Schémas et
solutions : opposés ou complémentaires ?
Geneviève Plante
Étudiante à la maîtrise en
carriérologie
Université du Québec à
Montréal
|
Louis Cournoyer, c.o.
Professeur en counseling
de carrière
Université du Québec à
Montréal
|
La formation en counseling
de carrière individuel de la maîtrise en carriérologie à l’Université du Québec
à Montréal (UQÀM) propose l’intégration de deux approches qui, a priori,
s’avèrent passablement différentes, voire même inconciliables. Cet article
propose une présentation distincte des deux approches, puis soulève pistes
d’intégrations possibles.
Les travaux de Jeffrey Young
sur les schémas dysfonctionnels ont d’abord
porté sur le traitement de personnes présentant des troubles de personnalité.
Rapidement toutefois, plusieurs champs disciplinaires de l’intervention
psychosociale se sont intéressés à ses applications pratiques (Young, Klosko et Weishaar, 2005). Ces
derniers définissent le concept de schéma en tant que
Modèle ou thème
important et envahissant, constitué de souvenirs, d’émotions, de pensées et de
sensations corporelles, concernant soi-même et ses relations aux autres,
constitué au cours de l’enfance ou de l’adolescence, enrichi tout au long de la
vie par l’individu et dysfonctionnel de façon significative (Young et
coll., 2005, p. 34).
Fondamentalement, les
individus de toutes cultures cherchent dès leur naissance à répondre à des
besoins affectifs tels que la sécurité, l’autonomie, la liberté, l’autocontrôle
et les relations personnelles. Les schémas se développent généralement tôt dans
la vie de l’individu. Ils sont en fait des façons de répondre à des expériences
sociales et relationnelles nocives : frustration des besoins, traumatismes
ou victimisation, excès de satisfaction des besoins, internalisation ou
identification sélective à une personne importante. Si les schémas d’adaptation
s’avèrent initialement sain et fonctionnels pour la personne, ils deviennent
dysfonctionnels lorsqu’ils sont maintenus à l’âge adulte dans des contextes qui
pourtant ne nécessitent pas leur mise en place, voir peut même leur nuire.
Le choix de stratégies
d’adaptation employés pour faire face aux situations nocives à l’origine des
schémas variera selon les caractéristiques du tempérament de la personne. Young
et ses collègues (2005) considèrent que le tempérament de la personne va
déterminer la manière dont se fera l’adaptation situationnelle face aux types
de besoins non répondus. À partir de multiples études scientifiques cliniques,
Young et ses collègues (2005) ont identifié 18 schémas reflétant autant de
réactions cognitives, affectives et comportementales de la personne à des
stimulations d’apparence similaires à celles ayant menés plus jeunes à la mise
en place de stratégies d’adaptation. Young et coll. (2005) identifient ces
stratégies en tant que styles d’adaptation. Ainsi, face à des situations
suscitant l’activation de mêmes schémas, le style d’adaptation de la personne
pourra consister à en faire l’évitement, à s’y soumettre ou encore à compenser
celui-ci. Pour mieux démêler les concepts théoriques précédemment présentés,
voici un tableau résumé :
Les schémas d’adaptation
Cinq types de besoins affectifs
fondamentaux
|
|||||||
Sécurité liée à l’attachement aux
autres
|
L’autonomie, la compétence et le sens
de l’identité
|
La liberté d’exprimer ses besoins et ses
émotions
|
La spontanéité et le jeu
|
Les limites et l’autocontrôle
|
|||
Schémas d’adaptation
|
|||||||
Séparation et rejet
|
Manque d’autonomie et de performance
|
Sur-vigilance et inhibition
|
Orientation vers les autres
|
Manque de limites
|
|||
·
Abandon et instabilité
·
Méfiance et abus
·
Manque affectif
·
Imperfection et honte
·
Isolement social
|
·
Dépendance et incompétence
·
Peur du danger ou de la maladie
·
Fusionnement et personnalité atrophiée
·
Échec
|
·
Négativité et pessimisme
·
Sur contrôle émotionnel
·
Idéaux exigeants et critique excessive
·
Punition
|
·
Assujettissement
·
Abnégation
·
Recherche d’approbation et de reconnaissance
|
·
Droits personnels exagérés
·
