jeudi 5 janvier 2012

DE LA LECTURE À LA PRATIQUE ... Comprendre et pratiquer l’approche narrative : concepts fondamentaux et cas expliqués

Bonjour,

Vous trouverez ci-joint l'oeuvre de deux finissantes de la maîtrise en carriérologie portant sur la recension d'un ouvrage portant sur les techniques d'intervention  en approche narrative avec application pratique en contexte de counseling de carrière. Plus particulèrement, il est question de recenser l'ouvrage en faisant ressortir les concepts et les notions d'intervention importantes et de voir ensuite en quoi cela peut s'appliquer concrètement au counseling de carrière. La recension peut être consulté sur le site http://www.orientaction.ca/images/stories/lecture/gelinas_goulet_approche_narrative.pdf


Voici pour vous :


Comprendre et pratiquer l’approche narrative :
concepts fondamentaux et cas expliqués


Par

Marie-Ève Goulet, étudiante à la maîtrise en carriérologie (UQÀM)

Geneviève Gélinas, étudiante à la maîtrise en carriérologie (UQÀM)

Sous la direction de


Louis Cournoyer, Ph.D., c.o.

Professeur (counseling de carrière)

Université du Québec à Montréal
Blanc-Sahnoun, P. et Dameron, B. (2009). Comprendre et pratiquer l’approche narrative : Concepts fondamentaux et cas expliqués.  Paris, France : InterEditions.

1.    Une approche positive, influente et flexible


Quel professionnel du domaine de l’orientation n’a jamais été confronté à des clients submergés et paralysés par leur insatisfaction professionnelle? Très peu, voire aucun. Les histoires et les expériences rapportées par ces clients, empreintes de négativité, peuvent dominer et faire ombrage aux aspects positifs de leur vécu professionnel et de leur concept de soi. Ce processus les freine évidemment dans leur capacité à s’orienter ou à modifier leur travail actuel afin d’améliorer leur qualité de vie. Cette situation contraste avec le champ d’exercice des conseillers d’orientation qui stipule notamment que l’intervention de ces derniers vise à développer la capacité de l’individu à faire des choix professionnels et à réaliser des projets de carrière (Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec, 2010). Comment pouvons-nous donc déconstruire cette vision pour promouvoir le changement chez nos clients? Voilà l’apport majeur de l’approche narrative. Selon les auteurs Pierre Blanc-Sahnoun et Béatrice Dameron (2009), les pratiques narratives permettent de reconstruire des «récits de vie où les histoires de problèmes cèdent devant l’infinie capacité des personnes et des groupes» et «les aident à tenir le coup dans les circonstances difficiles, à dépasser la souffrance et les traumas.» (p.2) Cette approche vise donc à amener les individus, que ce soit en contexte de counseling individuel ou de groupe, à atteindre un mieux-être en les recentrant notamment sur leurs valeurs, leurs intérêts et leurs espoirs. De dégager ces éléments à connotation plus positive a pour but d’aider les clients à déterminer la direction dans laquelle ils veulent orienter leur présent, leur futur et à quitter ce cercle vicieux d’insatisfaction. Même s’il est possible d’identifier des ressemblances entre les pratiques narratives et d’autres approches utilisées en counseling, notamment l’approche orientée vers les solutions (AOVS), les idées narratives viennent teinter à leur façon l’interaction conseiller-client. Influentes par nature, elles mettent l’accent sur l’utilisation de questions ouvertes, pour entre autres amener les clients à voir leur situation sous un autre angle. Elles sont également flexibles, tant au plan de l’application des concepts que dans la possibilité de les combiner à d’autres approches. La présente recension aborde l’ouvrage intitulé Comprendre et pratiquer l’approche narrative : Concepts fondamentaux et cas expliqués, premier ouvrage français traitant de cette approche élaborée il y a plusieurs années par Michael White et David Epston. Sa visée : faire connaître ce modèle d’intervention apparu en France au début des années 2000, tout en permettant au professionnel de «trouver […] un récit qui lui parle, des mots et des images qui résonnent, et qui lui permettent de comprendre […] quel travail se fait dans les conversations narratives.» (p.2-3).

2.    Michael White et David Epston

 

Selon Blanc-Sahnoun et Dameron (2009), les premières traces de l’approche narrative remontent aux années 1980. Elle s’est d’abord fait connaître en Australie, à la suite des travaux de ses deux fondateurs : Michael White et David Epston. Cela dit, il semble que ce soit surtout White qui ait poursuivi le développement des pratiques narratives, au sein du Dulwich Center of Narrative Practice d’Adelaïde, en Australie. M. White et D. Epston ont développé une approche pouvant être utile à tout intervenant en relation d’aide. Dénonçant le jugement normalisateur de la société, ils se sont intéressés à la façon dont les individus faisaient du sens avec leur vécu et ont créé différentes méthodes narratives visant à externaliser, déconstruire et reconstruire certaines histoires de vie négatives. Ayant fortement contribué à l’évolution de l’approche narrative, M. White est décédé en 2008. Même s’il s’est écoulé plus de 25 ans depuis la création de cette approche, il semble bien qu’elle ne se soit pas répandue très rapidement à travers les autres continents. D’ailleurs, elle est utilisée en France depuis moins de 10 ans et se fait encore timide au Québec. À ce jour, la majorité des publications s’intéressant à cette approche sont en anglais. M. White et D. Epston sont co-auteurs de quelques livres, notamment Narrative Means to Therapeutic Ends (1990). Pour sa part, M. White a de nombreuses publications à son actif, dont le livre Maps of Narrative Therapy (2007) ainsi que Narrative Practice and Exotic Lives : Resurrecting diversity in everyday life (2004).


