lundi 2 février 2015

ESSAIS EN LIGNE : Adultes dysphasiques et développement de carrière (Catherine Gingras)



Gingras, C. (2014). Point de vue d'adultes dysphasiques sur les facteurs influençant leur développement de carrière. Projet de recherche. Maîtrise en carriérologie. Montréal: Université du Québec à Montréal. 

Ce qu’une personne va faire de sa vie est une préoccupation qui est au cœur d’un questionnement auquel chacun sera confronté. Très tôt dans l’existence de l’individu, des réflexions sont portées à cet égard. L’avenir des jeunes est directement concerné par l’orientation scolaire et professionnelle (Gaudet, Mujawamariya et Lapointe, 2010). D’ailleurs, c’est en 1993 que l’Ordre professionnel des conseillers et conseillères d’orientation du Québec[1] a proposé l’idée d’une école orientante, un projet qui intègre l’orientation scolaire et professionnelle aux activités d’apprentissage de l’élève. Introduit par le Ministère de l’Éducation[2] en 2002, le renouveau pédagogique, qui est l’application de l’approche orientante, a fait naître le projet personnel d’orientation (PPO). Le PPO est une matière scolaire qui incite l’élève à explorer des choix de carrière pour son futur. Dès la 3e année du secondaire, le PPO offre à l’élève l’occasion d’expérimenter, de réfléchir et d’agir en vue des cinq domaines de formation du programme de l’éducation québécoise. Ces domaines sont : les arts, les langues, l’univers social, le développement de la personne ainsi que la mathématique, la science et la technologie.
Or, il est possible que certains obstacles puissent rendre difficile le choix de carrière. Les troubles d’apprentissage en sont un exemple (Dipeolu, Hargrave, Sniatecki et Donaldson, 2012 ; Georgiou, Espahbodi et De Sousa, 2011). Il a été démontré que les élèves qui en sont atteints éprouvent des problèmes liés à l'identité professionnelle et à la capacité de prendre une décision en relation avec la carrière (Anctil, Ishikawa et Scott, 2008 ; Dipeolu et al., 2012). En outre, les troubles d’apprentissage donnent lieu à des difficultés scolaires puisque certaines des facultés suivantes sont atténuées : l’attention, la parole, la lecture, l’écriture et le raisonnement mathématique. (Talero-Gutierrez, Van Meerbeke et Reyes, 2012). En 2013, dans le Diagnostic and statistical manual of mental disorders, fifth edition (DSM-V) de l’American Psychiatric Association (APA), les troubles de la communication sont intégrés dans les troubles d’apprentissage et ils sont d’origine neurologique (Paquier, 2012).
La dysphasie est un trouble de la communication qui affecte le langage de façon permanente dans les sphères expressive et réceptive (Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec (OOAQ), 2004). L’OOAQ avance que 25 personnes sur 10 000 sont dysphasiques et que les garçons sont davantage concernés. Selon le recensement de l’année 2012 à propos de l’aide financière versée à toutes les familles ayant des enfants à charge de moins de 18 ans (le Soutien aux enfants), la Régie des rentes du Québec (2013) a établi que 6 355 enfants entre 0 et 17 ans ont un handicap relié aux troubles du langage. De plus, la réforme du système scolaire de 2002 du Ministère de l’Éducation a pris soin d’introduire des classes réservées aux élèves qui ont des troubles de langage sévères, une preuve que ces derniers sont jugés assez nombreux pour y avoir leur place. Selon l’Institut de la statistique du Québec (2013), en 2010-2011, 1,5 % de la population des plus de 15 ans ont des incapacités d’activités reliées à la parole. Par conséquent, environ 100 000 personnes sont susceptibles d’être des bénéficiaires de l’aide financière de dernier recours du Ministère de l’Emploi et Solidarité sociale du Québec. Ceci s’appuie sur le fait que leur langage est une contrainte à l’exécution de leurs activités. Enfin, un sondage mené en 2011 par l’Association des établissements de réadaptation en déficience physique du Québec (AERDPQ) auprès de ses membres a révélé que 30 % des demandes de service provenant des adultes dysphasiques concernent leur intégration socioprofessionnelle.
Dans les écrits, le terme trouble spécifique de langage est davantage utilisé pour faire allusion à la dysphasie. Dans les publications scientifiques, même si pratiquement aucun écrit n’est disponible concernant le développement de carrière des adultes dysphasiques, des indices sur ce sujet sont repérés.
