mardi 9 octobre 2012

Schémas et solutions : opposés ou complémentaires ?


Schémas et solutions : opposés ou complémentaires ?


 

Geneviève Plante
Étudiante à la maîtrise en carriérologie
Université du Québec à Montréal
 
Louis Cournoyer, c.o.
Professeur en counseling de carrière
Université du Québec à Montréal

 

La formation en counseling de carrière individuel de la maîtrise en carriérologie à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) propose l’intégration de deux approches qui, a priori, s’avèrent passablement différentes, voire même inconciliables. Cet article propose une présentation distincte des deux approches, puis soulève pistes d’intégrations possibles.

 


 

Les travaux de Jeffrey Young sur les schémas dysfonctionnels ont d’abord  porté sur le traitement de personnes présentant des troubles de personnalité. Rapidement toutefois, plusieurs champs disciplinaires de l’intervention psychosociale se sont intéressés à ses applications pratiques  (Young, Klosko et Weishaar, 2005). Ces derniers définissent le concept de schéma en tant que

 

Modèle ou thème important et envahissant, constitué de souvenirs, d’émotions, de pensées et de sensations corporelles, concernant soi-même et ses relations aux autres, constitué au cours de l’enfance ou de l’adolescence, enrichi tout au long de la vie par l’individu et dysfonctionnel de façon significative (Young et coll., 2005, p. 34).

 

Fondamentalement, les individus de toutes cultures cherchent dès leur naissance à répondre à des besoins affectifs tels que la sécurité, l’autonomie, la liberté, l’autocontrôle et les relations personnelles. Les schémas se développent généralement tôt dans la vie de l’individu. Ils sont en fait des façons de répondre à des expériences sociales et relationnelles nocives : frustration des besoins, traumatismes ou victimisation, excès de satisfaction des besoins, internalisation ou identification sélective à une personne importante. Si les schémas d’adaptation s’avèrent initialement sain et fonctionnels pour la personne, ils deviennent dysfonctionnels lorsqu’ils sont maintenus à l’âge adulte dans des contextes qui pourtant ne nécessitent pas leur mise en place, voir peut même leur nuire.

Le choix de stratégies d’adaptation employés pour faire face aux situations nocives à l’origine des schémas variera selon les caractéristiques du tempérament de la personne. Young et ses collègues (2005) considèrent que le tempérament de la personne va déterminer la manière dont se fera l’adaptation situationnelle face aux types de besoins non répondus. À partir de multiples études scientifiques cliniques, Young et ses collègues (2005) ont identifié 18 schémas reflétant autant de réactions cognitives, affectives et comportementales de la personne à des stimulations d’apparence similaires à celles ayant menés plus jeunes à la mise en place de stratégies d’adaptation. Young et coll. (2005) identifient ces stratégies en tant que styles d’adaptation. Ainsi, face à des situations suscitant l’activation de mêmes schémas, le style d’adaptation de la personne pourra consister à en faire l’évitement, à s’y soumettre ou encore à compenser celui-ci. Pour mieux démêler les concepts théoriques précédemment présentés, voici un tableau résumé :

 


Les schémas d’adaptation

Cinq types de besoins affectifs fondamentaux
 
Sécurité liée à l’attachement aux autres
 
L’autonomie, la compétence et le sens de l’identité
 
La liberté d’exprimer ses besoins et ses émotions
 
La spontanéité et le jeu
 
Les limites et l’autocontrôle
Schémas d’adaptation
 
Séparation et rejet
 
Manque d’autonomie et de performance
Sur-vigilance et inhibition
Orientation vers les autres
Manque de limites
·    Abandon et instabilité
·    Méfiance et abus
·    Manque affectif
·    Imperfection et honte
·    Isolement social
·    Dépendance et incompétence
·    Peur du danger ou de la maladie
·    Fusionnement et personnalité atrophiée
·    Échec
·    Négativité et pessimisme
·    Sur contrôle émotionnel
·    Idéaux exigeants et critique excessive
·    Punition
·    Assujettissement
·    Abnégation
·    Recherche d’approbation et de reconnaissance
 
 
·    Droits personnels exagérés
·    Contrôle de soi et autodiscipline insuffisants
Motifs de développement des schémas
 
