies d’intervention au plan interactionnel vont tenir compte du contexte, car elles sont orientées vers l’interaction entre les individus et leur environnement de travail. Ce sont des stratégies qu’une personne peut entreprendre pour favoriser une meilleure interaction au plan des relations et de l’organisation du travail en général. Par exemple, la gestion du temps en milieu de travail est une stratégie possible pour réduire la charge de travail psychologique, un des facteurs qui mènent à l’épuisement professionnel. Encore une fois, ce sont des stratégies qui peuvent être développées en contexte de counseling individuel entre le conseiller d’orientation et son client, mais adaptées pour la réalisation en milieu de travail. Enfin, les stratégies d’intervention au plan organisationnel sont celles que les entreprises seules ont le pouvoir d’entreprendre. Parfois ces stratégies émanent de leur propre initiative, parfois elles engageront des consultants organisationnels pour s’en occuper plus particulièrement. Le conseiller d’orientation pourrait agir à titre de consultant pour aider à mettre en place des stratégies d’intervention adaptées afin de réduire les effets psychologiques négatifs et l’épuisement professionnel. Contrairement aux deux autres, ce sont des stratégies qui ne peuvent pas être développées en contexte de counseling individuel. Le client dans ce cas-ci, c’est l’entreprise.

En plus des approches d’intervention (individuelles, interactionnelles et organisationnelles), il est possible de distinguer deux grandes stratégies d’intervention, soit les stratégies de prévention et les stratégies de traitement. Et comme le mentionnent Schaufeli et Enzmann (1998), « […] il existe une distinction relativement claire entre prévenir parmi ceux qui sont à risque et traiter ceux qui sont déjà en épuisement professionnel. Typiquement, les premiers sont au travail tandis que les autres sont en congé de maladie et souffrent d’un épuisement professionnel sévère[6] » (p. 144). 

Le tableau suivant fait d’ailleurs le lien entre les catégories d’approches et les stratégies d’intervention en matière d’épuisement professionnel :

Tableau 6
Stratégies d’intervention en matière d’épuisement professionnel en fonction des différentes catégories d’approches


Stratégies d’intervention
Catégories d’approches

Prévention

Traitement
Individuelles
·   Auto-évaluation
·   Utilisation de matériels didactiques
·   Promotion d’une vie saine
·   Relaxation
·   Équilibre entre le travail et la vie privée
·   Planification de carrière
·   Pharmacothérapie
·   Traitements complémentaires
·   Réorientation de carrière
Interactionnelles
·  Auto-observation en situation de travail
·  Gestion du temps
·  Entraînement des habiletés sociales
·  Intervention cognitive et comportementale
·   Psychothérapies cognitives et comportementales
·   Autres psychothérapies et processus de traitement

Approches organisationnelles

·   Soutien individuel et de groupe
·   Mentorat
·   Utilisation de sondages et tests
·   Planification de carrière des employés
·   Vérification psychosociale
·   Amélioration de la nature du travail
·   Amélioration de l’environnement physique
·   Gestion du temps/ressources
·   Embauche et formation de gestionnaires efficaces
·   Socialisation anticipatoire
·   Programmes de bien-être
·  Programme d’aide aux employés (PAE)
·  Procédures de retour au travail et réhabilitation
·  Transferts/réaffectations



Les stratégies préventives seront abordées en premier pour ensuite terminer avec les stratégies de traitement qui, il est important de le préciser, seront tous abordées en fonction de chacune des approches individuelles, interactionnelles et organisationnelles. 

Ce sont des stratégies qui sont adaptées pour des personnes qui concrètement, sont encore présentes dans leur milieu de travail. Opter pour ces stratégies se veut une façon de réduire ou d’éviter les effets négatifs du stress ainsi que l’épuisement professionnel dans son ensemble. Au plan individuel, on retrouve l’auto-évaluation, l’utilisation de matériels didactiques, la promotion d’une vie saine, la relaxation, l’équilibre entre la vie privée et le travail ainsi que la planification de carrière. Au plan interactionnel, on retrouve l’auto-observation, la gestion du temps, l’entraînement des habiletés interpersonnelles et l’intervention cognitive-comportementale. Enfin, au plan organisationnel, on retrouve le soutien individuel et de groupe, le mentorat, l’utilisation de sondages et de tests, la planification de carrière en entreprise, la vérification psychosociale, l’amélioration de la nature du travail et de l’environnement physique, la gestion du temps, l’embauche et la formation de gestionnaires efficaces, la socialisation anticipatoire et finalement, les programmes de bien-être.



Les stratégies de prévention individuelles

L’auto-évaluation est un des moyens pour prévenir l’épuisement professionnel. L’utilisation d’un test comme le Maslach Burnout Inventory (MBI) par exemple, peut permettre à des individus de vérifier dans quelle mesure ils peuvent souffrir d’épuisement professionnel. Ces outils peuvent également permettre à une personne de se comparer avec d’autres groupes d’individus comparables. L’idée derrière cette méthode repose sur la prise de conscience et la croyance que la connaissance de soi favorise la prévention.
La gestion du stress par l’utilisation de matériels didactiques est aussi une méthode de prévention de l’épuisement professionnel. Les livres, les journaux, les articles de magazines, les dépliants, les émissions de télévision, les films, les lectures, et plus récemment, les sites Internet peuvent tous servir (Schaufeli et Enzmann, 1998). Le fait pour une personne d’être plus informée sur le stress, sur ses causes et ses conséquences augmente sa vigilance et sa capacité de prendre soin d’elle-même.  

La promotion d’une vie saine est aussi reconnue comme un bon moyen de réduire les effets du stress (Schaufeli et Enzmann, 1998). L’expression « un esprit sain dans un corps sain » reflète bien l’idée de base de cette méthode. Un style de vie sain inclut des exercices physiques réguliers, une nutrition convenable, un contrôle de poids santé, ne pas fumer, avoir suffisamment de sommeil et prévoir des périodes de repos pour se détendre et recharger les énergies pendant les journées de travail et après ces dernières (Ibid.). Plus particulièrement au plan de l’alimentation, Chicoine (2008) mentionne que « la littérature cible de nombreux minéraux ainsi que des vitamines pouvant avoir un effet sur les symptômes dépressifs, mais [que] les preuves scientifiques manquent » (p. 68). Pour ce qui est de l’exercice physique, une étude récente effectuée au Danemark conclut que les employés qui sont actifs physiquement perçoivent moins de stress et plus d’énergie que les employés qui ne le sont pas (Hansen et al., 2010). Les conclusions de l’étude effectuée par Rook et Zijlstra vont aussi en ce sens. Ainsi, plus le temps investi à faire une activité physique est grand, plus la récupération sera efficace (Rook et Zijlstra, 2006). Également, cette même étude démontrait que contrairement aux prédictions et aux récentes découvertes, les activités qui demandent peu d’efforts et les activités sociales n’étaient pas nécessairement favorables à la récupération après le travail. En fait, les activités qui demandent peu d’efforts étaient même associées à une augmentation de la fatigue émotionnelle. Ainsi, les activités qui demandent peu d’efforts peuvent être bénéfiques au recouvrement de la fatigue physique, mais les activités physiques sont beaucoup plus bénéfiques pour surmonter la fatigue émotionnelle (Ibid.). De plus, les résultats d’une recherche effectuée sur les effets de l’activité physique démontrent que les exercices physiques produisent une amélioration générale immédiate dans l’humeur des gens, soit une amélioration de l’humeur positive ou dans l’autre sens, une réduction immédiate de l’humeur négative (Steinberg et al., 1998).