3.    Recension de cet ouvrage collectif


Ce livre de 311 pages, rédigé sous la coordination de Pierre Blanc-Sahnoun et Béatrice Dameron, comprend une introduction et deux parties. L’introduction et la première partie ont pour but de présenter le contexte historique duquel ont émergé l’approche narrative et les concepts clés de celle-ci. La deuxième partie regroupe les chapitres 2 à 19, qui sont le fruit d’une collaboration entre les deux auteurs et des praticiens utilisant l’approche narrative[1]. On y rapporte des histoires de cas réelles qui permettent aux lecteurs de se représenter concrètement comment les idées narratives peuvent s’appliquer à des problématiques variées. En guise de conclusion, les auteurs dressent un bilan de leur expérience les ayant menés à produire ce livre.

L’introduction présente les grandes lignes de l’approche narrative et fait ressortir, dès le départ, sa pertinence pour le domaine de la carriérologie. Cette approche,  centrée sur le client, soutient que chaque individu se raconte des histoires à propos de lui-même qui structurent et influencent son parcours de vie. Comme le soulignent les auteurs, le milieu du travail par l’intermédiaire duquel l’individu cherche à s’épanouir personnellement et collectivement donne naissance à diverses histoires tantôt positives, tantôt négatives. Or, les histoires négatives peuvent freiner le développement des individus si ces derniers ne sont pas en mesure de se dégager des affects négatifs y étant associés. Le but de l’approche narrative est d’amener les clients à miser sur les histoires qu’ils perçoivent comme étant positives et à déconstruire celles qui sont négatives afin de les transformer en histoires préférées[2]. Pour ce faire, le professionnel amène le client à redécouvrir ses valeurs, ses intentions, ses rêves, etc. Ces nouveaux récits permettent à l’individu de redéfinir son identité, de reconsidérer ses modes d’interaction avec autrui et de quitter cet état de blocage dans lequel il était plongé.

La première partie du livre, intitulée Éclairages, comprendre, est composée du chapitre 1 : Les pratiques narratives et la psychologie populaire. Dans ce chapitre, des extraits d’un texte écrit par Michael White, traduits en français, exposent les principaux fondements théoriques et historiques de l’approche narrative. Il est d’abord question de la psychologie populaire[3], à l’intérieur de laquelle prennent racine les pratiques narratives. Elle se caractérise principalement par deux concepts : l’initiative personnelle et les états intentionnels. Ceux-ci réfèrent à des notions telles que les valeurs, les croyances, les désirs, les espoirs et les intentions des individus, auxquels une place prépondérante est accordée pour comprendre ses propres actions et réactions ainsi que celles d’autrui (p.48). La psychologie populaire nous permet donc de donner du sens à notre vie et aux événements qui nous arrivent. Par un bref retour historique, White explique que la psychologie populaire a peu à peu été mise à l’écart avec l’arrivée des psychologies professionnelles (p.28). D’abord, la psychologie d’états internes s’est installée à la fin du 19e siècle, accordant une place centrale au psychisme et aux mécanismes inconscients. Cette dernière est ensuite écartée par le courant du behaviorisme radical, qui sera suivi de la révolution cognitive. D’abord intéressés par la construction de sens, les cognitivistes ont délaissé cette idée pour se tourner vers le traitement de l’information. Puis, dans les années 1970, on assiste à la «montée phénoménale des psychologies populaires des états internes.» (p.34) Le soi devient alors un concept central. Simultanément, la psychologie populaire se voit renaître puisque le tournant interprétatif – issu de l’anthropologie – redonne à la notion de sens une place déterminante pour comprendre l’action humaine (p.36). White souligne que pour mieux comprendre ce qui leur arrive, les individus «inscrivent [leurs expériences] dans des séquences d’événements qui se déroulent dans le temps et s’organisent autour de thèmes spécifiques.» (p.38) Il est possible de faire un lien avec les interventions en orientation, qui vont souvent débuter par une exploration des différents parcours de vie du client. Le conseiller demande implicitement au client de révéler les différentes histoires qu’il a construites au fil du temps et qui vont généralement être révélatrices de ses valeurs, de ses espoirs, de ses croyances, etc. Ces éléments sont établis et modifiés tout au long de sa vie par le biais de ses expériences de vie, de ses contacts avec les autres et de la culture de son milieu. Lorsqu’un individu est confronté à un problème, l’approche narrative le perçoit comme une occasion pour le client de reprendre contact avec ses états intentionnels et d’ouvrir la voie à des possibilités qui n’avaient pas été envisagées au départ. Pour y arriver, l’une des pratiques consiste à utiliser les conversations externalisantes[4], qui «créent des options pour redéfinir ou revoir les relations des personnes avec les problèmes et ainsi sortir leurs vies de ces conclusions identitaires très négatives.» (p.50) Cela permet de ne plus confondre l’identité avec le problème et de créer des histoires alternatives, directement connectées à leur identité désirée et réelle et détachées de l’histoire dominante[5]. White soutient que l’identité de la personne est le résultat d’une construction sociale et pour que l’individu puisse l’ancrer, cette identité doit être validée par les autres. C’est pourquoi lors d’interventions d’orientation narrative, une autre personne, connue ou non du client, peut être invitée comme témoin extérieur et contribuer à la nouvelle narration lors des cérémonies définitionnelles[6], concept largement abordé à l’intérieur des chapitres. Une autre pratique consiste à rechercher des exceptions, ces moments où la personne n’était pas envahie par le problème et qui mettent en lumière les ressources et qualités qu’elle possède.

Le chapitre 2 marque le début de la deuxième partie du bouquin, nommée Témoignages ; Pratiquer, et s’intitule L’histoire d’un premier entretien. Son auteure, Brigitte Warnez, relate ses premiers entretiens avec Claude, un avocat ayant vécu un conflit professionnel avec un couple d’amis à qui il a offert son aide. Cette mésaventure a visiblement encore des impacts sur son identité et son quotidien. Cette histoire de cas illustre en quoi le fait d’identifier le problème et de le nommer comme s’il s’agissait d’un objet extérieur à soi permet d’adopter une toute autre perspective par rapport à celui-ci. Les mots utilisés par le client sont de grands révélateurs de ses valeurs et de ses besoins profonds. Voilà une idée intéressante amenée par le chapitre 2. Les choix de mots effectués par nos clients ne sont pas le fruit du hasard et il est important d’y porter attention lors de nos interventions puisqu’ils révèlent ce qui importe pour eux. De plus, ce chapitre soulève l’importance d’établir des liens entre la situation actuelle vécue par le client et d’autres expériences similaires afin de faciliter l’identification de ses états intentionnels et de ses ressources. En appréhendant la  situation actuelle au regard de ses expériences passées, il est probable qu’il prenne du recul et soit capable de se questionner sur ses actions et réactions.