·         Frustration des besoins
 
·         Traumatismes ou victimisation
 
·         Excès de satisfaction des besoins
  • Internalisation ou identification sélective avec des personnes importantes
 
·         Frustration des besoins
 
Fonctions d’influence au plan du tempérament
 
Émotif vs Aréactif
 
Dysthymique
vs Optimiste
 
Anxieux vs Calme
Obsessionnel
vs Distractif
 
Passif
vs Agressif
Styles d’adaptation
 
Compensation
 
Évitement
Capitulation

 

En counseling de carrière, l’approche centrée sur les schémas d’adaptation dysfonctionnels propose au professionnel d’être attentif aux schémas du client. En effet, dans cette approche, les conseillers d’orientation sont invités à essayer d’identifier, au travers des comportements, pensées et sentiments du client, les schémas présents chez ce dernier. Naturellement, cette identification se fait uniquement si des schémas apparaissent au cours du processus et si cela est pertinent à l’accompagnement du client dans sa demande. Si c’est le cas, le travail avec les schémas peut amener le client à mieux se comprendre et ainsi, à mieux contourner les conséquences négatives de ses schémas sur sa démarche d’orientation (difficulté à prendre une décision, conflit de valeurs, etc.) (Cournoyer, 2010). Cette prise de conscience permet aussi aux clients d’effectuer des choix plus adaptés en prenant en compte la présence des schémas.

L’approche centrée sur les schémas d’adaptation dysfonctionnels présente plusieurs avantages pour les conseillers d’orientation qui l’utilisent. Tout d’abord, elle offre un cadre conceptuel permettant de former des hypothèses de travail. Ces hypothèses sont aidantes lorsqu’il s’agit d’intervenir auprès d’un client présentant, par exemple, certaines distorsions cognitives ou une dynamique interne unique. L’approche centrée sur les schémas permet justement de détecter et de travailler les distorsions présentes chez les clients, offrant ainsi un cadre structurant l’exploration des cognitions des clients. C’est donc ce que l’approche sur les schémas apporte : un cadre pour comprendre les dynamiques des clients, surtout si elles sont dysfonctionnelles. L’accès à ce cadre a un impact direct sur les hypothèses de travail qui peuvent être formées entre les rencontres et donc, sur les interventions faites durant le processus. Il arrivera que cela vous éclaire sur certains éléments qui accrochent dans la démarche d’orientation du client. Naturellement, ce cadre n’est pas une panacée et il faudra toujours vérifier comment les interprétations faites à partir des schémas seront reçues par les clients. Toutefois, ce cadre de référence s’avère précieux pour prendre du recul sur ce qui se passe dans la relation avec le client.

Ensuite, cette approche est intéressante parce qu’elle a été créée en s’inspirant de différents courants en psychologie (Young et coll., 2005). De ce fait, le modèle présenté inclut des concepts psychologiques tels que l’attachement et l’importance des relations en début de vie. Cela lui donne une teinte psychologique qui peut être complémentaire à d’autres approches, dont l’approche centrée sur les solutions. Cette approche a aussi l’avantage d’offrir une flexibilité. En effet, elle ne suggère pas que tous les clients sont toujours en situation d’activation de schémas dysfonctionnels. C’est plutôt le contraire. Les schémas sont parfois fonctionnels, parfois dysfonctionnels. Ils sont activés dans certaines situations. Ils peuvent se manifester différemment selon le style d’adaptation dans lequel ils se présentent (Young et coll., 2005). Ces exemples servent à illustrer toutes les nuances que comporte cette approche. Ces nuances sont importantes parce qu’elles permettent de rendre compte de l’unicité des clients et d’éviter les généralisations qui peuvent parfois être destructrices. Ces nuances permettent également au professionnel adhérant à l’approche centrée sur les schémas d’être flexible dans ses interventions. Ces dernières peuvent donc être adaptées selon les clients, les problématiques, les schémas, etc.

