jeudi 2 mai 2013

Circonscrire la notion de projet chez l'individu : pistes de réflexion

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Circonscrire le concept de projet 


Sous une perspective anthropologique, plus que psychologique ou sociologique, Boutinet (2005a) confronte des matériaux tant empiriques et que théoriques pour dégager une articulation du projet.  Quatre fils conducteurs en justifie la pertinence: 1) inspiration vitale; 2) connotation culturelle; 3) dimensions psychologique et existentielle; 4)  dimensions méthodologiques à référence pragmatique.

Premièrement, en tant qu’inspiration vitale, le projet s’inscrit des comportements du vivant, se polarisant vers quelque chose qui est extérieur à soi, orientant la direction de l’existence et empêche la mort, sinon l’inadaptation. Il est un reflet des capacités symboliques et opératoires, de même qu’un point de départ et de destination du sens, de son existence. Pour Boutinet (2005a), les mécanismes de scolarisation et l’avènement de systèmes bureaucratiques à prétention universelle dans les sociétés occidentales au cours des derniers siècles ont entraîné une démocratisation des conduites de projet. Inspiration vitale, la construction de projet sert des impératifs psychologiques de développement de l’identité personnelle au travers d’une histoire personnelle qui s’allonge comme s’allonge l’espérance de vie.

Deuxièmement, en tant qu’opportunité culturelle les projets individuels s’insèrent dans des projets de cultures. Au projet individuel se superpose un projet culturel, tout aussi mouvant. La culture montre à l’individu le terrain sur lequel se trame les opportunités d’expansion (progrès, développement, orientation) et les annonces de crise (présence ou absence de projets de société, de perspectives d’espoir et de doutes) sur lesquelles il anticipera son devenir.

Troisièmement, l’enjeu existentiel implique chez l’individu la capacité de saisir ce qui relève du gratuit, de l’aléatoire, du superflu, ainsi que d’opérer des prises de conscience et des actions sur son existence. Par le projet, l’individu entend signifier quelque chose, autant pour lui-même que pour les autres. Par la recherche d’un sens, l’individu va d’une part chercher des motivations à ses actions au travers de l’expérience personnelle invoquée (histoire personnelle), des rationalisations explicitées (psychologie momentanée), mais aussi au travers d’un niveau plus sociologique de mimétisme social affirmé ou contesté (facteurs ambiants). D’autre part, il va chercher à identifier un sens dirigé par ses aspirations, ses préférences, les objets d’intérêt privilégiés dans l’environnement. Ces dernières sont des sources de motivation et d’articulation du projet.

            Quatrièmement, comme perspective pragmatique liée à une application méthodologique, Boutinet (2005a) voit le projet comme le désir de conquête d’une vie plus authentique. Par la mise en plan méthodologique et pragmatique, le projet rencontre l’action et l’anticipation rencontre la réalisation. Devenant inséparables, le premier préfigure le deuxième et le second modalise le premier. L’opérationnalisation du projet introduit l’acteur a ses potentialités créatrices et à ce qui le dépasse, à la conscience de ses limites, de sa fragilité, du risque de l’échec. Toutes ces dimensions font du projet un antidote à la répétition et à la mort (pôle biologique, inédit vital), à la régression et la marginalisation (pôle ethnologique, innovation culturelle), à l’absurde et le hasard (pôle phénoménologique, recherche existentielle de sens) et à l’impulsion et l’improvisation (pôle praxéologique, anticipation méthodologique). (Boutinet, 2005a, p.36)

            Les praticiens et les chercheurs en éducation, plus particulièrement en orientation scolaire et professionnelle (par exemple, ceux intéressés aux clientèles étudiantes actives, aux décrocheurs, aux mesures de soutien à la persévérance aux études ou à l’approche orientante), semblent accorder un intérêt marqué pour les mesures d’évaluation méthodologique et pragmatique, voire binaire, de l’existence ou la non existence d’un projet professionnel. Mais de quel projet professionnel parles t-on ?