Contrôle de soi et autodiscipline insuffisants
|
|||
Motifs de développement des schémas
|
|||||||
·
Frustration des besoins
|
·
Traumatismes ou victimisation
|
·
Excès de satisfaction des besoins
|
|
·
Frustration des besoins
|
|||
Fonctions d’influence au plan du
tempérament
|
|||||||
Émotif vs Aréactif
|
Dysthymique
vs Optimiste
|
Anxieux
vs Calme
|
Obsessionnel
vs Distractif
|
Passif
vs Agressif
|
|||
Styles d’adaptation
|
|||||||
Compensation
|
Évitement
|
Capitulation
|
|||||
En counseling de
carrière, l’approche centrée sur les schémas d’adaptation dysfonctionnels
propose au professionnel d’être attentif aux schémas du client. En effet, dans
cette approche, les conseillers d’orientation sont invités à essayer
d’identifier, au travers des comportements, pensées et sentiments du client,
les schémas présents chez ce dernier. Naturellement, cette identification se
fait uniquement si des schémas apparaissent au cours du processus et si cela
est pertinent à l’accompagnement du client dans sa demande. Si c’est le cas, le
travail avec les schémas peut amener le client à mieux se comprendre et ainsi,
à mieux contourner les conséquences négatives de ses schémas sur sa démarche
d’orientation (difficulté à prendre une décision, conflit de valeurs, etc.)
(Cournoyer, 2010). Cette prise de conscience permet aussi aux clients d’effectuer
des choix plus adaptés en prenant en compte la présence des schémas.
L’approche centrée sur les
schémas d’adaptation dysfonctionnels présente plusieurs avantages pour les
conseillers d’orientation qui l’utilisent. Tout d’abord, elle offre un cadre
conceptuel permettant de former des hypothèses de travail. Ces hypothèses sont
aidantes lorsqu’il s’agit d’intervenir auprès d’un client présentant, par
exemple, certaines distorsions cognitives ou une dynamique interne unique.
L’approche centrée sur les schémas permet justement de détecter et de
travailler les distorsions présentes chez les clients, offrant ainsi un cadre
structurant l’exploration des cognitions des clients. C’est donc ce que
l’approche sur les schémas apporte : un cadre pour comprendre les
dynamiques des clients, surtout si elles sont dysfonctionnelles. L’accès à ce
cadre a un impact direct sur les hypothèses de travail qui peuvent être formées
entre les rencontres et donc, sur les interventions faites durant le processus.
Il arrivera que cela vous éclaire sur certains éléments qui accrochent dans la
démarche d’orientation du client. Naturellement, ce cadre n’est pas une panacée
et il faudra toujours vérifier comment les interprétations faites à partir des
schémas seront reçues par les clients. Toutefois, ce cadre de référence s’avère
précieux pour prendre du recul sur ce qui se passe dans la relation avec le
client.
Ensuite, cette approche est
intéressante parce qu’elle a été créée en s’inspirant de différents courants en
psychologie (Young et coll., 2005). De ce fait, le modèle présenté inclut des
concepts psychologiques tels que l’attachement et l’importance des relations en
début de vie. Cela lui donne une teinte psychologique qui peut être
complémentaire à d’autres approches, dont l’approche centrée sur les solutions.
Cette approche a aussi l’avantage d’offrir une flexibilité. En effet, elle ne
suggère pas que tous les clients sont toujours en situation d’activation de
schémas dysfonctionnels. C’est plutôt le contraire. Les schémas sont parfois
fonctionnels, parfois dysfonctionnels. Ils sont activés dans certaines
situations. Ils peuvent se manifester différemment selon le style d’adaptation
dans lequel ils se présentent (Young et coll., 2005). Ces exemples servent à
illustrer toutes les nuances que comporte cette approche. Ces nuances sont
importantes parce qu’elles permettent de rendre compte de l’unicité des clients
et d’éviter les généralisations qui peuvent parfois être destructrices. Ces
nuances permettent également au professionnel adhérant à l’approche centrée sur
les schémas d’être flexible dans ses interventions. Ces dernières peuvent donc
être adaptées selon les clients, les problématiques, les schémas, etc.