 

 

L’approche orientée vers les solutions

 

L’approche orientée vers les solutions est une approche qui mise sur les ressources et les forces du client (O’Hanlon et Weiner-Davis, 1995). Dans le cadre d’un processus, ces dernières sont soulignées et renforcées par le professionnel. Elles sont également utilisées lors de l’élaboration de solutions avec les clients. Cette élaboration se fait dans une optique de cocréation, c’est-à-dire que le professionnel et le client collaborent à l’identification de ces solutions (O’Hanlon et Weiner-Davis, 1995). Pour ce faire, plusieurs techniques sont utilisées dans l’approche orientée vers les solutions. Parmi celles-ci, notons l’utilisation de la question miracle, qui sert à projeter le client dans un avenir où le problème pour lequel il consulte a disparu et la recherche des moments d’exception, qui correspondent à des contextes passés où le problème vécu est absent et où le client se sent mieux (Lamarre, 2005). Ces techniques permettent de trouver des pistes de solutions à partir desquelles il est possible de construire.

 

De par ces méthodes, il est facile de constater que l’approche orientée vers les solutions accorde moins d’importance à la définition et à la compréhension de l’origine du problème vécu par le client que d’autres approches (O’Hanlon et Weiner-Davis, 1995). Naturellement, un temps est accordé pour accueillir la description de la problématique vécue par le client, mais un processus bref est privilégié, sans être expéditif (O’Hanlon et Weiner-Davis, 1995). Pour les tenants de cette approche, il n’est pas nécessaire d’en savoir beaucoup sur un problème pour être capable de le résoudre. Ils vont plutôt favoriser la détermination des objectifs à atteindre par le client et une recherche collaborative de solutions (Lamarre, 2005). En effet, selon l’approche orientée vers les solutions, comme il existe plusieurs façons justes de voir une problématique, c’est au client à déterminer ce qu’il veut travailler et non au professionnel de juger. C’est donc la vision subjective du client qui compte. Le professionnel a plutôt comme rôle de détecter les possibilités de changements, d’utiliser un langage pour l’induire et d’accompagner le client dans sa mise en place (O’Hanlon et Weiner-Davis, 1995). Il est aussi important de souligner que pour les tenants de cette approche, de petits changements peuvent être suffisants pour répondre à la demande du client. En concentrant la mise en action du client sur de petits objectifs réalisables, les changements faits peuvent avoir un impact significatif sur d’autres aspects de la vie du client et ainsi, induire un changement permanent. Cette approche vise donc l’élaboration de solutions avec les clients plutôt que la résolution de leur problème (Lamarre, 2005).

 

L’approche orientée vers les solutions a plusieurs avantages. En premier lieu, elle permet d’aborder le counseling de carrière selon un angle très positif. En effet, en mettant l’accent sur les forces et les ressources du client, cela fait en sorte que le processus change de teinte. Au lieu d’essayer d’aider le client à travailler ses difficultés et à pallier ses défauts, il est possible de miser sur ce qui fonctionne pour le client, sur ce qui le fait avancer au travers des aléas de la vie. Cette philosophie d’intervention peut rejoindre les conseillers d’orientation étant de nature optimiste et qui croient au potentiel de l’être humain.

 

De par sa nature, cette approche véhicule aussi une notion de productivité dans le processus de counseling de carrière. En étant tournée vers l’atteinte des objectifs et la recherche de solutions, elle permet la mise en place de conditions gagnantes pour répondre à la demande d’un client. En effet, garder en tête l’objectif final du processus donne une direction aux rencontres et permet au client de ne pas perdre de vue ce qu’il veut changer. Il arrive que certains clients tentent de faire leur choix tout en étant ayant des problèmes dans d’autres sphères de leur vie. En ce sens, l’approche orientée vers les solutions est pertinente puisqu’elle permet au client de se concentrer sur les réponses à leur problème et sans ressasser toutes les émotions négatives autour. Aussi, travailler en collaboration pour trouver des solutions qui s’appuient sur les ressources du client permet d’identifier des moyens de changement qui sont plus susceptibles de fonctionner que s’ils étaient uniquement proposés par le professionnel. L’aspect positif de cette approche est aussi pertinent dans cette optique puisqu’il va peut-être permettre au client d’effectuer un changement qui aura des conséquences favorables sur les autres sphères de sa vie.