La relaxation peut également être utile comme technique de prévention. Selon les résultats obtenus par Higgins (1986), son programme de relaxation comprenant sept sessions s’avère d’une bonne efficacité dans la réduction des effets du stress. Fondamentalement, la relaxation comprend quatre techniques spécifiques, soit la relaxation des muscles, la respiration profonde, la méditation (yoga, imagerie, autohypnose, etc.) et la rétroaction biologique, qui consiste à visualiser les réactions biologiques internes (Schaufeli et Enzmann, 1998).

Également, comme le mentionnent Vallerand et al. (2010), un trop grand déséquilibre entre l’énergie investie au travail et dans la vie privée s’avère néfaste pour la santé d’une personne. Ainsi, trouver l’équilibre entre le travail et la vie privée est un autre moyen préventif pour réduire les effets de l’épuisement et du stress. Les gens qui travaillent dans des environnements stressants ont besoin de décompresser pour être ensuite capables de s’adapter aux stress normaux de la vie privée. La décompression peut se faire par plusieurs moyens, par exemple : lire un livre, faire du jardinage, rêvasser, prendre une marche ou se reposer tout simplement. De plus, la décompression est souvent une activité qui fait contraste à la routine au travail (Maslach, 1982). Par exemple, une personne qui travaille majoritairement au plan intellectuel bénéficiera davantage des effets positifs d’un exercice physique pour décompresser. En bout de ligne, l’idée derrière ces différents moyens de déconnexion psychologique du milieu de travail est la conservation des énergies pour la vie privée (Schaufeli et Enzmann, 1998).

La planification de carrière constitue également un moyen préventif individuel pour éviter le sentiment d’être emprisonné dans une carrière et d’accepter des conditions impossibles qui entraînent l’épuisement professionnel. Elle vise principalement deux objectifs : la connaissance de soi (forces, faiblesses, intérêts, habiletés, bilan de compétences, etc.) et l’analyse des occasions sur le marché du travail (Schaufeli et Enzmann, 1998). Elle se veut une stratégie pour préparer des plans de rechange advenant des changements majeurs (réduction des effectifs, changement d’orientation, etc.) qui entraîneraient des augmentations importantes du stress vécu en milieu de travail. Elle se veut aussi une stratégie pour quitter un milieu de travail dont les conditions sont nocives pour la personne.




Les stratégies de prévention interactionnelles

L’auto-observation est un des moyens utilisés pour mieux comprendre les situations stressantes en milieu de travail qui provoquent des réactions chez la personne. Elle consiste à noter, pendant la journée, les événements provoquant du stress et à identifier les symptômes ressentis, les pensées, les émotions et les comportements que cela a provoqués. L’idée derrière cette méthode est que la compréhension de soi débute par l’observation de soi. L’auto-observation peut servir de point de départ à des démarches subséquentes (Schaufeli et Enzmann, 1998).

Les employés à risque d’épuisement professionnel ressentent souvent une forte pression associée au manque de temps pour effectuer le travail demandé, ce qui peut parfois dépasser la capacité de l’individu d’y répondre. Les techniques de gestion du temps peuvent aussi être un moyen de prévention permettant à un individu de travailler plus efficacement pour se donner du temps de relaxation au travail. Selon Schaufeli et Enzmann (1998), un entraînement en gestion du temps devrait considérer la clarification des tâches et des responsabilités associées à l’emploi, la priorisation de celles-ci en fonction des demandes de l’entreprise et des aspirations professionnelles de la personne et enfin, l’identification des capteurs de temps comme les réunions, les relations interpersonnelles, les appels téléphoniques, etc. La personne est encouragée à réduire l’impact des capteurs de temps.

L’entraînement des habiletés sociales peut également être un moyen de prévention de l’épuisement professionnel. Lorsque les individus ont de mauvaises relations en milieu de travail, cela augmente la charge de travail qualitative et réduit considérablement la possibilité d’obtenir du soutien social pour mieux s’adapter (Schaufeli et Enzmann, 1998). En aidant les gens à développer leurs habiletés interpersonnelles, ils seront mieux outillés pour faire face à des situations potentiellement stressantes, comme devoir briser la glace, devoir s’affirmer face à un collègue ou un supérieur ou même s’adapter aux gens selon leur personnalité, leur culture, leurs valeurs ou leurs attitudes. Parmi les habiletés sociales, Maslach (1982) mentionne que l’humour est une technique d’adaptation qui s’avère intéressante lorsque bien utilisée. 

Finalement, les techniques cognitives-comportementales peuvent également être un moyen de prévention de l’épuisement professionnel. Selon cette philosophie d’intervention, les réponses émotives ne sont pas provoquées par les situations, mais plutôt par la conception cognitive des situations selon chaque personne (Schaufeli et Enzmann, 1998). L’évaluation cognitive est une technique utilisée pour enseigner aux individus à mieux analyser la gravité des stresseurs et à remettre les choses en perspective selon le contexte (Ibid.). Cette technique aide à prévenir un débordement des cognitions, des émotions et des comportements qui pourraient aggraver encore plus la situation. L’anticipation de scénarios est une autre technique cognitive-comportementale pouvant être appliquée. Elle consiste à aider les individus à anticiper les stress avant même leur apparition. Cette technique est souvent accompagnée d’un exercice de visualisation (Ibid.). En conclusion, ces deux techniques sont des exemples d’exercices possibles pouvant être effectués avec les clients pour améliorer leur façon d’interagir avec leur environnement de travail dans une optique de prévention.


Les stratégies de prévention organisationnelle

Le soutien individuel et les groupes de soutien en milieu de travail peuvent être de bons moyens pour prévenir l’épuisement professionnel. Selon Schaufeli et Enzmann (1998), les réunions d’équipe, lorsque bien organisées, peuvent être un moment pour donner et recevoir du soutien des autres collègues. Les groupes de soutien devraient engendrer cinq fonctions, soit la reconnaissance des autres, le confort, l’aide, les prises de conscience et la camaraderie (Ibid.). Une étude récente effectuée par Peterson (2008) auprès de travailleurs dans le milieu de la santé, démontre que les groupes du soutien utilisant une méthode basée sur la résolution de problèmes s’avèrent efficaces dans la réduction du stress et des symptômes d’épuisement professionnel. Pour être plus précis, les groupes de soutien ont procuré aux participants la possibilité d’échanger avec les autres sur des situations similaires, de nouvelles connaissances, un plus grand sentiment d’appartenance, une augmentation de la confiance en soi, une meilleure structure de travail, un soulagement des symptômes et des changements comportementaux (Ibid.)

