lundi 27 octobre 2014

S'intéresser à la différence (Marie Dumoulin) - Guide de stratégies d'interventions orientantes, 3ième édition

Le document de cet article est tirée du document suivant : Cournoyer, L. (Dir., 2014). Guide de stratégies d'interventions orientantes - Troisième édition. Document inédit. Montréal: Université du Québec à Montréal. 



S’INTÉRESSER À LA DIFFÉRENCE

Marie Dumoulin, étudiante à la maîtrise en carriérologie (UQÀM)

 

OBJECTIFS

Objectif général : Aider le client à améliorer ses relations interpersonnelles auprès de ses collègues d’origines multiethniques en faisant preuve de plus d’empathie.
Objectifs spécifiques :
û  Aider le client à prendre du recul de son système de valeurs afin de mieux comprendre ses collègues
û  Aider le client à adopter une perspective à plusieurs points de vue par rapport à ses collègues (décentration cognitive)
û  Aider le client à déconstruire ses croyances erronées afin de favoriser des échanges plus ouverts avec ses collègues

MISE EN CONTEXTE ET PROCÉDURE D’INTERVENTION

George a 52 ans et travaille chez Bombardier comme chef ingénieur, à Montréal, depuis près de 30 ans.  Depuis quelques années, l’entreprise engage plusieurs employés d’origine marocaine.  George n’a jamais voyagé au Maroc.  Il associe les Marocains aux terroristes, car il a remarqué que certains d’entre eux ne prennent pas de plats contenant du porc à la cafétéria.  George a tout de suite fait l’association entre la religion musulmane et les attentats du 11 septembre 2011.  Depuis, il fait tout pour éviter le contact des Marocains qui travaillent avec lui.  Il leur marmonne seulement quelques mots lorsqu’il est dans l’obligation de le faire pour le travail, et ce, s’il ne trouve personne pour faire l’intermédiaire.  Bien souvent, les employés d’origine marocaine ne saisissent pas ce qu’il veut dire du premier coup, puisque George parle dans sa barbe sans les regarder et avec son fort accent québécois.  George raconte donc que ça ne donne rien de parler à ces employés, puisque de toute façon ils ne comprennent pas le français. 

Jusque là, George était très apprécié de ses patrons chez Bombardier.  Il a toujours été coopératif, patient et disponible avec les membres de ses équipes d’origine québécoise.  Il est par ailleurs un des employés les plus compétents étant donné son expérience de longue date dans l’entreprise.  George est une ressource importante pour l’équipe de Bombardier.  Par ailleurs, à ce jour, son employeur n’en peut plus de la tension que George crée au sein de ses équipes.  Les employés marocains lui ont fait de multiples plaintes.  Ceux-ci font tout leur possible pour avoir de bonnes relations avec George, mais sans succès.  Afin de tenter de régler le problème, il décide d’envoyer George consulter un conseiller d’orientation.  Son employeur espère que le conseiller réussira à lui ouvrir l’esprit.

Selon Brunel et Cosnier (2012), l’empathie est une variable cruciale dans la rencontre interculturelle puisqu’elle permet d’explorer ses ressemblances et ses différences, selon ses expériences passées, pour construire sa vision de l’autre et ainsi pouvoir améliorer sa relation.  Ces auteurs mentionnent également qu’il faudrait considérer quatre niveaux de participation dans une rencontre interculturelle, soient: l’émetteur, ses antécédents culturels, le récepteur et ses antécédents culturels.  L’activité présentée ici vise tout d’abord à aider le client à déconstruire ses croyances erronées en lui faisant prendre conscience de ce qu’il connait des employés marocains.  La première étape de cette stratégie d’intervention consiste à présenter à George ce tableau et à lui donner les explications qui lui permettront de le compléter.

Nom
Ce que je connais de lui
Preuve







Premièrement, on explique à George que la colonne de gauche sert à écrire les noms des employés marocains qui travaillent avec lui.  Dans la colonne du centre, il peut écrire ce qu’il connait de chacun de ces employés ou encore ce qu’il en pense.  Finalement, dans la colonne de droite, il devra indiquer, pour chaque élément qu’il aura écrit dans la colonne du centre, la preuve qui détermine que cet aspect caractérise bel et bien la personne décrite ainsi.  Voici un exemple de ce à quoi pourrait ressembler ce même tableau une fois rempli par George.

