mercredi 15 décembre 2010

Le sentiment d’impuissance en relation d’aide - Un compte rendu


Le sentiment d’impuissance en relation d’aide :

Compte rendu[1] d’un article « orientant » tiré de
Rivière, B. (2008). Le sentiment d’impuissance en relation d’aide. Revue Québécoise de Gestalt, 11, 109-120.

Produit par :

Emmanuelle Desrosiers, étudiante à la maîtrise en carriérologie, UQÀM
Geneviève Plante, étudiante à la maîtrise en carriérologie, UQÀM
Louis Cournoyer, professeur à la section carriérologie, UQÀM


Bernard Rivière 

L’article Le sentiment d’impuissance en relation d’aide a été rédigé par Bernard Rivière. Celui-ci est professeur à la section carriérologie de l’Université du Québec à Montréal et dirige également des doctorants au département de psychologie à la section psychodynamique/humaniste. Il est spécialisé en counseling et en méthodes de recherche qualitatives. Monsieur Rivière est à la fois conseiller d’orientation et psychologue.  Il a été jusqu’à tout récemment, président de l’Association québécoise de Gestalt. En tant que chercheur, il s’est fait connaître principalement pour ses recherches sur la motivation, le décrochage scolaire et les représentations sociales de la réussite chez les jeunes.

Du sentiment d’impuissance … 

 
Une étude citée par l’auteur démontre que sur 318 psychologues américains, 74,3 % répondent avoir vécu de la détresse au cours des 3 dernières années, dont seulement 10 % ont cherché un soutien. Pour Rivière (2008), le sentiment d’impuissance en relation d’aide est une émotion tout à fait légitime. Hélas, pour plusieurs admettre cette émotion, est perçue comme un aveu d’incapacité professionnelle.
Les normes sociales de bonheur et de productivité semblent fortement liées au sentiment d’impuissance des intervenants. À ce propos, Rivière (2008) affirme que peut se créer un sentiment d’impuissance chez les intervenants lorsqu’ils sont en présence d’un manque de définition de leurs rôles et des responsabilités ou lorsqu’ils sont en présence de mandats contradictoires. Selon l’auteur, la société néo-libérale actuelle semble encourager l’apparition du sentiment d’impuissance. Plusieurs vivent des problématiques liées à la performance qu’ils associent à l’autonomie, au développement personnel voire à leur identité. Dans ce cadre, l’intervention n’est pas suffisante, car elle vise à résoudre au plan individuel une situation qui est d’origine sociale. De plus, la valorisation de l’autonomie cache souvent un désengagement social vis-à-vis les individus en difficultés.
Plusieurs intervenants sont aussi aux prises dans le cadre de leur travail avec plusieurs mandats : celui que le conseiller en orientation ou de psychologue se donne, celui que le client leur attribue et finalement celui de l’organisation.  Ces divers mandats n’ont pas toujours les mêmes objectifs et peuvent alors être contradictoires. À titre d’exemple, il arrive souvent que l’intervenant ait besoin de plus de temps que celui qui est prescrit par l’organisation ou le payeur de service. L’intervenant peut alors se sentir impuissant à répondre à la fois au besoin du client, de l’organisme et à ses propres exigences éthiques vis-à-vis les personnes en besoin d’aide.
Au plan personnel, connaître ses propres besoins de contrôle, de performance, de pouvoir et d’affirmation de soi ainsi ses forces et fragilités peut aider l’intervenant à mettre ses limites et ainsi éviter d’être aspiré dans l’univers du client ou de l’organisation. De plus, les attentes des clients sont souvent élevées. Le client souhaite que son problème disparaisse rapidement et voit l’intervenant comme un magicien pouvant régler leurs difficultés d’un coup de baguette.
Dans la pratique clinique, il arrive plusieurs situations pouvant générer ce sentiment d’impuissance chez l’intervenant. Que ce soit un client qui ne termine pas le processus sans raison apparente, des clients avec qui il est difficile d’établir l’alliance thérapeutique et qui confronte l’intervenant sur sa compétence professionnelle, des clients qui ont des demandes contradictoires, etc. Bref, il existe une multitude de situations qui permettent d’accroître le sentiment d’impuissance chez l’intervenant et les résistances du client envers l’engagement thérapeutique en font partie.
Il est possible, grâce à une figure qui présente quatre types relations entre le pouvoir et le vouloir des individus, et ce, autant pour l’intervenant que pour le demandeur de service. Cela permet d’évaluer d’une part, les résistances du client et de savoir ainsi ce qui est sous son contrôle et sa responsabilité ainsi que son niveau de motivation au changement. Les types de relation sont : l’évitement, beaucoup de pouvoir et pas d’action; la pleine maîtrise, beaucoup de pouvoir et beaucoup d’action; le lâcher-prise, peu de pouvoir et peu d’action; l’acharnement, peu de pouvoir et beaucoup d’action. Chez le client, ces dimensions sont aussi des indices de résistances. D’identifier la zone où le client se situe permet d’accueillir le client là où il se situe et permet aussi d’ajuster l’intervention en fonction de ses résistances. Par exemple, dans le contexte où le client est dans une résistance de type « lâcher prise », l’intervenant doit faire attention de ne pas entrer en confluence, c’est-à-dire de perdre ses repères en étant en fusion avec le client et entrer lui-même dans de l’inaction. Pour ce qui est de l’acharnement, il peut être dangereux pour l’intervenant de s’investir dans l’atteinte d’objectifs irréalistes ou de vouloir soulager rapidement la souffrance du client.
Par la suite, monsieur Rivière identifie les éléments de l’approche gestaltiste qui peuvent prévenir le sentiment d’impuissance.