Dans le chapitre 3, intitulé Moments magiques de la vie ordinaire, Catherine Besnard-Péron évoque la puissance que peuvent avoir les conversations narratives pour amener le client à voir sa réalité sous un angle plus positif et ainsi diminuer l’ampleur des difficultés perçues. L’externalisation du problème, la déconstruction du problème à l’aide de questions ouvertes et la conversation de re-membrement[7] ont été les principales méthodes employées auprès de trois clients aux prises respectivement avec des crises d’angoisse, des difficultés à prendre position lors de conflits et une démotivation professionnelle. L’angoisse est un sentiment pouvant être retrouvé chez des étudiants qui doivent effectuer un choix de carrière ou des clients éprouvant des difficultés à négocier simultanément avec leurs rôles de travailleur, de conjoint et de parent. En externalisant le problème, le client peut parvenir à clarifier ses états intentionnels, à se repositionner face à ceux-ci et ainsi évaluer la situation de façon plus lucide. En agissant de la sorte, on déconstruit également le concept identitaire que la personne a développé en lien avec cette situation. Dans le cas de figure illustrant les difficultés d’une cliente à prendre position lors de conflits, les questions ouvertes utilisées par la conseillère l’amènent à se détacher de l’image initiale de lâcheté qu’elle entretenait à propos d’elle-même. Ce même type d’intervention pourrait être utilisé auprès d’un client angoissé de ne pas être en mesure de se positionner face aux options de carrière possibles. La troisième cliente est insatisfaite et démotivée par sa situation professionnelle, problème fréquemment rencontré chez des clients en contexte d’orientation. En allant chercher ce que ces personnes admirent ou envient chez d’autres (ex. : être aussi passionnée par son travail que l’est son conjoint), il est possible de dégager plusieurs indices au sujet des valeurs et besoins auxquels les clients désirent se raccrocher professionnellement.   

L’auteure du chapitre 4, Laurence d’Andlau, raconte les cas d’Hadrien, Vincent et Benoît en situation de transition professionnelle. Même si les enjeux et le contexte dans lequel s’inscrit la transition diffèrent pour chacun de ces individus, tous font face au changement et à l’incertitude. L’approche narrative a aidé ces clients à surmonter leur image identitaire négative provenant de leurs expériences professionnelles passées, de leurs attentes face au travail et de leurs relations interpersonnelles afin qu’ils soient en mesure de se lancer dans leur nouveau projet professionnel. Par le biais de la conversation pour redevenir auteur[8], de la conversation de re-membrement, de la conversation externalisante et de la cérémonie définitionnelle, la conseillère a amené les clients à sortir d’une impasse décisionnelle et à vouloir agir. Ces trois cas font ressortir en quoi les interventions en développement de carrière peuvent être constituées d’allers-retours entre le passé, le présent et le futur. En explorant les histoires négatives passées, il est possible de faire émerger les espoirs, les aspects clés que la personne désire retrouver dans sa situation professionnelle future, ainsi que ses compétences et ses qualités actuelles qui favoriseront la réalisation de son projet. Elles peuvent également permettre de déconstruire certains blocages chez des clients aux prises avec un sentiment d’ambivalence, concept central de ce chapitre. Il suffit de penser à certaines personnes qui désirent quitter un emploi insatisfaisant, mais qui n’arrivent pas à faire le saut sous prétexte que les conditions de travail et le salaire ne seront pas aussi avantageux ailleurs.

Éric qui trace la route! est le titre du chapitre 5, qui dresse le portrait d’un homme souffrant d’hémiplégie et ayant une faible estime de lui, ce qui crée un obstacle à sa recherche d’emploi.  À travers ce chapitre, l’auteure Michèle Gauthier illustre comment la méthode du témoin extérieur est puissante pour amener le client à modifier son concept de soi. Par le biais de cette technique, une troisième personne est invitée à participer à l’intervention et à exprimer ses impressions, partager les mots clés qu’elle a captés dans le discours du client lorsque celui-ci a raconté l’une de ses histoires de vie. Se faire décrire par l’autre peut nous amener à mettre des mots sur ce qui nous caractérise, à nous confirmer que nous sommes dans la bonne voie et à remettre en question notre façon de s’auto-évaluer. Une intervention de ce genre pourrait s’avérer fort utile avec des clients aux prises avec le «syndrome d’imposteur», souvent lié à une faible estime de soi.

Le titre du chapitre 6, Changement de cap, illustre bien le fait que les pratiques narratives peuvent être une voie à envisager quand les autres interventions utilisées par l’intervenant n’ont pas permis de faire avancer suffisamment le processus de counseling. À travers l’histoire de Jean, qui ressent certaines insatisfactions face à son travail, sa vie conjugale et qui craint la mort et la maladie, ce chapitre fait implicitement ressortir les similarités partagées entre l’approche narrative et l’AOVS. En ce sens, l’auteure, Fanny Moureaux-Néry, part du principe qu’il faut «faire confiance au potentiel positif de ceux qui demandent de l’aide» (p.137) et se lance à la recherche des forces et des états intentionnels de Jean. Par l’entremise de questions, elle tente donc de repérer des moments d’exception, d’externaliser le problème et de diminuer l’emprise des affects négatifs sur le client. L’auteure rapporte que, dans le cas de Jean, le fait «de se concentrer sur le diagnostic de la pathologie entretenait les problèmes» (p.137), un principe également adopté par l’AOVS.  