Le projet professionnel et son ambiguïté polysémique


            Le projet professionnel n’est pas un concept clair au plan de la définition. La littérature sur le concept de projet chez les jeunes (dont plusieurs auteurs sont amenés dans cette section) s’associe, selon les acteurs, au projet professionnel, au projet scolaire ou d’études, au projet de vie, au projet adolescent, au projet d’orientation ou d’autres vocables de projet. L’usage de l’attribut "professionnel" au projet peut désigner quelque chose de complètement différent d’un chercheur à un autre, tout comme deux concepts différents évoqués (ex. projet professionnel, projet d’avenir et projet d’orientation) de la même façon. Pour Levine (dans ADAPT, 1995, p.82) « tout projet est en fait, non d’un seul projet, mais d’une superposition de projets personnels de nature différente ». Philibert et Wiel (1995) notent d’ailleurs cette variété : projet d’apprendre par rapport à la situation globale (environnement immédiat) de formation; projet d’orientation par rapport aux choix de filières et de l’environnement socio-scolaire; projet d’insertion socioprofessionnelle par rapport à son insertion en emploi; projet de vie par rapport à sa situation existentielle globale, son être au monde. Boutinet (2005a) et Beaucher (2004) présentent le projet professionnel de l’adolescent comme un projet à moyen terme,  englobant des projets à plus court terme : projet personnel,  projet de formation, projet d’orientation, projet d’insertion.  À son tour, le projet professionnel traverse les projets scolaires et les projets de vie pour constituer le projet de l’adolescent. (Boutinet, 2005a, p.84) Pour Nederlandt (1991), projet d'études et projet professionnel sont des termes liés et de ce fait, il faut faire place à une notion plus générale et englobante tel que projet adolescent ou encore projet de vie.

            S’appuyant sur l’apport de travaux de chercheurs, principalement francophones, Beaucher (2004) voit dans le projet professionnel un « processus dynamique, conjonction entre le passé, le présent et le futur d’un individu, lequel en est l’acteur. » (p.43) Cela implique une mise en action, une représentation des démarches, des obstacles et des échéances, afin d’atteindre un but identifié et mettant en jeu les représentations de l’individu à propos de l’école, du marché du travail, du métier envisagé, de soi et de l’avenir, lesquelles doivent être en accord avec les possibilités personnelles d’un individu et le contexte socioéconomique et comporter une certaine part de réalisme.

            Intéressée aux finissantes et finissants de l’ordre d’enseignement secondaire, Beaucher (2004) conçoit les dimensions du projet professionnel comme relevant des actions d’identification d’un but professionnel, de démarches, d’échéances, d’obstacles ainsi que des actions de représentation de l’école, du marché du travail, du métier envisagé, de soi, de l’avenir. Un but professionnel sans mise en action pour l’atteindre demeure ici une aspiration, voire de l’ordre du rêve. Un projet va  « se structurer et prendre consistance au sein de cette interaction de facilitation et/ou de confrontation entre l’agent et les acteurs qui l’entourent, au gré des opportunités rencontrés.» (Boutinet, 2005a, p.281)

            En ce sens, Beaucher (2004) distingue les concepts de "projet professionnel"  et d’"aspiration professionnelle"  en définissant ce dernier par les « intentions d’avenir professionnelles plus ou moins précises pour lesquelles le sujet n’est pas en mesure de se représenter efficacement une stratégie d’action lui permettant d’atteindre son but. » (p.75) Ainsi, on se trouve devant une situation dichotomique. D’une part, nous retrouvons les aspirations professionnelles en tant que projet incomplet, partiellement structuré. D’autre part, nous retrouvons le "juste" projet, objet complet, circonscrit et saisissable. Interrogé par moi-même dans le cadre d’un séminaire portant comme thème le projet professionnel tenu à l’Université de Sherbrooke en février 2005,  Boutinet (2005b) conçoit le projet comme associé à une action de transformation sur le réel, détenant une fonction utilitaire et faisant appel à l’utilisation de ressources. Cela implique un travail apportant une reconnaissance, un statut; source de réflexion sur son identité, permettant de se saisir soi-même.

            Le parcours de la littérature amène à constater que le projet professionnel se transforme continuellement, se situant d’abord temporellement entre un passé et un présent incomplet, inauthentique, déficitaire et un futur libérateur, dont l’accès passe par le déploiement stratégique de ressources personnelles  au sein de son environnement (Bérêt, 2002; Charpentier, Collin et Schurer, 1993; Proulx, 2004; Tap, 1995). Il se situe aussi dans l’espace entre le monde de l’individu, terrain de connaissance, et le monde qui l’entoure, terrain inconnu, ébranlable par les événements (Charpentier, Collin et Schurer, 1993; Philibert et Wiel, 1995; Touraine, dans Boutinet, 2005a).  Pour Boutinet (2005b), le projet pour être dit professionnel doit porter un nom de profession, de métier ou d’occupation, ne pouvant aucunement être une activité domestique ou de bénévolat. Mais pourrait-il en être autrement ? Sans doute, mais il faudrait voir. C’est pourquoi la définition provisoire que je me propose d’adopter porte sur une projection, plus ou moins claire, d’identités sociales porteuses de sens, dont la réalisation dans le social prendra la forme d’une activité de production utilitaire rémunérée.

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