Le mentorat peut aussi être un moyen de prévention utilisé pour tenter de réduire les effets du stress chez les employés. À la différence du soutien individuel, le mentorat implique la participation d’un employé plus expérimenté qui possède une expertise dans un domaine précis et qui offre du soutien à une personne moins expérimentée (Schaufeli et Enzmann, 1998). Les rencontres de mentorat sont orientées davantage vers la résolution de problèmes reliés aux tâches plutôt que vers les problèmes interpersonnels (Ibid.). La force du mentorat est qu’il permet de réduire le stress relié aux charges de travail et de prévenir les conflits de rôles (Ibid.). Une étude de Biswas-Diener (2009), basée sur des expériences personnelles de mentorat auprès de psychothérapeutes, conclut que le mentorat peut aider à protéger les cliniciens de l’épuisement professionnel. Il observe que les séances de mentorat ont notamment contribué à remettre l’accent sur les forces des clients et sur la motivation à progresser en tant que professionnels. Toutefois, comme le mentionne Biswas-Diener (2009), les recherches dans ce domaine sont relativement récentes; des preuves empiriques restent encore à confirmer. 

L’utilisation de sondages et de tests est aussi un moyen préventif pour évaluer les effets du stress en milieu de travail. C’est une façon pour les entreprises d’obtenir des informations sur le climat de travail, le niveau de stress, les attitudes, les réactions et les opinions des employés. Ces informations influenceront à leur tour le développement de stratégies pour améliorer le bien-être des employés et l’efficacité organisationnelle en général (Schaufeli et Enzmann, 1998). Les travaux de recherche d’Amherdt (2005), au Québec, ont contribué au développement d’un outil (Bilan InterQualia) qui répond à l’objectif de mesurer la santé émotionnelle des employés dans l’entreprise. Il existe toutefois plusieurs autres outils développés par différentes équipes de travail œuvrant dans ce domaine. 

La planification de carrière en entreprise est un moyen de prévention pour lequel certaines organisations optent afin de s’assurer que les employés demeurent en bonne santé émotionnelle et physique. Cette initiative de prévention des entreprises a pour but de stimuler la planification stratégique des employés pour qu’ils réalisent leurs projets de carrière au sein même de l’entreprise et par-dessus tout, qu’ils maintiennent un équilibre de vie et une satisfaction au travail pour éviter les conséquences de l’épuisement professionnel. En d’autres mots, c’est une façon de soutenir les employés dans leur projet de carrière en leur permettant de découvrir et d’analyser les différentes occasions de développement ou rôles disponibles au sein de l’entreprise (Schaufeli et Enzmann, 1998). Certaines entreprises offriront des possibilités de formation à leurs employés pour leur permettre d’accéder à de nouveaux postes, tandis que d’autres instaureront un système de promotion interne.

La vérification psychosociale est un moyen de prévention qui fut également proposé. Tout comme les gens font une vérification de leur santé physique chez le médecin, Maslach (1982) propose que les entreprises fournissent l’occasion aux employés de rencontrer un professionnel pour vérifier leur santé psychologique suivant un intervalle d’environ six mois. Parmi les employés qui présentent des symptômes d’épuisement professionnel, certains pourront être référés pour des traitements et d’autres pourront participer à des ateliers de prévention dans le but d’éviter que les conséquences prennent une trop grande ampleur.

L’amélioration de la nature du travail est également un moyen pour réduire le stress en milieu de travail. Elle consiste à réagencer le travail lui-même pour le rendre plus agréable et moins stressant. Ces changements peuvent notamment se faire en ajoutant ou en divisant les tâches, en ajoutant des ressources (employés, formations, etc.), en réduisant les responsabilités, en effectuant des rotations ou même en modifiant la façon de faire les tâches (Schaufeli et Enzmann, 1998).

L’amélioration de l’environnement physique vise aussi à empêcher l’aggravation des symptômes de l’épuisement professionnel (Schaufeli et Enzmann, 1998). Un bureau sans fenêtre, un manque de luminosité, une mauvaise aération des lieux, des équipements désuets, peuvent tous être des éléments contribuant à l’aggravation des maux de tête, de l’irritabilité ou de la mauvaise humeur par exemple.

La gestion du temps peut aussi être un moyen utilisé par les entreprises pour prévenir l’épuisement professionnel chez ses employés (Maslach, 1982). Les entreprises possèdent le pouvoir de réorganiser la planification du temps de travail des employés. Des moyens comme les congés sabbatiques, les journées de repos libres, la réduction du nombre d’heures de travail, l’augmentation des pauses et le travail à temps partiel peuvent tous faire partie d’une stratégie organisationnelle de réduction du stress et de prévention de l’épuisement professionnel. Son objectif est la réduction de la charge de travail physique et émotionnelle. 

L’embauche et le perfectionnement de gestionnaires efficaces s’avèrent avoir une influence considérable dans le développement d’un environnement de travail sain et moins stressant. Selon Quick (2007), les gestionnaires efficaces ont une influence positive sur la santé des employés. Tous ces gens sont en interrelations en milieu de travail. Plusieurs recherches ont été effectuées pour mieux comprendre les styles de gestion, les types de leadership, les caractéristiques des gestionnaires efficaces dans le but d’améliorer la santé des employés et la santé organisationnelle de l’entreprise dans sa globalité. Selon Schaufeli et Enzmann (1998), un gestionnaire qui démontre une grande ouverture d’esprit, une pensée systémique, de la créativité, une efficacité personnelle et une empathie envers ses employés peut lui-même prévenir l’épuisement professionnel de ceux-ci. Le développement de programmes pour l’amélioration des compétences des gestionnaires est de plus en plus fréquent sur le marché du travail.

La socialisation anticipatoire, selon Schaufeli et Enzmann (1998), serait un autre moyen de prévention possible pour les entreprises. Ce moyen préventif consiste à présenter aux futurs employés potentiels une image réaliste de l’environnement de travail pendant les procédures de recrutement (Ibid.). Cette façon de fonctionner a pour but d’éviter d’engager des employés qui seront malheureux et qui seront plus susceptibles de souffrir d’épuisement professionnel une fois à l’intérieur de l’entreprise.