 

L’approche orientée vers les solutions accorde également de l’importance à l’impact des mots, des termes et des temps de verbe employés lors d’échanges (O’Hanlon et Weiner-Davis, 1995). Par exemple, les conseillers sont invités à utiliser dans certains contextes le verbe « avoir » au lieu du verbe « être » puisque cela permet au client de se détacher de son état. Ainsi, il est possible de refléter à un client se disant qu’il est un imbécile que ces derniers temps, il a l’impression d’avoir des comportements d’imbécile. Cela diminue l’impact du terme utilisé par le client lui-même et le situe dans un contexte où il y a espoir que la situation change. De ce fait, dans cette approche, il est possible pour les conseillers d’orientation d’utiliser leur connaissance de la langue française afin d’adhérer par exemple, à certains principes de structuration de phrases orientant le dialogue avec le client.

 

CONCLUSION

 

            Finalement, compte tenu des arguments précédents, l’approche orientée vers les solutions peut bien compléter l’approche centrée sur les schémas d’adaptation dysfonctionnels. En effet, la première permet d’identifier des objectifs et des solutions tandis que la seconde permet de comprendre des dynamiques personnelles plus complexes. Ayant des visées différentes, ces deux approches peuvent donc s’intégrer dans un processus et permettre un travail plus global en fonction de la problématique vécue par la personne. En fait, il semblerait que chacune de ses approches comble un espace laissé vacant par l’autre. L’approche centrée sur les solutions vient guider les professionnels de l’orientation sur la façon de travailler les moyens, les solutions et les objectifs en regard de la problématique vécue par le client. Quant à l’approche centrée sur les schémas, elle vient orienter une pratique auprès d’une clientèle présentant des enjeux personnels divers.

 

            Ainsi, il peut être intéressant de combiner les deux lors d’un processus. Par exemple, poser la question miracle de l’approche centrée sur les solutions amènera le client à se projeter à la fin du processus et à verbaliser ses attentes. Cela aidera à ce que l’objectif global du processus soit fixé. Ensuite, par les questions qui seront posées lors de l’exploration de la problématique, des intérêts, aptitudes ou valeurs pourront être identifiés. Au travers de ces éléments, des pistes de solutions pourraient également ressortir. En effet, si le client raconte une histoire de réussite du passé, les moyens utilisés à ce moment peuvent être soulignés afin de les appliquer à la situation présente. Ce type d’intervention se base sur l’approche orientée vers les solutions.

 

            L’approche centrée sur les schémas a aussi une application concrète dans un processus d’orientation. Il faut d’abord rappeler que cette approche nous dit que les schémas ne sont pas tout le temps dysfonctionnels (Young et coll. 2005). Alors, il faudra faire attention à ne pas attribuer un schéma au client sans le vérifier. Ce sont des hypothèses qui seront formulées et qui serviront de point de départ pour aider le client à mieux se comprendre. Pour ce faire, Young et ses collaborateurs (2005) suggèrent d’utiliser la relation avec le client. Par exemple, si le conseiller remarque qu’il se passe quelque chose dans cette dernière qui est de l’ordre de l’activation d’un schéma d’adaptation dysfonctionnel, il doit en faire part au client. Cela pourrait lui faire prendre conscience de sa façon d’entrer en contact avec les autres. Conséquemment, cela l’aidera à faire des choix plus en accord avec ce qu’il est. Il peut donc être utile de détecter et valider des schémas auprès du client. Si le client est en accord avec la présence d’un schéma, il peut également s’avérer intéressant de voir comment cela l’affecte positivement ou négativement. Ainsi, ces impacts pourront être pris en considération dans la mise en place d’un plan d’action.

 

            D’ailleurs, à ce stade, les interventions peuvent s’inspirer de la philosophie à laquelle se rattache l’approche orientée vers les solutions. Cette dernière stipule qu’il est important de faire de petits pas, de choisir des cibles réalisables et de croire au changement. Des moyens pourront être suggérés, mais c’est surtout en se basant sur les forces et les ressources du client ainsi que les moyens ayant fonctionné par le passé que le plan d’action sera formé. Le professionnel adhérant à cette approche tentera également d’inspirer au client le changement voulu en utilisant des tournures de phrases lui laissant espérer qu’il va se produire. Et c’est ainsi que les deux approches pourront nous aider à aider le client.

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