Nom
Ce que je connais de lui
Preuve
Mohammed
·         Il est arabe
·         Il est musulman
·         Il est ingénieur mécanique
·         Il ne comprend rien au français
·         Il est incompétent
·         Il est Marocain
·         Ne mange pas de porc
·         A été engagé
·         Quand je lui ai parlé, il m’a demandé de répéter plus lentement
·         Il ne comprend pas ce que je lui dis
Ne sait pas son nom
·         Il est arabe
·         Il est ingénieur électrique
·         Il ne comprend rien au français
·         Il est incompétent
·         Il est Marocain
·         A été engagé
·         Quand je lui ai parlé, il m’a dit qu’il ne comprenait pas
·         Il ne comprend pas ce que je lui dis
Ahmed
·         Il est arabe
·         Il est musulman
·         Il est ingénieur électrique
·         Il ne comprend rien au français
·         Il est incompétent
·         Il est Marocain
·         N’a pas pris le plat de porc à la cafétéria
·         A été engagé
·         Quand je lui ai parlé, il m’a demandé de répéter
·         Il ne comprend pas ce que je lui dis

La deuxième partie de l’atelier consiste à demander à George ce qu’il remarque du tableau.  Le conseiller d’orientation accompagne alors le client afin de lui faire remarquer les incohérences de ses réponses en lui posant différentes questions de manière empathique: “Êtes-vous certain que tous les Marocains sont Arabes?”, “Est-ce que le fait qu’il n’ait pas pris le plat de porc est une preuve véritable qu’il est musulman?”, “Est-ce que le fait qu’il vous ait demandé de répéter prouve qu’il ne comprend pas le français?”, et ainsi de suite.  Ces questions ont pour but d’amener le client à reconnaître que ses connaissances sont fondées sur des croyances erronées.  De plus, comme il est important d’être conscient du caractère unique de l’individu et de son altérité pour pouvoir faire preuve d’empathie selon Brunel et Cosnier (2012), le conseiller peut faire remarquer au client qu’il a dressé au détail près les mêmes descriptions pour les trois employés marocains.  Il peut alors lui en faire prendre conscience en lui posant une question comme celle-ci: “Votre description de vos collègues laisse à penser qu’ils sont tous identiques.  Le sont-ils vraiment? »  La deuxième partie de l’atelier consiste à reprendre les mêmes noms indiqués dans la colonne de gauche, mais cette fois à noter les ressemblances et les différences de ses personnes avec le client, encore une fois en indiquant la preuve.

Nom
Ressemblances
Différences
Preuve
Mohammed
·          
·          
·          
Ne sait pas son nom
·          
·          
·          
Ahmed
·          
·          
·          

Une fois ce tableau complété, le conseiller accompagne le client en lui faisant remarquer qu’il y a beaucoup plus de ressemblances prouvées dans le tableau, et ce, entre lui et les employés marocains, que de différences.  Par exemple, l’on pourra constater qu’ils sont tous des hommes ingénieurs travaillant pour la même compagnie, ayant une femme, des enfants, des amis communs, etc.  alors que les différences prouvées seraient probablement l’origine culturelle et religieuse seulement.  L’idée de cet exercice est de faire prendre conscience à George qu’il a aussi des ressemblances avec ses collègues d’origine marocaine et qu’il est possible de s’y intéresser.  Il est important ici que le conseiller nomme au client, comme l’indique Brunel et Cosnier (2012), que la pluralité culturelle étant un phénomène récent au sein des entreprises, qu’il est compréhensible de s’y sentir inconfortable.  Cette information démontrera au client la compréhension de sa situation par le conseiller et permettra de maintenir un lien de confiance avec le client. 

Finalement, le conseiller peut conclure l’activité en faisant goûter à George un fruit exotique. “Quand on goûte un fruit qu’on ne connaît pas pour la première fois, on se demande si on aimera ou pas. Il est possible que vous aimiez certains fruits exotiques et d’autres pas.  L’important, c’est d’y goûter pour le savoir.  Il suffit de s’intéresser à la différence pour pouvoir y émettre une opinion par la suite.  Je vous propose d’explorer vos collègues d’origine marocaine en leur posant des questions sur leurs différences.  Une fois que vous aurez compris qui ils sont vraiment, vous aurez alors le loisir de vous former l’opinion d’eux que vous voudrez, mais la première étape serait d’abord de s’intéresser à eux. Qu’en pensez-vous? »  L’approche de Rogers décrite par Brunel et Cosnier (2012) décrit l’empathie comme étant composée d’une notion de décentration et d’implication.  Cette conclusion permettra à George de s’orienter vers des actions qui le feront sortir de son système de valeurs (décentration) et de s’orienter vers la compréhension d’autrui (implication).


MISE EN GARDE ET AUTRES INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES

Si le client se sent forcé par son employeur de réaliser cette activité, il sera important pour le conseiller de décrire au client en quoi l’activité améliorera ses conditions de travail et de vie, et ce, afin d’obtenir un niveau nécessaire de motivation pour la réussite de l’intervention.  Le conseiller doit s’assurer que le client est apte à faire preuve d’introspection.  Cette activité peut s’avérer longue.  Il peut être pertinent de prévoir deux rencontres pour la réaliser.

PHASE DU PROCESSUS 

Cette activité est propice à la phase de compréhension, car elle vise une prise de conscience par le client de son fonctionnement psychologique, de la manière dont il traite l’information.

MOTS-CLÉS 

·         Croyances erronées
·         Décentration cognitive
·         Empathie
·         Relations interpersonnelles
·         Relations multiethniques

SOURCES D’INSPIRATION ET RÉFÉRENCES


Brunel M-L., Cosnier J. (2012). L'empathie. Un sixième sens. Lyon: PUL, ISBN : 978-2-7297-0859-7.

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