L’instauration de programmes de bien-être pour les employés est aussi utilisée par certaines entreprises dans un but de renforcement contre les effets du stress et de l’épuisement professionnel. Certaines entreprises optent pour des abonnements à des centres de conditionnement physique offerts aux employés. D’autres vont tout simplement aménager, directement sur les lieux du travail, un endroit qui contient l’équipement nécessaire pour le conditionnement physique, la relaxation et autres. Les programmes de bien-être ciblent habituellement un contrôle de la pression sanguine, l’arrêt de fumer, la perte de poids, l’augmentation de la forme physique, la réduction des maux de dos, l’éducation à la santé, la réduction de la consommation d’alcool et la gestion du stress (Schaufeli et Enzmann, 1998).

En conclusion, toutes ces stratégies de prévention organisationnelle peuvent être utilisées. Elles peuvent également faire partie d’une stratégie d’ensemble intégrée dans un programme organisationnel qui inclurait plusieurs de ces moyens de prévention.



Lorsque qu’un professionnel rencontre une personne souffrant d’épuisement professionnel sévère qui nécessite un arrêt de travail pour une longue période de temps, les stratégies préventives ne seront plus suffisantes. Pour Van Schaik et al. (2004), il existe essentiellement deux options de traitement de premiers soins en matière de dépression majeure et d’épuisement professionnel, qui ont prouvé chacune une efficacité comparable, soit les psychothérapies et la pharmacothérapie. Toutefois, des études récentes en matière d’efficacité de traitement démontraient que la combinaison de la psychothérapie et de la pharmacothérapie s’avère plus efficace (Cuijpers et al., 2009; Scott, 2001). Dans la pratique, les personnes atteintes de dépression et d’épuisement professionnel préfèrent généralement la psychothérapie, alors que les médecins favorisent plutôt les antidépresseurs (Van Schaik et al., 2004). Le traitement par les antidépresseurs est celui le plus offert parce que la psychothérapie est souvent moins accessible (Ibid.). Comme le mentionnent Houle et al. (2009), « les psychothérapies n’étant pas couvertes par l’assurance maladie, il est important de vérifier avec le patient sa capacité à en payer les coûts. Bien que les hôpitaux et les CLSC offrent gratuitement les services de psychologues, les listes d’attente en entravent souvent l’accessibilité » (p. 29). Toutefois, les employés qui détiennent une assurance privée peuvent bénéficier d’un remboursement partiel ou en totalité dans certains cas, dépendamment du régime d’assurance.

Les sections suivantes seront encore une fois divisées en trois catégories, soit les stratégies de traitement individuel, interactionnel et organisationnel. La première catégorie (individuelle) concerne toutes les stratégies qui ne nécessitent pas de se pencher spécifiquement sur les conditions du milieu de travail, notamment la pharmacothérapie et les traitements complémentaires comme les produits naturels, l’alimentation, l’exercice physique, etc. La deuxième catégorie, quant à elle, tient compte de l’individu dans son contexte de travail et regroupe les différents types de psychothérapies. Le positionnement des psychothérapies dans les stratégies de traitement interactionnel vient du fait que selon Lowman (1993), pour traiter l’épuisement professionnel, les psychothérapies doivent être ajustées en fonction des problèmes du contexte du travail. Enfin, la dernière catégorie (organisationnelle) fait référence aux stratégies employées par les entreprises elles-mêmes pour traiter les employés en épuisement professionnel. Seules les stratégies provenant de la direction même, et dont elle seule a le pouvoir de les entreprendre, seront incluses dans cette catégorie.


Les stratégies de traitement individuel

La pharmacothérapie, plus particulièrement la prescription d’antidépresseurs, est un moyen de traitement qui a prouvé son efficacité dans le traitement de la dépression légère, modérée ou grave (Houle et al., 2009). L’avantage lié à cette forme de traitement est que les coûts sont remboursés totalement ou partiellement par des assurances privées ou gouvernementales, contrairement aux psychothérapies qui nécessitent majoritairement des assurances privées (Ibid.). Le traitement pharmacothérapeutique peut durer entre 6 et 9 mois et nécessite un suivi médical régulier pour s’assurer que le traitement entraîne des résultats satisfaisants et peu d’effets secondaires comme les vertiges, les maux de tête, l’insomnie, les nausées et le gain de poids (Ibid.). Il existe deux générations d’antidépresseurs, mais comme le précisent Qaseem et al. (2008), la deuxième génération d’antidépresseurs est plus souvent utilisée parce qu’ayant une efficacité similaire et contenant moins de toxicité.  Également, le choix d’un antidépresseur en particulier dépend seulement des effets secondaires parce que les études démontrent que leur efficacité dans le cas de dépressions sévères est comparable (Ibid.). Ainsi les médicaments comme le Zyban (bupropion), le Seropram (citalopram), le Cymbalta (duloxetine), le Seroplex (escitalopram), le Prozac (fluoxétine), le Floxyfral (fluvoxamine), le Norset (mirtazapine), le Nefazodone (serzone), Deroxat/Seroxat/Paxil (paroxetine), Zoloft (sertraline), Desyrel (trazadone) et Effexor (venlafaxine) peuvent tous être prescrits par le médecin dans le traitement d’une dépression ou d’un épuisement professionnel sévère. Chicoine (2008) apporte toutefois une précision quant à l’utilisation des antidépresseurs : « Évidemment les psychotropes demeurent utiles dans le traitement de l’anxiété et de la dépression. Cependant, en ne faisant reposer notre intervention que sur ces agents, nous risquons de nuire au patient, de ne pas venir à bout de ses symptômes et de lui laisser le message que la réponse à sa souffrance se trouve uniquement dans sa pilule » (p. 72).

Il existe donc plusieurs autres stratégies de traitements individuels complémentaires pouvant être utilisées pour le traitement de l’épuisement professionnel. Chicoine (2008) précise : « […] pour éviter une augmentation du nombre de médicaments ou pour venir à bout de certains effets indésirables, plusieurs approches complémentaires se révèlent être des options efficaces et dont les bienfaits sont durables » (p. 67). Les stratégies complémentaires sont : l’alimentation, l’exercice physique, les habitudes de sommeil, l’utilisation de matériels didactiques, la relaxation, la luminothérapie et l’utilisation de produits naturels (Ibid.). Comme mentionné précédemment, plusieurs de ces stratégies peuvent aussi être utilisées de façon préventive. Dans l’optique d’un traitement, elles sont utilisées en complément lorsqu’une personne est déjà en épuisement professionnel et qu’elle tente de reprendre des forces tranquillement. Concernant plus particulièrement la luminothérapie, Golden et al. (2005) ont effectué une méta-analyse de 173 études sur le sujet, dont 20 seulement rencontraient les bons critères d’inclusion. Ils en arrivent tout de même à la conclusion que la luminothérapie contribue à la réduction de la sévérité des symptômes de la dépression (Ibid.). Pour ce qui est de l’utilisation des produits naturels, « […] ils sont plus « doux », donc en général mieux tolérés, mais moins puissants, bien qu’on puisse en augmenter l’efficacité en recherchant les produits contenant des extraits normalisés (extrait actif du produit) » (Chicoine, 2008, p. 69). Selon Houle et al. (2009), le millepertuis est un produit naturel qui peut s’avérer une option intéressante : « En effet, il est d’une efficacité comparable aux antidépresseurs, tout en ayant moins d’effets indésirables » (p. 30). Par contre, malgré le fait que les produits naturels entraînent moins d’effets indésirables, le manque de contrôle de la qualité de ces produits demeure un de ses principaux désavantages (Chicoine, 2008). 