L’approche orientée
vers les solutions
L’approche orientée vers les
solutions est une approche qui mise sur les ressources et les forces du client
(O’Hanlon et Weiner-Davis, 1995). Dans le cadre d’un processus, ces dernières
sont soulignées et renforcées par le professionnel. Elles sont également
utilisées lors de l’élaboration de solutions avec les clients. Cette
élaboration se fait dans une optique de cocréation, c’est-à-dire que le
professionnel et le client collaborent à l’identification de ces solutions
(O’Hanlon et Weiner-Davis, 1995). Pour ce faire, plusieurs techniques sont
utilisées dans l’approche orientée vers les solutions. Parmi celles-ci, notons
l’utilisation de la question miracle, qui sert à projeter le client dans un
avenir où le problème pour lequel il consulte a disparu et la recherche des
moments d’exception, qui correspondent à des contextes passés où le problème
vécu est absent et où le client se sent mieux (Lamarre, 2005). Ces techniques
permettent de trouver des pistes de solutions à partir desquelles il est
possible de construire.
De par ces méthodes, il est
facile de constater que l’approche orientée vers les solutions accorde moins
d’importance à la définition et à la compréhension de l’origine du problème
vécu par le client que d’autres approches (O’Hanlon et Weiner-Davis, 1995).
Naturellement, un temps est accordé pour accueillir la description de la
problématique vécue par le client, mais un processus bref est privilégié, sans
être expéditif (O’Hanlon et Weiner-Davis, 1995). Pour les tenants de cette
approche, il n’est pas nécessaire d’en savoir beaucoup sur un problème pour
être capable de le résoudre. Ils vont plutôt favoriser la détermination des
objectifs à atteindre par le client et une recherche collaborative de solutions
(Lamarre, 2005). En effet, selon l’approche orientée vers les solutions, comme
il existe plusieurs façons justes de voir une problématique, c’est au client à
déterminer ce qu’il veut travailler et non au professionnel de juger. C’est
donc la vision subjective du client qui compte. Le professionnel a plutôt comme
rôle de détecter les possibilités de changements, d’utiliser un langage pour
l’induire et d’accompagner le client dans sa mise en place (O’Hanlon et
Weiner-Davis, 1995). Il est aussi important de souligner que pour les tenants
de cette approche, de petits changements peuvent être suffisants pour répondre
à la demande du client. En concentrant la mise en action du client sur de
petits objectifs réalisables, les changements faits peuvent avoir un impact
significatif sur d’autres aspects de la vie du client et ainsi, induire un
changement permanent. Cette approche vise donc l’élaboration de solutions avec
les clients plutôt que la résolution de leur problème (Lamarre, 2005).
L’approche orientée vers les
solutions a plusieurs avantages. En premier lieu, elle permet d’aborder le
counseling de carrière selon un angle très positif. En effet, en mettant
l’accent sur les forces et les ressources du client, cela fait en sorte que le
processus change de teinte. Au lieu d’essayer d’aider le client à travailler
ses difficultés et à pallier ses défauts, il est possible de miser sur ce qui
fonctionne pour le client, sur ce qui le fait avancer au travers des aléas de
la vie. Cette philosophie d’intervention peut rejoindre les conseillers
d’orientation étant de nature optimiste et qui croient au potentiel de l’être
humain.
De par sa nature, cette
approche véhicule aussi une notion de productivité dans le processus de
counseling de carrière. En étant tournée vers l’atteinte des objectifs et la
recherche de solutions, elle permet la mise en place de conditions gagnantes
pour répondre à la demande d’un client. En effet, garder en tête l’objectif
final du processus donne une direction aux rencontres et permet au client de ne
pas perdre de vue ce qu’il veut changer. Il arrive que certains clients tentent
de faire leur choix tout en étant ayant des problèmes dans d’autres sphères de
leur vie. En ce sens, l’approche orientée vers les solutions est pertinente
puisqu’elle permet au client de se concentrer sur les réponses à leur problème
et sans ressasser toutes les émotions négatives autour. Aussi, travailler en
collaboration pour trouver des solutions qui s’appuient sur les ressources du
client permet d’identifier des moyens de changement qui sont plus susceptibles
de fonctionner que s’ils étaient uniquement proposés par le professionnel.
L’aspect positif de cette approche est aussi pertinent dans cette optique
puisqu’il va peut-être permettre au client d’effectuer un changement qui aura
des conséquences favorables sur les autres sphères de sa vie.
L’approche orientée vers les
solutions accorde également de l’importance à l’impact des mots, des termes et
des temps de verbe employés lors d’échanges (O’Hanlon et Weiner-Davis, 1995).