Le chapitre 7, intitulé L’approche narrative : une autre manière de penser et de faire se raconter une entreprise, ouvre la voie à l’application de l’approche narrative en entreprise. Plus précisément, Bruno Auer y décrit la façon dont un film retraçant l’histoire d’une société a été élaboré à partir de questions inspirées des cérémonies définitionnelles. Par le biais de ces questions, des clients, des fournisseurs, des employés et des actionnaires ont raconté leur propre histoire au sein de l’entreprise à laquelle ils sont affiliés. Cette utilisation de l’approche narrative a permis de faire ressortir, à travers les discours individuels, une certaine unicité en ce qui a trait aux valeurs, aux compétences et aux visions encouragées par l’entreprise. Un tel résultat n’aurait pu être atteint sans cet effort de collaboration et représente une mine d’or d’informations pour les gestionnaires : «À l’heure où la recherche de la cohésion et la motivation des salariés passe par leur mobilisation, un tel gisement semble porteur de renouveau.» (p.156) Ce cas démontre la pertinence d’introduire les pratiques narratives en milieu organisationnel.

Dans le chapitre 8, intitulé Glouton ou le monstre de la boulimie, Michèle Lechifflart raconte l’histoire de Marie, une femme souffrant de boulimie. L’auteure souligne que dans le cas de compulsions, les clients et l’entourage peuvent avoir tendance à percevoir la personne comme étant le problème. Par l’approche narrative, le problème peut être décrit et nommé, permettant alors à l’individu de lui octroyer une identité indépendante de la sienne. Dans le cas de Marie, celle-ci nomme ses compulsions Glouton. Ce même genre d’intervention pourrait être utilisée dans le cas d’un bourreau de travail qui pourrait nommer sa problématique «Drogue du travail». Dès lors pourrait s’opérer un certain détachement entre le client, le problème et les émotions négatives qui y sont rattachées afin d’avoir davantage de contrôle sur sa situation. L’auteure indique que les compulsions peuvent être influencées par les messages véhiculés par l’environnement social. Si l’on reprend l’exemple ci-dessus, il est évident que l’importance qu’accorde la société d’aujourd’hui au rendement et à la performance peut rendre vulnérables les individus qui veulent correspondre à la norme. Il est important de mentionner que la thérapie narrative avec Marie n’a pas été en mesure d’enrayer complètement le problème; bien que les crises de boulimie aient disparues, elle se faisait encore vomir occasionnellement.

Le chapitre 9, Goodbye Mike, bonjour la créativité, aborde en quoi l’approche narrative peut s’avérer intéressante pour aider les clients alcooliques à redéfinir leur identité ainsi que leur relation avec l’alcool pour demeurer abstinents. Pour ce faire, ces clients sont amenés à reprendre contact avec leurs valeurs, qui avaient été écartées par l’alcool et ses effets négatifs. L’auteure de ce chapitre, Elizabeth Feld, présente l’histoire de Carla, une ancienne alcoolique qui tente de vivre avec ses crises de panique et son perfectionnisme qu’elle étouffait auparavant par l’alcool. En nommant son problème Mike, elle a réussi à lui donner une identité propre et à redéfinir sa relation avec lui, pour arriver à faire place à certains aspects ignorés de son identité : sa créativité. Selon l’auteure, les programmes d’entraide s’avèrent essentiels pour aider le rétablissement des personnes alcooliques; dans ces groupes, les individus se sentent acceptés, contrairement aux moments où ils se sentent marginalisés en refusant de boire, puisque ce comportement est encouragé par la société. Il est possible d’établir un parallèle avec les chômeurs, qui doivent eux aussi renégocier leur rapport au travail, car en perdant leur emploi ils ont perdu leur identité de travailleurs. Au moment de se remettre à la recherche d’un emploi, ils devront viser à se détacher des effets négatifs associés à la perte d’emploi pour arriver à se mobiliser. Tout comme les réunions d’Alcooliques Anonymes, les groupes de recherche d’emploi s’avèrent une solution intéressante pour bâtir cette nouvelle identité de chercheur d’emploi en interagissant avec d’autres personnes vivant une situation similaire.

L’auteur du chapitre 10, Lionel Ancelet, présente L’utilisation des pratiques narratives sous forme d’exercices écrits lors d’un bilan de compétences. Il expose une façon de bonifier les exercices habituellement proposés aux clients dans le cadre de bilans de compétences dans le but de faire ressortir leurs états intentionnels (rêves, valeurs, buts, etc.). Pour ce faire, le conseiller invite les clients à attribuer un nom à leurs réalisations. L’objectif est d’aider les clients à identifier les fils conducteurs qui guident leur vie et d’approfondir leur connaissance de soi en identifiant des qualités qu’ils ne s’attribuaient pas auparavant. Le fait de se concentrer sur leurs états intentionnels permet aux clients de remplacer graduellement les histoires négatives qui teintaient leur identité en adoptant une vision plus positive, à partir de laquelle s’élaboreront leurs actions futures. Un autre exercice cible les conversations de regroupement, qui permettent aux clients de relier leur projet professionnel à leur identité et aux personnes significatives pour eux, puis d’identifier les actions nécessaires à sa réalisation. Ce chapitre peut amener les conseillers d’orientation à se questionner sur la façon de présenter les résultats de tests ou de questionnaires aux clients. Que ces derniers se reconnaissent ou non dans les résultats, il est pertinent de s’attarder à leurs explications et aux événements qu’ils associent aux intérêts, aptitudes et traits de personnalité identifiés par ces outils. Pour le conseiller et le client, de procéder ainsi permet d’aider à l’exploration et à la compréhension du vécu du client. Cela peut aussi représenter une façon d’unifier un parcours qui semblait incohérent au départ.