Enfin, la réorientation de carrière peut également s’avérer une stratégie de traitement individuel de l’épuisement professionnel. Toutefois, comme le mentionne Maslach (1982), changer d’emploi peut être coûteux financièrement et psychologiquement; la décision doit donc être prise consciencieusement en évaluant bien les raisons qui motivent le changement. Si le changement est superficiel, le risque de retrouver le même genre de situation de travail et de reproduire les mêmes comportements est toujours présent, ce qui ne réduit pas les chances de revivre de l’épuisement professionnel (Ibid.).


Les stratégies de traitement interactionnel

Il existe plusieurs types d’interventions psychologiques pouvant être utilisées autant dans le traitement de l’épuisement professionnel que de la dépression. Évidemment, le regard présenté ici demeure encore une fois non exhaustif si l’on prend en compte toutes les formes de traitement qui pourraient exister. Au départ, il est reconnu que les thérapies cognitives-comportementales s’avèrent des traitements efficaces pour les personnes en dépression ou souffrant d’un trouble de l’anxiété (Scott, 2001). Il est également considéré que l’efficacité de ces traitements est applicable au traitement de l’épuisement professionnel et du stress lié au travail (Blonk et al., 2006). De plus, une méta-analyse effectuée par Van der Klink (2001) démontre que les approches cognitives et comportementales sont plus efficaces sur le plan de l’intervention sur le stress comparativement aux techniques de relaxation, aux approches multimodales et aux interventions organisationnelles. Parmi les thérapies cognitives et comportementales qui seront détaillées, il y a la thérapie cognitive de Beck, la thérapie rationnelle-émotive d’Ellis et le programme néerlandais de traitement de l’épuisement professionnel.

La thérapie cognitive de Beck est une approche utilisée en matière de traitement de la dépression et de l’épuisement professionnel. Selon Chambless et al. (1998), la thérapie cognitive est un traitement validé empiriquement qui répond aux critères d’efficacité particulièrement dans le traitement de la dépression. Cette thérapie, développée dans les années 1960 par Aaron T. Beck, repose sur dix principes (Beck, 1995) : est basée sur une formulation du problème en termes cognitifs; nécessite une bonne alliance thérapeutique; mise sur la collaboration et la participation active; est orientée vers l’atteinte d’objectifs et la résolution de problèmes; porte surtout sur le présent de la personne; privilégie un cadre d’intervention éducatif comportant des enseignements pour que les clients soient leur propre thérapeute (prévention); est limitée dans le temps; fonctionne avec des sessions qui sont structurées; aide les clients à identifier, à évaluer et à réagir à leurs croyances irrationnelles, tout en nécessitant l’utilisation d’une variété de techniques pour changer les pensées et les comportements. Plus spécifiquement, elle consiste à effectuer des modifications de raisonnement chez le client afin de produire une amélioration des pensées, des émotions et des comportements (Beck, 1995). En lien avec l’épuisement professionnel, la thérapie cognitive postule que les individus en sont vulnérables à cause des croyances irrationnelles et dysfonctionnelles qui résultent des expériences d’apprentissage (Scott, 2001).

L’approfondissement des croyances principales et intermédiaires et des pensées automatiques permettra au thérapeute et à son client de mieux comprendre les liens avec les réactions émotives, comportementales et physiologiques. Toujours selon Beck (1995), une fois que les croyances principales et intermédiaires sont identifiées, les pensées automatiques deviennent relativement assez prévisibles. Ainsi, l’évaluation de la validité et de l’utilité des pensées automatiques et l’apprentissage de nouvelles techniques d’adaptation produisent donc un changement chez l’individu en général. En terminant, il est important de mentionner que plusieurs techniques sont employées en lien avec la thérapie cognitive, par exemple les devoirs entre les sessions, des techniques de questionnement, l’enseignement, la gradation des émotions ou même des expérimentations pour tester les croyances, etc.

La thérapie rationnelle-émotive d’Ellis est une autre forme de thérapie cognitive et comportementale qui peut également servir en matière de traitement de l’épuisement professionnel. L’étude de Malkinson (1997) auprès de femmes cols bleus en démontre notamment l’efficacité. Comparativement au groupe témoin, les femmes qui avaient eu droit aux séances affichaient des niveaux d’épuisement professionnel plus bas immédiatement après les séances, mais également un an plus tard (Ibid.). La thérapie rationnelle-émotive, tout comme la thérapie cognitive de Beck, partage la vision que les pensées et les croyances irrationnelles mènent au stress. La restructuration des cognitions permettra donc de réduire le stress (Schaufeli et Enzmann, 1998). Toutefois, pour Ellis (1987), le développement des difficultés psychologiques n’est pas tant lié à l’impact des événements de la vie sur la personne, mais plutôt à des tendances biologiques à penser de façon irrationnelle. Pour prouver son point de vue, il apporte quelques arguments, par exemple : même les gens les plus brillants et compétents démontrent des irrationalités; plusieurs des comportements irrationnels vont à l’encontre des apprentissages de nos parents, de la société, etc.; les psychothérapeutes eux-mêmes, supposément des modèles de rationalité, agissent de façon irrationnelle dans leur vie privée. Ainsi, selon sa conception, aucune personne n’est à l’abri de pensées irrationnelles et dysfonctionnelles. Toutefois, chaque être humain possède une capacité à faire des choix et à changer ses pensées nocives (Ibid.). La thérapie rationnelle-émotive est décrite selon une structure A-B-C-D-E (Beck, 2005; Schaufeli et Enzmann, 1998):

·      A – Activating : ce sont des événements qui aident ou entravent l’atteinte d’objectifs personnels. Les individus chercheront à répondre à ces événements activateurs.

·      B – Beliefs : les événements activateurs provoqueront donc un effet sur les croyances de l’individu.

·      C – Consequences : ces croyances entraîneront à leur tour des conséquences émotionnelles et comportementales chez l’individu. Les croyances sont donc les médiateurs entre les événements activateurs et les conséquences émotionnelles et comportementales.

·      D – Disputing, Debating, Discriminating, Defining : l’utilisation de techniques permettra de remettre en question les croyances irrationnelles qui ont mené aux conséquences.

·      E – Effect : les techniques utilisées auront des effets, à leur tour, sur la philosophie de la personne, dans le but de favoriser des réflexions plus rationnelles et constructives.