Comme les troubles d’apprentissage, il a été démontré que les dysphasiques ont des déficits du point de vue de leur santé psychologique et des difficultés d’habiletés sociales (Conti-Ramsden et Botting, 2008 ; Durkin et Conti-Ramsden, 2010 ; Farrant, Maybery et Fletcher, 2012 ; Skhiri, 2011 ; St Clair, Pickles, Durkin et Conti-Ramsden, 2011 ; Taly et Emmanuelli, 2013 ; Zourou, Magnan, Ecalle et Gonzalez-Monge, 2009). Cela peut nuire à des échanges enrichissants avec les autres en raison des difficultés d’expression et parfois de compréhension, ce qui contribue à faire diminuer le sentiment d’efficacité personnelle (Lent, Brown et Hackett, 2002). À cela s’ajoutent des difficultés sur les plans scolaires et professionnels, ce qui fait en sorte que ceux-ci s’orientent majoritairement vers des métiers manuels et qu’ils éprouvent de la difficulté dans leur insertion socioprofessionnelle (Herbaux-Laborbe, 2013 ; Johnson, Beitchman et Brownlie, 2010 ; Withehouse, Watt, Line et Bishop, 2009). Les personnes ayant une dysphasie sont donc vulnérables à devenir des prestataires de l’aide financière de dernier recours du Ministère de l’Emploi et Solidarité sociale du Québec. Finalement, la poursuite d’études postsecondaires peut s’avérer périlleuse due entre autres aux difficultés reliées à l’apprentissage de l’écriture (Withehouse et al., 2009).
En somme, il est à prévoir que le développement de carrière des adultes dysphasiques sera parsemé d’embûches et c’est la raison pour laquelle cette population est visée, en plus de permettre d’alléger le processus de signature du formulaire de consentement selon la 2e édition de l’Énoncé de politique des trois conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains (EPTC 2) (Conseil de recherches médicales du Canada, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, 2010).
En lien avec la carrière, le champ d’exercice du conseiller d’orientation consiste à évaluer la situation de la personne autour de trois dimensions, soit le fonctionnement psychologique, les ressources personnelles et les conditions du milieu (Ordre des conseillers et conseillères d’orientation, 2010). Ces trois dimensions à évaluer sont en relation les unes avec les autres et la dysphasie interfère sur celles-ci, d’où l’utilité d’en saisir les conséquences. De plus, sauf en neuropsychologie, la dysphasie dispose de peu de publications dans le champ de la psychologie et la recherche sur la qualité de vie des adultes touchés par ce trouble est rare (Herbaux-Leborbe, 2011 ; Johnson et al., 2010 ; Taly et Emmanuelli, 2013). De surcroît, l’AERDPQ (2011) précise que les services d’aide à l’emploi ne connaissent pas les besoins particuliers des dysphasiques. Ce constat a pour effet que ces personnes intègrent des stages qui ne font pas appel à leurs compétences ou n’obtiennent pas les adaptations requises, par exemple un soutien à l’exploration et à la connaissance de soi ou de l’aide pour une préparation à une entrevue de sélection. Enfin, un sondage portant sur le portrait de situation des adultes présentant une déficience du langage au Québec (AERDPQ, 2011) a mis en évidence que des 17 centres de réadaptation en déficience physique qui ont répondu, seul un d’entre eux offre les services d’un conseiller d’orientation.
Sans oublier l’avancement des connaissances, cette étude contribuerait à combler un vide qui subsiste face à la quantité, voire la qualité des services dont disposent les adultes dysphasiques à propos de leur développement de carrière. D’autre part, pour les conseillers d’orientation œuvrant en milieu scolaire, il est à prévoir que des mesures adaptatives puissent être proposées en considérant la Loi 21 du Code des professions (2013). Cette loi précise que ceux-ci puissent évaluer un élève handicapé ou en difficulté d’adaptation dans le cadre de la détermination d’un plan d’intervention en application de la Loi sur l’instruction publique. Ce projet de recherche s’inscrit également dans le sens des recommandations de Herbaux-Leborbe (2013) et de Withehouse et al (2009). Ces derniers ont conseillé de miser sur la compréhension du ressenti des dysphasiques. De cette manière, l’adulte dysphasique aura une meilleure définition de son potentiel d’employabilité et il pourra ainsi mettre en place un projet de carrière adapté à sa situation. La presque totalité des recherches recensées est présentée sous la forme quantitative. C’est donc dans une optique de recherche qualitative qu’un regard sera porté sur cette population quant aux facteurs pouvant influencer leur développement de carrière.
Bref, l’objectif de ce projet est d’obtenir le point de vue d’adultes dysphasiques sur les facteurs influençant leur développement de carrière afin de dresser un portrait détaillé et nuancé de leurs besoins. De cette manière, les divers intervenants des services d’aide à l’emploi ainsi qu’une plus grande majorité de conseillers d’orientation pourront leur offrir un accompagnement socioprofessionnel personnalisé. Ainsi, les personnes ayant une dysphasie seront encouragées à occuper un poste en lien avec leur potentiel et leurs intérêts, ce qui favorisera leur bien-être et leur participation active au sein de la société.

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[1] Depuis 2010, l’Ordre professionnel des conseillers et conseillères d’orientation du Québec (OPCCOQ) est devenu l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec (OCCOQ).
[2] Depuis 2005, le Ministère de l’Éducation est devenu le Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS).

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