À travers le chapitre 11, Xavier Blaevoet expose dans un langage concret son Utilisation de l’approche narrative, combinée à la médiation par la photographie, plus spécifiquement dans le cadre de ses interventions auprès des chercheurs d’emploi. L’auteur y détaille comment les photographies peuvent amener l’individu à : 1) exprimer comment il se voit dans le moment présent (identité); 2) identifier et externaliser le problème; 3) définir ce qu’il souhaiterait devenir (but); 4) déterminer les moyens qu’il possède ou qui sont nécessaires pour atteindre ses objectifs (ressources). Au travers de ces étapes, le client choisit une photographie parmi celles proposées et la commente. La photographie permet de faire émerger différents événements et émotions chez le client, l’aide à s’exprimer sur son vécu en se détachant du problème ainsi qu’à identifier un but. Il est par la suite invité à relater des histoires passées où il a mis en œuvre certaines de ses ressources pour qu’il reprenne contact avec celles-ci et puissent les mobiliser pour atteindre ses objectifs, ce qui semble désormais possible. C’est ainsi que se construit l’histoire alternative du client, qui sera enrichie par la cérémonie définitionnelle. On constate qu’une grande place est accordée à la recherche d’exceptions et aux ressources de l’individu, ce qui n’est pas sans rappeler encore une fois des concepts importants de l’AOVS. Cette méthode est facilement transposable dans les interventions du conseiller d’orientation, les photographies étant utiles pour travailler sur toutes sortes de problématiques, auprès de clientèles variées.

Dans le chapitre 12, Bernard Hévin illustre La place de la narrative dans le coaching de groupe. Dans le cadre des interventions de coachings individuels en groupe[9], les participants sont invités à exposer à tour de rôle un problème vécu au travail. Habituellement, l’exposant recueille les conseils des autres, qui tentent de lui indiquer ce qu’il devrait faire. Cependant, l’auteur a réalisé qu’il était préférable d’amener l’exposant à discuter de la situation en faisant référence à ses aspects relationnels et émotionnels plutôt que de le laisser parler à propos du problème. Par l’utilisation de la cérémonie définitionnelle, il devenait possible de modifier la communication au sein du groupe et de se détacher de la norme. À travers ce chapitre, l’auteur illustre par des schémas le déroulement des cérémonies définitionnelles adaptées à ce type de coaching. Les participants s’échangent les rôles de narrateur, témoin extérieur et observateur, et sont tous appelés à s’exprimer en privilégiant l’expression des émotions. Il va sans dire que l’une des règles de base transmise aux participants consiste à écouter sans intervenir et sans juger. Cette nouvelle façon de communiquer peut ensuite être transférée dans la vie de tous les jours, notamment dans le cadre de leurs relations professionnelles.

Le chapitre 13, qui s’intitule Accompagnement d’une classe de BTS, Anne-Catherine Bousquel présente une intervention narrative plutôt particulière. Une directrice d’école fait appel à ses services dans le but d’améliorer la dynamique et la collaboration au sein d’une classe de 25 étudiants. Puisque la demande d’accompagnement provient d’une tierce personne et non des participants eux-mêmes, la conseillère se retrouve dans une position délicate. Alors, afin d’avoir le pouls de la situation actuelle tout en favorisant une implication commune, trois personnes occupant une position significative dans le groupe sont invitées à compléter un questionnaire basé sur des principes narratifs. Par la suite, la conseillère communique aux étudiants l’essentiel des réponses obtenues et ceux-ci, alors en position de témoins extérieurs, sont appelés à écrire leurs impressions et commentaires selon les étapes de la cérémonie définitionnelle[10]. Une activité en petits groupes les amène ensuite à identifier des suggestions pour améliorer la dynamique de la classe, qu’ils appliquèrent avec succès. Ce cas démontre que le fait d’amener chaque membre à prendre conscience d’une problématique commune et à s’impliquer dans la recherche de solutions peut constituer la clé de la réussite d’une intervention dans un tel contexte.

Dans le chapitre 14, intitulé Une approche narrative du conflit en thérapie de couple et en médiation familiale, Joëlle Rudin présente l’histoire de Fabrice et Justine, qui sont en processus de médiation familiale afin de s’entendre sur la garde partagée de leurs enfants. À travers les échanges qui nous sont rapportés, on constate que les propos tournent autour des reproches et des événements négatifs vécus par l’un et par l’autre, tout cela étant perçu comme la cause de leur échec amoureux. À l’instar du chapitre précédent, l’auteure utilise le questionnement narratif et les cérémonies définitionnelles afin de parvenir à la dissolution du problème[11]. Ces pratiques vont «créer un contexte où un vécu émotionnel différent pourra être expérimenté en se décentrant du rôle habituel de chacun dans la relation conflictuelle.» (p.214) Tour à tour en position de témoin extérieur, il devient plus facile pour chacun de saisir les états intentionnels de l’autre, alors perçu moins négativement. La relation prend un sens différent et l’avenir peut être envisagé de façon positive. À travers la lecture des chapitres de cet ouvrage, on réalise que les pratiques narratives peuvent être appliquées dans des contextes bien différents tout en visant un même but : la dissolution d’un conflit. On pourrait d’ailleurs transposer une intervention de ce genre dans une situation conflictuelle où un parent serait en désaccord avec le choix professionnel de son adolescent.

Laurence d’Andlau, auteure du chapitre 15, démontre comment l’approche narrative permet de mener une intervention d’accompagnement respectueuse auprès d’un client portant avec lui les souvenirs d’un lourd passé. Elle nous fait découvrir le récit touchant de Charlotte, une femme âgée ayant passé quatre ans dans des camps de concentration japonais lorsqu’elle était toute jeune. Au départ, Charlotte demande de l’aide pour mieux gérer son temps, puis exprime le désir de raconter le récit de ses années passées aux camps, qu’elle n’a jamais révélées en entier jusqu’ici. Il est possible de faire un parallèle avec les clients vus en contexte d’orientation, qui se présentent parfois avec une demande précise alors qu’au fil de l’exploration, il apparaît que le besoin réel est tout autre. Charlotte, qui ne demandait qu’à être écoutée, a raconté son histoire du début à la fin et a vu la charge émotive diminuer. L’auteure l’a simplement accompagnée à travers son récit, en manifestant une écoute sincère et en posant des questions favorisant l’émergence et la compréhension de ses états intentionnels. Ainsi, la cliente en vient tranquillement à la construction d’une histoire préférée, puis parvient à envisager plus d’options et à s’engager dans des projets qui soient en accord avec qui elle est. Enfin, l’auteure indique que le fait de «raconter et re-raconter est un processus de réappropriation de sens et d’identité.» (p.240) Ce cas nous rappelle que l’alliance thérapeutique joue un rôle capital et que la réussite de l’intervention est largement tributaire de la qualité de la relation client-conseiller.