Pour intervenir sur l’épuisement professionnel, le conseiller mettra l’accent sur les événements qui ont activé les croyances dysfonctionnelles. Il tentera par la suite, grâce à certaines techniques cognitives, émotionnelles et comportementales, de modifier les croyances qui viennent entraver l’atteinte des objectifs de la personne. Parmi les techniques utilisées, il y a notamment l’utilisation de l’humour, l’imagerie, les jeux de rôles, la socialisation en groupe, le discours avec soi-même, l’acceptation inconditionnelle, l’entraînement des habiletés, etc. (Beck, 2005).

Selon l’étude de Jenkins et Palmer (2003), l’approche multimodale de Lazarus, combinée avec la thérapie rationnelle-émotive d’Ellis, peut également être une approche psychothérapeutique qui s’avère efficace dans le traitement des difficultés liées au stress. L’approche multimodale est basée sur la croyance que peu de ces problèmes sont causés par un seul facteur à la fois (Ibid.). Ainsi, selon cette conception, la détresse psychologique doit être abordée de façon multidimensionnelle.

L’approche multimodale fournit principalement un cadre d’exploration et de compréhension de la problématique liée au stress en fonction de plusieurs dimensions (comportementale, affective, interpersonnelle, biologique, sensorielle, cognitive et imaginale). Cette approche est considérée comme étant systémique par sa nature. L’ajout de la thérapie rationnelle et émotive d’Ellis dans le processus thérapeutique est principalement lié à l’intervention avec les clients. Les différentes techniques cognitives, émotionnelles et comportementales viennent s’ajouter en fonction des difficultés identifiées par l’approche multimodale.

Le programme néerlandais de traitement de l’épuisement professionnel est également basé sur les principes de la thérapie cognitive et comportementale et repose fortement sur des procédures d’auto-observation et d’auto-évaluation. Le programme est composé de quatre étapes distinctes : réduction des symptômes; compréhension de la personnalité; identification des problèmes liés au travail; anticipation du futur.

La première étape consiste à réduire immédiatement les symptômes ciblés par le client, notamment l’épuisement émotionnel et physique, l’incapacité de relaxer, les problèmes de sommeil, l’irritabilité et autres symptômes physiques. Ces symptômes sont traités grâce à des techniques cognitives et comportementales connues comme la relaxation ou l’activation graduelle par exemple. La deuxième étape consiste à bien comprendre la personnalité distincte de la personne en consultation. En utilisant des techniques comme l’évaluation cognitive ou la thérapie rationnelle-émotive de Ellis, les clients apprennent à mieux se connaître et à identifier les traits de personnalité qui peuvent causer des problèmes. La troisième étape consiste à élaborer un plan détaillé de retour au travail avec les personnes responsables dans l’entreprise. Une fois dans l’entreprise, le client est encouragé à effectuer des auto-observations en utilisant un carnet dans lequel il doit noter les problématiques rencontrées, notamment les charges de travail, les conflits interpersonnels, les conflits de rôles ou même le manque de soutien social. Il est aussi encouragé à discuter des difficultés directement avec son superviseur. La dernière étape, quant à elle, consiste à discuter de techniques de prévention avec le client. L’anticipation des situations qui pourraient réactiver l’épuisement professionnel chez le client et l’élaboration d’un plan pour une vie plus saine et équilibrée sont des sujets abordés. Les questions sur le rôle du travail et son importance sont soulevées selon une perspective existentielle (Schaufeli et Enzmann, 1998).




Autres types d’intervention de traitement interactionnel

La thérapie interpersonnelle a aussi prouvé son efficacité en matière de traitement de la dépression (Weissman et al., 2000). Selon Blatt (2000), les thérapies interpersonnelles sont aussi efficaces que les thérapies cognitives et comportementales après un suivi sur 18 mois. De plus, les individus interrogés, après avoir expérimenté la thérapie interpersonnelle, mentionnent avoir ressenti davantage de satisfaction générale par rapport au traitement que ceux ayant suivi une thérapie cognitive et comportementale (Ibid.). L’emphase de cette thérapie est axée sur le lien entre les réactions et les relations interpersonnelles du client, tout en tenant compte du rôle des facteurs génétiques, biochimiques, développementales et de la personnalité comme causes ou vulnérabilités à la dépression (Weissman et al., 2000). La thérapie interpersonnelle comporte essentiellement trois phases (Ibid.).

La première phase (de 1 à 3 sessions) consiste à effectuer une évaluation diagnostique qui servira d’assise pour le traitement et les formalités importantes, comme le droit de s’absenter du milieu de travail par exemple. Elle consiste également à examiner en détail les relations interpersonnelles du client et son fonctionnement social en général. Elle inclut aussi un temps pour expliquer au client ce qu’est une dépression ou un épuisement professionnel. Enfin, l’intervenant conclut avec une formulation du problème qui lie la dépression du client à une des quatre situations de relations interpersonnelles problématiques suivantes : le deuil à la suite de la mort d’un proche; les disputes de rôles tels que les conflits avec la conjointe, les collègues, les amis proches ou les autres connaissances; les rôles transitoires tels que le début d’une nouvelle carrière, une promotion, la retraite ou même à la suite d’un diagnostic médical; enfin, les déficits interpersonnels tels que le manque d’habiletés sociales occasionnant des difficultés à démarrer et à conserver des relations.

La deuxième phase consiste à développer des stratégies adaptées en fonction de la problématique selon les quatre situations de relations interpersonnelles nommées ci-haut. Parmi les stratégies utilisées dans la thérapie interpersonnelle, il y a notamment l’exploration des sentiments sans jugement, la reconstruction des relations, le développement de la vigilance, la facilitation de l’expression des affects, les stratégies de communication, l’évaluation des anciens rôles et l’établissement de soutiens sociaux. La dernière phase, quant à elle, consiste à encourager le client à reconnaître et à consolider les gains thérapeutiques obtenus lors des sessions préalables. Elle vise également le développement des habiletés à prévoir, à identifier et à contrer les symptômes dépressifs qui pourraient survenir dans le futur.