Le contact gestaltiste

La Gestalt-thérapie se situe dans une optique dynamique. Cette dynamique prend forme dans la relation que l’individu a avec l’autre et avec lui-même. Dans cette relation, l’aidant doit s’ajuster à des êtres singuliers et à des environnements variés. Ce processus d’ajustement créateur est un processus continuel. En gestalt, l’individu est perçu comme agent de changement et la relation interpersonnelle et intrapersonnelle est le moteur de son développement. Le Self  est au cœur de la Gestalt-thérapie c’est un concept incontournable. Dans l’optique où la Gestalt cherche à amener le client vers le changement, le Self n’est plus le sujet en tant que psyché, mais le processus relationnel avec l’environnement. Ainsi, une pathologie ou un problème n’est pas perçu comme une perturbation du sujet, mais davantage comme une perturbation du contact relationnel du sujet avec l’environnement. De plus, ces perturbations vont se reproduire dans l’ici et maintenant de la relation thérapeutique.

Ce qui est important dans la Gestalt c’est le processus d’ajustement et de changement plutôt que les causes, les raisons ou même le contenu (Rivière, 2008). Il ne s’agit pas de savoir pourquoi le client ne supporte plus son collègue, mais de l’amener à prendre ses propres décisions face à son travail d’équipe. Il ne pourra pas changer son collègue, mais il peut se changer dans sa relation avec son collègue dans l’ici et maintenant.  Les méthodes d’intervention en Gestalt-thérapie se fondent sur le principe de la responsabilité. Selon ce principe, l’intervenant aide le sujet à augmenter la conscience de son expérience et de ses besoins dans l’ici et le maintenant. Par ce principe de responsabilisation, le sujet n’a plus besoin de se référer à autrui et il en vient à prendre ses propres décisions et à se mettre en action. Le processus de prise de conscience de l’individu dans l’ici et maintenant permet au sujet de reprendre le contrôle de sa propre vie. Ainsi, il peut explorer ses difficultés existentielles pour rétablir son libre arbitre, sa liberté de choix. C’est ce processus de changement vers la responsabilisation qui est important. Il faut que l’intervenant amène le sujet à se concentrer sur ce qu’il fait ici et maintenant avec ce qu’il est aujourd’hui.

L’essentiel est donc de mettre le sujet en mouvement. Dans les notions de la Gestalt, les relations de la prime enfance d’un individu viennent façonner ses rapports ultérieurs. Il est donc possible d’aller explorer avec le sujet ses rapports parentaux et voir comment ceux-ci perturbent le contact dans l’ici et maintenant. Cela dit, après une exploration plus ou moins longue, il ne faut pas se complaire passivement dans l’expression des émotions. Il faut que le client se mobilise surtout entre les rencontres de relation d’aide. Il est donc important d’amener explorer de nouvelles avenues et risquer des nouvelles façons d’être. En effet, la thérapie est un espace de co-création pour le sujet et l’intervenant. Il faut donc que l’intervenant prenne en considération ce qui favorise ou entrave cette co-création et ainsi voir ce que le client reproduit dans son contact avec l’environnement. Le chercheur gestaltiste Uwe Strümpfel indique que « la prise de conscience immédiate de ce qui se déroule entre le thérapeute et le client est plus importante que les interprétations et les explications de l’intervenant » (Rivière, 2008, p. 117).  Bien que l’objectif ultime du gestaltiste est d’amener le client à bouger, à changer, à s’ajuster, il faut toujours prendre en considération divers facteurs. Ainsi, il faut ajuster la durée la nature du processus d’intervention en fonction de l’histoire singulière du client, de ses ressources, et des conditions externes.

Implications carriérologiques

Dans une société où le bonheur est devenu la nouvelle norme sociale, où la réalisation de soi est souvent associée au succès matériel, aux professions gagnantes, le travail devient idéalisé.  Nous sommes dans une ère d’hyper productivité où les individus doivent de plus en plus performer avec un minimum de ressources. Ainsi, les demandes de consultations en carriérologie sont de plus en plus nombreuses, car plusieurs n’arrivent pas à se réaliser par le travail, tel qu’ils le devraient selon les nouvelles injonctions sociales et se trouvent anormaux. Cette idéologie ne remet pas les conditions de travail en question, mais les compétences des gens à être heureux. Hélas, comme l’affirme Bernard Rivière, plusieurs intervenants souscrivent eux-mêmes à cette logique et paradoxalement sont tout autant que leurs clients dans des conditions précaires de travail qu’eux-mêmes n’osent pas dénoncer puisqu’ils pensent que la source du problème est personnelle. Le travail devient alors indispensable et en même temps intolérable. Dans cette situation où ni la lutte ni la fuite ne sont possibles, l’individu peut voir cette double contrainte comme une situation sans issue. Si cela perdure sur une longue période, il en résulte le stress, la dépression et la maladie. Dans une optique gestaltiste, cette double contrainte est vue comme un dilemme de contact qui provoque des introjections contradictoires difficiles à métaboliser et pouvant amener une perte d’unité du Self chez le client comme chez l’intervenant (Rivière, 2008). Monsieur Rivière en tant que spécialiste en counseling de groupe considère que le partage, le dévoilement voire la dénonciation des abus sociaux dans des groupes de rencontre peuvent être un bon rempart contre le sentiment d’impuissance.



[1] Ce compte rendu est publié avec l’autorisation de Bernard Rivière et il en assume entièrement les propos.
 

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