L’auteure du chapitre 16, Marie-Christine Clerc, nous partage l’Histoire d’une «confusion» entre les mots du droit et les choses de la vie mettant en scène un jeune homme franco-algérien, Fawzi-François. Par une procédure légale, il a fait l’ajout d’un deuxième prénom, François, dans le but de trouver du boulot. Cette décision a créé une grande confusion chez cet homme, qui se retrouve dans l’ambivalence par rapport à la définition de son identité. D’abord, l’auteure amène le client à externaliser le problème, qu’il nomme brouillard. Grâce aux questionnements narratifs, celui-ci reprend contact avec ses propres buts, valeurs, espoirs et désirs. Il parvient ainsi à mieux comprendre les raisons de son choix de même que les sources de cette confusion identitaire. À travers des conversations pour redevenir auteur, plusieurs allers-retours sont faits entre le passé et le présent de Fawzi-F. afin d’atteindre une certaine cohérence identitaire. En l’amenant à retracer les moments d’exception, qu’il lie aux qualités dont il a fait preuve ainsi qu’à ses états intentionnels, il parvient à bâtir une histoire alternative de plus en plus riche. Au terme des rencontres, il était plus facile pour lui de se projeter dans l’avenir et de s’y engager avec confiance. Ainsi, l’approche narrative nous fournit des pratiques intéressantes pour travailler sur des problématiques identitaires. Cela n’est pas sans intérêt, puisque la confusion sur le plan de l’identité est certainement un thème récurrent chez les clients qui manifestent un besoin d’orientation.

Le chapitre 17 s’intitule Des histoires alternatives pour un projet de vie – L’accompagnement de Virginie. L’auteure, Anne-Catherine Bousquel, nous présente l’histoire d’une jeune femme confrontée au dilemme suivant : choisir entre projet familial et projet professionnel. Elle ne sait pas trop où aller, ni par où commencer. Après avoir déterminé l’objectif de l’accompagnement et les indicateurs de réussite, l’auteure demande à Virginie de donner un nom à sa situation actuelle afin d’externaliser le problème, puis de voir quelles seraient les options lui permettant de s’en défaire. La projection de la cliente dans une situation future est fréquemment utilisée et chaque fois que l’occasion se présente, la conseillère lui demande de trouver un nom ou une image pour qualifier ce dont elle parle (problème, qualité, etc.). Cette technique, utile pour tout type d’intervention, est assez simple et permet «nommer l’abstrait» pour le rendre concret, favorisant ainsi un détachement de la part du client. De plus, il constitue un point de repère, car la cliente se réfère ensuite à ces images lorsqu’elle parle de l’évolution de son problème ou de sa situation. Puis, au fil des conversations pour redevenir auteur de même que par la cérémonie définitionnelle, l’histoire alternative prend une place de plus en plus grande. La cliente parvient alors à envisager sa vie sous un angle différent, car le travail narratif mène «à la dissolution progressive des impasses et à l’émergence de possibilités nouvelles.» (p.256)

Quatre auteures ont participé à la rédaction du chapitre 18, qui porte sur Les cérémonies définitionnelles : des transports singuliers. Les auteures fournissent une explication détaillée de ce concept clé de l’approche narrative en présentant d’abord le processus «traditionnel» des cérémonies définitionnelles, qui ont généralement lieu à la fin de l’accompagnement : un témoin extérieur est invité à écouter l’échange entre le client et le conseiller, sans intervenir, puis à s’exprimer en suivant les quatre paliers des cérémonies définitionnelles[12] : 1) les mots qui ont retenu son attention; 2) les images qu’il relie à la personne et à son histoire; 3) les résonances que cette narration a suscitées en lui (en se référant à sa propre histoire de vie et aux expériences qu’il a vécues); et 4) exprimer en quoi l’écoute de cette conversation a changé quelque chose pour lui, pour son avenir. Puis, le client procède de la même façon pour la renarration. Les auteures ont ensuite choisi d’illustrer cette pratique particulière de l’approche narrative à partir du cas de Virginie, présenté au chapitre précédent. La lecture de son propre récit (chapitre 17) sera le point de départ de la cérémonie définitionnelle. En somme, il apparaît clair que la cette pratique peut être utilisée dans de multiples contextes et adaptée en fonction du besoin d’accompagnement. Le prochain – et dernier – chapitre en est une autre illustration.

Dans le chapitre 19, Pierre Blanc-Sahnoun relate l’histoire d’Un accompagnement narratif d’une communauté professionnelle confrontée à un suicide. Il est question d’une entreprise bien établie rachetée deux ans plus tôt par une nouvelle Direction[13], dont les pratiques de gestion sont vivement dénoncées lorsque survient le suicide d’un employé. La réaction de ses collègues est intense, la colère est palpable et la responsabilité de l’entreprise est mise en cause. Par une participation volontaire à une rencontre individuelle, puis à un rassemblement communautaire narratif[14], l’auteur a amené les individus concernés à redonner un sens à un geste isolé : le suicide d’un collègue. À travers l’explication des difficultés auxquelles il a été confronté lors de cet accompagnement (préjugés, manque de collaboration de la Direction, etc.), l’auteur expose concrètement comment il est parvenu, à l’aide de l’approche narrative, à resserrer les liens de solidarité unissant les employés de cette filiale et à recréer un sentiment d’appartenance au sein du groupe. Ainsi, ce cas met en lumière les contraintes et limites que peut rencontrer le praticien en milieu organisationnel. Il expose une façon singulière d’intervenir auprès de ses membres, soit en s’attardant au sens qu’ils attribuent à l’événement et en favorisant le soutien mutuel au sein de la communauté professionnelle touchée. Un tel accompagnement, guidé par les principes narratifs, pourrait s’appliquer à diverses situations impliquant la gestion d’une crise et présente une utilité certaine dans d’autres contextes d’intervention, tels que la consolidation d’équipe.