Selon Pines (1993), l’épuisement professionnel réside dans la perte de sens d’une personne face à son existence. L’approche psychoanalytique-existentielle qu’elle propose implique entre 12 et 24 sessions de 50 minutes qui incluent l’exploration de l’enfance, des expériences de jeunesse traumatisantes, des métiers des parents, de la relation avec les parents et la famille, des rêves de métiers, de la relation entre le métier choisi et les origines enfantines, de l’historique d’emploi, des buts professionnels et des liens entre l’enfance, l’emploi actuel et l’épuisement professionnel vécu (Pines, 2002). Plus précisément, elle précise que les choix de carrière qui mènent certains individus à une perte de sens existentiel sont influencés par des forces inconscientes qui sont liées à des difficultés remontant à l’enfance et qui ont un effet sur le présent. Son approche vise donc principalement un retour dans les expériences traumatisantes de l’enfance pour mieux comprendre leurs influences au présent (Ibid.). Des besoins d’admiration, de reconnaissance et de contrôle, par exemple, influencent grandement le développement de l’épuisement professionnel. Elle cite notamment l’exemple de l’enseignante qui devant l’indiscipline et l’insouciance de ses élèves, souffre profondément du manque de reconnaissance à son travail (Ibid.). Les trois étapes du traitement sont les suivantes (Pines, 2002) : 1) identifier les raisons conscientes et inconscientes qui ont influencé le choix de carrière des individus et préciser ce que le choix de carrière était supposé leur procurer en termes de signification existentielle; 2) identifier les raisons de l’échec des individus à donner un sens à leur existence et spécifier la relation avec l’épuisement professionnel; finalement 3) identifier les changements possibles qui permettraient de retrouver un sens existentiel dans le travail. En terminant, elle précise que son approche, qui est un croisement entre les théories psychanalytiques et existentialistes, devrait faire l’objet de nouvelles études d’efficacité comparatives avec les autres approches. 

À la suite d’une recherche qualitative auprès de 36 travailleurs québécois rencontrant les critères adéquats du trouble de l’adaptation du DSM IV, Bernier (1998) propose un processus de traitement pour les gens souffrant d’épuisement professionnel sévère comportant six phases. Le processus de recouvrement est long et peut durer de 1 à 3 ans. Il peut être illustré de la façon suivante :



Tableau 7
Processus de traitement de l’épuisement professionnel sévère de Bernier

Phases
Stratégies d’adaptation
1
Admettre le problème
2
Se distancier du travail
3
Rétablir la santé
4
Questionner les valeurs
5
Explorer les possibilités d’emploi
6
Provoquer un changement

Source : Bernier (1998), p. 56, 57, 58 et 59.

La première phase consiste à aider le client à admettre le problème. Les personnes interviewées ont admis avoir eu de la difficulté à simplement reconnaître qu’il y avait bel et bien un problème qui nécessitait un arrêt de travail. La reconnaissance du problème est graduelle et le déni peut durer quelques semaines, voire quelques mois. La deuxième phase consiste à convaincre la personne de quitter la source de stress pendant un moment pour reprendre des forces. La difficulté de prendre cette décision est souvent liée à la diminution du revenu pendant la période de convalescence. Elle dépend de beaucoup de facteurs, comme les niveaux d’endettement, les programmes d’assurance, etc. Une fois que la distanciation de la source de stress est effectuée, une troisième phase de recouvrement de la santé sera entreprise. Elle vise deux objectifs distincts, soit la réduction des tensions (relaxation physique, émotionnelle et intellectuelle) et un regain de joie de vivre grâce à des activités graduelles et surtout stimulantes pour la personne. La quatrième phase sera plutôt axée sur le questionnement des valeurs. C’est un temps pour réfléchir et revoir en profondeur l’interaction entre le fonctionnement psychologique de la personne (cognitions, émotions, comportements) et son environnement. Le conseiller tentera de comprendre les anciennes valeurs qui, pour certaines d’entre elles, seront remplacées par de nouvelles valeurs. Selon Bernier (1998), le temps accordé à cette phase est le plus difficile à prévoir. Elle est souvent difficile et provoque des incertitudes et des doutes chez la personne. La cinquième phase, quant à elle, visera l’exploration des nouvelles possibilités d’emploi en fonction des nouvelles valeurs de la phase précédente. Dans certains cas, ce sera l’exploration des possibilités au sein de la même entreprise (modification de tâches, de rôles, etc.), et pour d’autres, ce sera l’exploration de nouvelles possibilités de carrière dans une nouvelle entreprise. Finalement, la sixième et dernière phase consiste à prendre une décision et à provoquer un changement. Pour les personnes qui décident de retourner à leur ancien emploi, elles devront s’assurer de créer un changement à leur retour afin d’éviter de revivre les stress déjà vécus. Les personnes pourront par exemple demander à travailler à temps partiel, à se faire enlever certaines tâches, demander de la formation supplémentaire, etc. Pour celles qui décident de changer d’emploi, l’important sera de s’assurer d’éviter des conditions similaires à l’ancien emploi. Ceci étant dit, Bernier (1998) observe que ceux dont les obligations financières sont plus importantes auront tendance à retourner pour leur employeur actuel et ceux qui ont plus de flexibilité changeront majoritairement d’emploi.

Dans le même ordre d’idées, Lafleur (1999) propose également un processus de traitement pour les gens souffrant d’épuisement professionnel. Toutefois, contrairement à Bernier (1998), Lafleur distingue deux formes de traitement, soit les convertis et les invertis. La première forme (convertis) est axée sur la résolution objective des problèmes. Comme le mentionne Lafleur (1999), « les épuisés qui recherchent cette voie de traitement sont habituellement des êtres très rationnels » (p. 184). Ce sont des gens qui accepteront beaucoup plus difficilement de creuser à l’intérieur d’eux-mêmes et de prendre contact avec leurs émotions. Ils vont plutôt opter pour des changements logiques, de nouvelles règles de conduite et se centreront essentiellement sur l’action (Ibid.). Comme le précise Lafleur, cette stratégie est efficace à court terme, mais elle comporte le risque de ne pas être suffisante : « Le danger, c’est que les convertis continuent souvent d’être rigides. Même s’ils endossent un autre mode, une autre culture, ils se basent encore sur des principes et adoptent de nouveaux stéréotypes. Jusqu’à un certain point, cela les limite encore » (p. 185). C’est pourquoi il y a une deuxième forme de traitement (invertis) qui vise la recherche intérieure. Lafleur (1999) mentionne :

C’est une démarche plus personnelle et plus profonde que la précédente, mais elle est plus longue et, souvent aussi, plus douloureuse, car elle est faite de remises en question et de contacts avec de vieilles blessures. Les gens qui acceptent de s’y engager feront leurs nouveaux choix de vie non pas à partir de nouvelles normes extérieures, mais plutôt en se basant sur leur désir de développement personnel, parfois aussi sur leur désir de développement spirituel; mais dans tous les cas, ils s’appuieront sur des conclusions intérieures (p. 187).

Cette deuxième forme de traitement n’est toutefois pas convenable pour tout le monde, car certaines personnes se sentent « […] souvent angoissées quand elles explorent leurs émotions et elles ne voient pas trop où ça pourrait les mener. Elles s’opposent donc assez rapidement à ce traitement. » Ceci fait dire à Lafleur (1999) que les deux formes de traitement peuvent être efficaces. Toutefois, la combinaison des deux formes de traitement s’avère plus optimale.