Par exemple, les conseillers sont invités à utiliser dans certains contextes le
verbe « avoir » au lieu du verbe « être » puisque cela
permet au client de se détacher de son état. Ainsi, il est possible de refléter
à un client se disant qu’il est un imbécile que ces derniers temps, il a
l’impression d’avoir des comportements d’imbécile. Cela diminue l’impact du
terme utilisé par le client lui-même et le situe dans un contexte où il y a
espoir que la situation change. De ce fait, dans cette approche, il est
possible pour les conseillers d’orientation d’utiliser leur connaissance de la
langue française afin d’adhérer par exemple, à certains principes de
structuration de phrases orientant le dialogue avec le client.
CONCLUSION
Finalement, compte tenu des arguments précédents,
l’approche orientée vers les solutions peut bien compléter l’approche centrée
sur les schémas d’adaptation dysfonctionnels. En effet, la première permet
d’identifier des objectifs et des solutions tandis que la seconde permet de
comprendre des dynamiques personnelles plus complexes. Ayant des visées
différentes, ces deux approches peuvent donc s’intégrer dans un processus et
permettre un travail plus global en fonction de la problématique vécue par la
personne. En fait, il semblerait que chacune de ses approches comble un espace
laissé vacant par l’autre. L’approche centrée sur les solutions vient guider
les professionnels de l’orientation sur la façon de travailler les moyens, les
solutions et les objectifs en regard de la problématique vécue par le client.
Quant à l’approche centrée sur les schémas, elle vient orienter une pratique
auprès d’une clientèle présentant des enjeux personnels divers.
Ainsi, il peut être intéressant de combiner les deux lors
d’un processus. Par exemple, poser la question miracle de l’approche centrée
sur les solutions amènera le client à se projeter à la fin du processus et à
verbaliser ses attentes. Cela aidera à ce que l’objectif global du processus
soit fixé. Ensuite, par les questions qui seront posées lors de l’exploration
de la problématique, des intérêts, aptitudes ou valeurs pourront être
identifiés. Au travers de ces éléments, des pistes de solutions pourraient
également ressortir. En effet, si le client raconte une histoire de réussite du
passé, les moyens utilisés à ce moment peuvent être soulignés afin de les appliquer
à la situation présente. Ce type d’intervention se base sur l’approche orientée
vers les solutions.
L’approche centrée sur les schémas a aussi une
application concrète dans un processus d’orientation. Il faut d’abord rappeler
que cette approche nous dit que les schémas ne sont pas tout le temps
dysfonctionnels (Young et coll. 2005). Alors, il faudra faire attention à ne
pas attribuer un schéma au client sans le vérifier. Ce sont des hypothèses qui
seront formulées et qui serviront de point de départ pour aider le client à
mieux se comprendre. Pour ce faire, Young et ses collaborateurs (2005)
suggèrent d’utiliser la relation avec le client. Par exemple, si le conseiller
remarque qu’il se passe quelque chose dans cette dernière qui est de l’ordre de
l’activation d’un schéma d’adaptation dysfonctionnel, il doit en faire part au
client. Cela pourrait lui faire prendre conscience de sa façon d’entrer en
contact avec les autres. Conséquemment, cela l’aidera à faire des choix plus en
accord avec ce qu’il est. Il peut donc être utile de détecter et valider des
schémas auprès du client. Si le client est en accord avec la présence d’un
schéma, il peut également s’avérer intéressant de voir comment cela l’affecte
positivement ou négativement. Ainsi, ces impacts pourront être pris en
considération dans la mise en place d’un plan d’action.
D’ailleurs, à ce stade, les
interventions peuvent s’inspirer de la philosophie à laquelle se rattache
l’approche orientée vers les solutions. Cette dernière stipule qu’il est
important de faire de petits pas, de choisir des cibles réalisables et de
croire au changement. Des moyens pourront être suggérés, mais c’est surtout en
se basant sur les forces et les ressources du client ainsi que les moyens ayant
fonctionné par le passé que le plan d’action sera formé. Le professionnel
adhérant à cette approche tentera également d’inspirer au client le changement
voulu en utilisant des tournures de phrases lui laissant espérer qu’il va se
produire. Et c’est ainsi que les deux approches pourront nous aider à aider le
client.
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