4.    Pertinence pratique : Des outils  plutôt qu’une approche?


Cet ouvrage collectif se veut d’abord et avant tout un outil pour initier le professionnel en relation d’aide à l’approche narrative. Orientés sur la pratique plutôt que sur la théorie, les auteurs – et praticiens – ont pris soin de publier un livre axé sur l’explication et l’illustration concrètes des pratiques narratives par le dévoilement de cas réels. Ce faisant, ils nous révèlent autant leurs bons coups que les difficultés qu’ils ont pu rencontrer. De plus, à travers les différents chapitres, les concepts narratifs sont présentés dans des contextes d’intervention distincts, ce qui facilite la compréhension tout en évitant la redondance. En même temps, cela met en évidence l’énorme flexibilité que peut avoir cette approche en termes d’application, le travail narratif pouvant amener des résultats étonnants dans des contextes d’accompagnement variés. Bien que la carriérologie ne soit pas l’unique domaine ciblé, il n’en demeure pas moins que les histoires de cas rapportées font référence à de nombreuses problématiques pouvant être rencontrées dans le cadre de notre pratique, que ce soit en contexte d’orientation ou dans le milieu organisationnel. Il suffit de penser aux cas traitant de clients en processus de transition professionnelle, au bilan de compétences ou aux interventions réalisées en entreprise.  À la lecture de cet ouvrage, il nous apparaît clair que les auteurs et praticiens narratifs ont développé leur propre conception de l’action humaine et de l’intervention, d’où le fait qu’ils abordent les idées narratives en les présentant comme une approche. Toutefois, au terme de la lecture, nous nous questionnons toujours à savoir s’il s’agit réellement d’une approche, ou plutôt de techniques et d’exercices, puisque les pratiques narratives ne permettent pas d’avoir une vision nécessairement complète de la situation du client. En ce sens, les pratiques narratives partagent avec l’AOVS le fait qu’elles s’intéressent majoritairement au présent et au futur, mais très peu au passé, tout en accordant beaucoup d’importance à l’action. Cela fait en sorte que l’étape de la compréhension du vécu du client, tant sur les plans scolaire et professionnel que personnel, peut être effectuée de manière insuffisante. Ainsi, certaines problématiques bien ancrées chez des clients ne peuvent être résolues qu’en surface. Il suffit de prendre l’exemple de Marie (chapitre 8) qui, bien que les crises de boulimie soient disparues, se fait toujours vomir occasionnellement au terme des interventions. Ainsi, les pratiques narratives seraient-elles suffisantes pour aider, par exemple, les bourreaux de travail à aborder différemment leur travail, et ce à long terme? Permettez-nous d’en douter. Toutefois, il reste que les pratiques narratives représentent des outils intéressants à employer avec les clients et possèdent l’avantage de pouvoir se combiner facilement à d’autres approches d’intervention en counseling de carrière. Puis, il est vrai que selon le besoin ou la problématique du client, il peut parfois être suffisant de se concentrer sur le moment présent et la recherche de solutions concrètes, sans s’attarder aux sources du problème. En ce sens, l’approche narrative peut être particulièrement utile lorsque les conseillers rencontrent certains «nœuds» lors de l’intervention auprès de clients prisonniers de leur négativisme et de leur insatisfaction. Les idées narratives permettent également d’élargir la vision stéréotypée que peuvent avoir les futurs professionnels de l’orientation en ce qui a trait aux interventions effectuées en counseling de carrière. Bien que les rencontres puissent se faire uniquement en présence du conseiller et du client, il est intéressant de s’ouvrir à la possibilité d’inviter des personnes à titre de témoins extérieurs. Il pourrait s’agir des parents d’un jeune prêt à mettre en action son projet de carrière et qui, auparavant, se sentait obligé de choisir la profession dictée par ses parents plutôt que par ses propres états intentionnels. Par la cérémonie définitionnelle, le jeune aura l’occasion de partager avec ses parents le chemin parcouru et de consolider sa nouvelle identité (intentions, valeurs, espoirs, besoins profonds, etc.). En même temps, ses parents pourront comprendre ce qui est important pour lui et remettre en question la perception qu’ils avaient de son choix. La conversation de regroupement est une autre pratique narrative qui accorde une attention particulière au réseau social du client, notamment aux personnes qui jouent – ou qui ont déjà joué – un rôle significatif dans sa vie. Parfois, cela peut même l’amener à renouer avec des individus ayant déjà fait partie de sa vie et dont l’influence a été positive. Les praticiens narratifs vont également «inverser» cette relation, en ce sens où ils demanderont au client de retracer, à travers des expériences passées, de quelle façon il a pu contribuer positivement à la vie de certaines personnes. Cela constitue un moyen intéressant à utiliser en tant que conseiller d’orientation, car il fait ressortir les ressources du client de même que ses états intentionnels. De plus, ces conversations permettent de sortir du cadre habituel de l’intervention en encourageant l’exploration des conditions du milieu au-delà du réseau social actuel du client. L’approche narrative souligne également la place de la créativité dans nos interventions. Par exemple, l’un des chapitres relève l’utilité des photographies à l’intérieur d’une démarche d’accompagnement. La photographie, en faisant appel à la symbolique, constitue un médium intéressant auprès des clients qui s’expriment moins facilement sur leurs émotions et leur vécu. Bien qu’elles puissent être utilisées pour travailler différentes problématiques, elles s’appliquent particulièrement bien aux chômeurs qui ont «perdu» leur identité de travailleurs et qui doivent se redéfinir comme des chercheurs d’emploi. La photographie constitue un moyen intéressant de sortir de cette définition identitaire négative en amenant le client à se projeter positivement à travers les images, tout en facilitant la connexion avec les ressources et valeurs qu’il possède. Enfin, les idées narratives font bien ressortir le fait que la façon dont les individus se perçoivent et perçoivent les autres est teintée par leur culture ainsi que les valeurs véhiculées par la société. Dans le contexte où les professionnels en carriérologie sont appelés à rencontrer des clients de divers milieux culturels, ce principe rappelle l’importance de s’informer sur la culture de nos clients : leurs croyances, leurs valeurs, leurs coutumes, etc. En ayant ces notions en tête, il est plus facile de faire ressortir les états intentionnels que les clients ont intériorisés, malgré eux, par leurs contacts avec l’environnement, et ceux sur lesquels ils désirent réellement bâtir leur parcours de vie. De faire réaliser à certains clients que leurs actions passées visaient davantage à répondre aux besoins et aux pressions de l’entourage peut ouvrir la voie à une réelle exploration de leur identité et les aider à mieux se connaître. Ainsi, l’individu s’éloigne parfois de ses états intentionnels, sans vraiment s’en rendre compte. En prenant conscience des choses importantes à ses yeux, il en vient à la reconstruction de son identité autour d’une histoire alternative, plus positive. C’est d’ailleurs l’objectif visé par les conversations pour redevenir auteur, qui amènent le client à retracer des histoires passées pour faire ressortir les liens entre ces événements et ses intentions, valeurs, espoirs et rêves. Ce processus facilitera nécessairement les phases de compréhension et d’action de la démarche d’orientation, puisque ces prises de conscience pourront soutenir la construction de projets qui soient en accord avec l’identité du client.