À la suite de la logique des deux formes de traitement (convertis et invertis), Lafleur propose une démarche de traitement des gens souffrant d’épuisement professionnel qui comporte neuf étapes, dont un tronc commun au départ. Voici un tableau qui présente le processus de traitement des gens souffrant d’épuisement professionnel :

Tableau 8
Processus de traitement de l’épuisement professionnel de Lafleur

Accepter la convalescence (1)
Accepter l’échec (2)
Accepter l’affront (3)
Convertis
Invertis
Réprimer sa douleur (4)
Exprimer sa douleur (4)
Comprendre (5)
Comprendre (5)
Travailler ses dépendances (6)
Travailler ses dépendances (6)
Se préparer à un retour au travail (7)
Intégrer les différents morceaux
de sa vie (7)
Reprendre le travail (8)
Reprendre le travail (8)
Maintenir ses résolutions (9)
Poursuivre le développement
personnel (9)

Source : Lafleur (1999), p. 191 à 199.

La première étape consiste à lâcher prise par rapport au travail et à accepter de prendre du temps de repos. La deuxième étape vise l’acceptation pour la personne de son incapacité à faire face aux tâches qui étaient demandées. La troisième étape fait plutôt référence aux sentiments de colère envers la direction et les collègues qui émaneront dans le processus et à leur apaisement. Ensuite, c’est à ce moment que la direction du traitement (convertis ou invertis) sera influencée en fonction des caractéristiques du client.

Si la forme de traitement converti est privilégiée, l’étape suivante sera de se servir de la douleur pour entrevoir de nouvelles résolutions afin d’éviter que cela ne se reproduise. La compréhension logique des événements et des causes initiera ensuite le développement de nouvelles stratégies d’adaptation en milieu de travail. Finalement, les dernières étapes seront axées sur la préparation, la mise à l’essai de ces nouvelles stratégies d’adaptation en milieu de travail et leur maintien au quotidien pour éviter à nouveau les conséquences possibles. Par contre, si la forme de traitement inverti est privilégiée, les étapes suivantes seront différentes. L’expression de la douleur sera encouragée à ce moment du processus. La compréhension des souffrances du passé sera aussi explorée pour faciliter les liens avec les difficultés actuelles du client. Cette compréhension va provoquer un changement immédiat dans la vie de la personne qui cherchera à modifier son contact avec la vie, avec les autres et développera de nouvelles perspectives, notamment dans l’optique d’un éventuel retour au travail. Les dernières étapes concernent surtout le retour au travail, le cas échéant, mais surtout le maintien des nouvelles valeurs dans le temps.

En conclusion, ce processus de traitement proposé par Lafleur pourrait également être un outil employé dans le traitement des gens souffrant d’épuisement professionnel. Il a la particularité de faire la différence entre servir des gens qui acceptent l’introspection et des gens qui souhaitent un processus plus rationnel et moins émotionnel. 


Les stratégies d’intervention de traitement organisationnel

Au-delà des stratégies préventives, les entreprises ont également des moyens à leur disposition pour intervenir en matière de traitement d’une personne qui souffre d’épuisement professionnel sévère et qui nécessite malencontreusement un arrêt de travail.

L’instauration d’un programme d’aide aux employés (PAE) est un de ces moyens. Il est défini comme étant :

[…] un programme systématique et planifié en vue d’assurer une assistance professionnelle aux employés qui éprouvent des problèmes reliés à l’abus d’alcool ou de drogues, qui sont affectés par des troubles d’ordre émotif ou qui traversent une période de crise (matrimoniale, familiale, financière ou légale) dont l’effet est de perturber leur rendement au travail (Savoie, 1989, p. 113).

À l’origine, les programmes d’aide aux employés avaient été conçus pour venir en aide aux gens avec des problèmes de consommation d’alcool (Rhéaume, 1996). Toutefois, l’augmentation des problèmes liés à la santé mentale a provoqué des ajustements sur le plan des services offerts afin d’inclure les difficultés psychologiques liées au travail et à la vie privée (Ibid.). Il existe essentiellement trois formes de programme d’aide aux employés (Ibid.) :

a)        Les P.A.E. internes/externes : reçoivent les demandes d’aide à l’interne au départ pour ensuite référer à des ressources contractuelles. C’est la forme la plus répandue au Québec.
b)        Les P.A.E. externes/externes : toutes les demandes sont traitées à l’externe par des ressources contractuelles.
c)        Les P.A.E. internes/internes : toutes les demandes sont traitées à l’interne seulement. C’est la forme la moins utilisée présentement dans les entreprises québécoises.

Ces programmes d’aide aux employés peuvent donc être des moyens pour les entreprises pour venir en aide à leurs employés et s’assurer de leur rétablissement. Toutefois, ce ne sont pas toutes les entreprises qui se prémunissent d’un tel programme; ce sont majoritairement les grandes entreprises (Ibid.).

Idéalement, une procédure de retour au travail d’un employé ayant souffert d’épuisement professionnel devrait faire partie intégrante de chaque programme de traitement (Schaufeli et Enzmann, 1998). La réhabilitation est cruciale puisque, selon les résultats de certaines recherches, la plupart des employés qui ont souffert d’épuisement professionnel ne retournent pas à leur ancien emploi ou ne restent que quelque temps pour quitter par la suite (Ibid.). Tous les professionnels impliqués devraient s’entendre sur un plan de réhabilitation qui inclut une exposition graduelle aux charges de travail, une réduction du nombre d’heures (temps partiel) et une adaptation de certaines tâches (Ibid.). Pour Blonk et al. (2006), le retour à temps partiel devrait se faire assez rapidement puisque selon les résultats de son étude, il contribue davantage à un éventuel retour à temps complet. Toutefois, ce retour doit être effectué en combinant des interventions individuelles et organisationnelles en même temps que le retour à temps partiel (Ibid.).

Dans certains contextes de travail, les entreprises peuvent offrir aux employés qui reviennent au travail à la suite d’un épuisement professionnel, de changer complètement de poste ou même d’organisation, ce qu’on appelle aussi des transferts et des réaffectations (Schaufeli et Enzmann, 1998). Un changement d’organisation signifie plus particulièrement un transfert vers une autre succursale affiliée à l’entreprise qui peut se trouver dans une autre ville par exemple. Ces stratégies de transfert et de réaffectation sont habituellement offertes lorsque la réhabilitation s’avère très difficile, voire impossible dans l’ancien poste de l’employé (Ibid.). Elles ont une visée curative puisque qu’elles visent l’éloignement de la source du stress et le nouveau départ dans une autre organisation qui peut présenter des conditions parfois différentes (meilleures relations de travail, avec le supérieur immédiat, etc.).


[1] Péloquin, Éric (2012). Les pratiques des conseillers et des conseillères d’orientation auprès de personnes en situation d’épuisement professionnel Rapport d’activité dirigée présenté à la faculté d’éducation en vue de l’obtention de la maîtrise en orientation profil : carriérologie. Document disponible en ligne : http://orientationpourtous.blogspot.ca/2012/06/essai-en-ligne-eric-peloquin-sur-les.html

[3] Traduction libre
[4] Traduction libre
[5] Traduction libre
[6] Traduction libre

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