5.    Bibliographie


Blanc-Sahnoun, P. et Dameron, B. (2009). Comprendre et pratiquer l’approche narrative : Concepts fondamentaux et cas expliqués. Paris, France : InterEditions.
 Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec (2010).  Guide d’évaluation en orientation. Montréal : OCCOQ.
 White, M. & Epston, D. (1990). Narrative Means to Therapeutic Ends. New York : W.W. Norton.
 White, M. (2007). Maps of Narrative Practice. New York : W.W. Norton.
 White, M. (2004). Narrative Practice and Exotic Lives: Resurrecting diversity in everyday life. Adelaide, South Australia : Dulwich Centre Publications.


[1] Mentionnons que les praticiens narratifs portent différents titres (coach, thérapeute, formateur, consultant, etc.). De plus, nous ferons référence aux praticiens comme étant les auteurs de ces différents chapitres. Afin d’éviter la confusion, seule la page sera citée en référence lorsqu’un extrait sera rapporté.
[2] Les histoires préférées, aussi appelées histoires alternatives, sont des lignes narratives qui amènent les individus à «reconstruire leur histoire d’une façon qui corresponde mieux à leurs valeurs et leurs rêves et d’adopter ainsi des relations interpersonnelles plus conformes à leurs désirs.» (p.8)
[3] Traduction de folk psychology. Ce terme ne fait pas référence à la psychologie du sens commun, mais plutôt à une «tradition particulière, profondément historique, concernant l’appréhension de la vie et de l’identité.» (p.26) La psychologie populaire est une façon de s’expliquer le fonctionnement de l’humain.
[4] Aussi appelées externalisation du problème, elles amènent «à considérer de l’extérieur l’influence d’un problème dans la vie de la personne» (p.97), puis à revoir quelle place elle veut lui accorder.
[5] Ce sont les histoires que nous avons créées au fil de nos expériences, autour desquelles s’est construite notre identité et qui parfois peuvent nous enfermer «dans l’échec et la souffrance». Le travail narratif vise à «les déconstruire de façon à laisser place au développement des histoires préférées.» (p.7)
[6] «Ce sont des conversations qui impliquent des personnes en tant que témoins extérieurs de la narration et renarration de leurs vies respectives. C’est dans le contexte de ces narrations et renarrations que les individus se voient en cohérence avec leurs revendications identitaires préférées.» (p.53)
[7] Ces conversations sont aussi appelées conversations de regroupement ou de re-membering. Elles permettent «d’invoquer des figures réelles ou imaginaires […] ayant constitué une source d’inspiration en raison des valeurs et des intentions qui les animaient, et qui ont pu résonner avec celles du client.» (p.184)
[8] «La conversation pour redevenir auteur de sa vie invite la personne à raconter et à déployer les histoires qui lui font du bien, où elle a joué un rôle dont elle est satisfaite. Ces histoires peuvent devenir préférées et remplacer progressivement l’histoire dominante que la personne ou chacun d’entre nous a tendance à raconter le plus souvent et qui nous freine.» (p.98)  

[9] Ce type de coaching regroupe «six à huit personnes qui occupent des fonctions similaires […] et qui, même si elles appartiennent à la même entreprise, n’ont pas l’occasion de travailler ensemble.» (p.195)
[10] Ces étapes – ou paliers – sont décrites en détail au chapitre 18, qui se consacre exclusivement à l’illustration de cette pratique originale propre à l’approche narrative (p.207).
[11] Les praticiens narratifs utilisent le terme dissoudre plutôt que résoudre lorsqu’il est question d’un problème ou d’un conflit. Sans être résolu, le problème dissout n’est plus aussi envahissant (p.210).
[12] Dans un «tableau-résumé», les auteurs ont pris soin de décrire en détail ces quatre paliers (p.278).
[13] L’employé en question travaillait dans cette entreprise depuis 25 ans. Il avait rendez-vous avec la Direction la semaine suivant son suicide et craignait de se voir remercié lors de cet entretien (p.286)
[14] Ce rassemblement «permet à une communauté de mobiliser ses propres ressources pour réagir à un trauma, négocier ses différentes significations et produire une histoire de guérison collective.» (p.291)

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