A TRANSITION SOCIOPROFESSIONNELLE DE MÉDECINS ÉTRANGERS AU QUÉBEC : ENTRE INCOHÉRENCE ET PARADOXALITÉ.
Au
Québec, l’évolution démographique démontre un phénomène de
vieillissement de la population rapide et un taux d’accroissement faible
depuis plusieurs années découlant du faible niveau de fécondité. Pour
tenter de pallier cette situation, les instances gouvernementales misent
sur les futurs immigrants. Selon Bourdabat et Boulet, rapportés dans
Joanis et Godbout (2010, p.88) : « Dans les faits,
le Canada compte beaucoup sur l’immigration pour assurer sa croissance
démographique et satisfaire ses besoins de main d’œuvre.» D’ailleurs, selon le Bulletin statistique sur l’immigration permanente au Québec (4e
trimestre 2012), la récente vague de population immigrante est jeune
considérant que 70,9% des personnes immigrées sont âgées de moins de 35
ans. Parmi ceux qui disposent d’une expertise qui pourrait pallier des
besoins pressants au sein de la population québécoise, il y a les
professionnels de la santé. La proportion d’immigrants au sein de la
population québécoise et canadienne ne cesse de s’accroître depuis plus
de deux décennies (Site Internet, ministère de l’Immigration et des
Communautés culturelles Québec - MICC). Une diversification culturelle
se remarque par l’augmentation des immigrants en provenance de l’Afrique
et d’Asie. Au Québec, pour l’année 2013, les pourcentages d’admissions
planifiées pour accueillir un maximum de 47000 travailleurs qualifiés et
gens d’affaires sont répartis comme suit : Afrique 38%, Asie 28%,
Europe 19% et Amérique 15%. Les immigrants admis au Québec en vertu de
la Grille de sélection de 2009[1]
le sont selon trois principales composantes: familiale, humanitaire et
économique. Cette dernière est déterminante pour l’état,
particulièrement en ce qui a trait aux travailleurs et à la contribution
qu’ils peuvent apporter au marché du travail. La grille insiste aussi
sur la connaissance du français (enjeu linguistique) et la présence d’un
conjoint ainsi que des enfants (enjeu démographique). Elle facilite la
sélection de candidats qui peuvent combler les besoins du marché du
travail québécois, entre autres, les professions en demande. Malgré les
objectifs de croissance de l’immigration au Québec, le processus
d’immigration demeure passablement complexe et long (voir Annexe A pour
le cheminement type depuis l’étranger des travailleuses et travailleurs
qualifiés). Dans le but de répondre aux besoins du marché du travail, le
MICC s’est doté d’un plan stratégique (2008-2012) visant non seulement à
faciliter l’intégration d’immigrants qualifiés, mais aussi à accélérer
le processus de reconnaissance de leurs compétences, contribuant ainsi à
accéder aux ordres des professions réglementées (Site Internet, MICC).
C’est pourquoi, conjointement avec certains organismes communautaires,
le MICC offre plusieurs services: accueil, démarches d’installation,
programmes d’accompagnement ou d’intégration, francisation, etc.). À
noter que parmi les cinq principales professions des personnes
accompagnées en vue d’un accès aux professions et métiers réglementés,
les médecins se retrouvent au quatrième rang avec une proportion de 8,8 %
en 2011-2012 (Rapport annuel de gestion 2011-2012 MICC). Les
normes et accords variant d’un pays à l’autre, il est parfois ardu pour
une personne immigrante d’acquérir une expérience de travail québécoise
dans son domaine de formation et ainsi gagner un salaire en
conséquence. De surcroît, difficile de trouver un emploi pour un
immigrant qui n’a pas de réseau de contact établi quand on sait que 80%
des emplois sont dénichés par voie de chaîne de recrutement informelle
(Jobboom, octobre 2009). L’Enquête sur la population active (EPA, octobre 2012), révèle qu’en 2011 le taux de chômage des personnes
immigrantes au Québec était de 12,4% comparativement à 8,8% en Ontario
et 7,9% en Colombie-Britannique. Également, les personnes immigrantes
gagnaient hebdomadairement moins que l’ensemble de la population soit
respectivement 717,88$ et 759,99$. Qui plus est, malgré leur haut
niveau d’éducation, plusieurs études ont démontré que de nombreux
immigrants occupent des emplois sous-qualifiés. D’ailleurs, en 2006,
58,6% des immigrants formés à l’étranger travaillaient dans une
profession exigeant un niveau de compétence inférieur ou ne
travaillaient tout simplement pas (Site Internet, Statistiques Canada). Ironiquement,
malgré le fait que les immigrants aient été sélectionnés selon des
critères de qualification établis par la grille de sélection, leur
intégration au sein du marché du travail peut s’avérer tout un défi, et
ce, même si leur éducation et leur expérience de travail sont reliées
aux professions recherchées. Il est de plus en plus préoccupant de
constater tant pour la société qui accueille les immigrants qualifiés
que pour le gouvernement que ceux-ci doivent se prévaloir des mesures
d’aide sociale alors qu’en principe leurs qualifications devraient
faciliter leur intégration au sein de notre société (Pinsonneault,
Lechaume, Benzakour et Lanctôt, 2010). Ceci oblige parfois les
immigrants à retourner sur les bancs d’école en espérant ultérieurement
décrocher un emploi et acquérir une expérience de travail québécoise.
Les données et tableaux de la brochure Les chiffres clés de l’emploi (gouvernement
du Québec, édition 2012), relèvent qu’en 2011, 25,12 % des immigrants
très récents, soit 5 ans ou moins, sont aux études à temps plein ou
à temps partiel et que 53,4 % d’entre eux occupent un emploi. Ainsi,
dans un article paru le 25 août 2011 (Site Internet, Cyberpresse.ca),
l’ex-présidente du Conseil des relations interculturelles remettait en
question les critères de la grille surtout en ce qui a trait à
l’évaluation de l’expérience de travail étrangère. Également à
souligner qu’afin de favoriser une meilleure intégration des
travailleurs qualifiés, le Conseil du patronat souhaiterait que les
ordres professionnels reconnaissent davantage leurs compétences. Au
surplus, Legault et Rachédi (2010) traitent des compétences des
immigrants non utilisées. Elles affirment que:
« (…) sélectionnés
pour leurs compétences professionnelles, les immigrants reçus par le
Canada sont aujourd’hui majoritairement scolarisés et n’ont pas besoin
d’éducation. Ces « cerveaux » déjà formés et éduqués, qui n’aspirent
qu’à travailler, représentent une valeur ajoutée pour l’économie
nationale. » (p. 16)
Puis
l’Association des universités et collèges du Canada (AUCC) souligne
entre autres que le manque d’informations sur les programmes d’études
étrangers leur complique la tâche quand vient le temps d’évaluer les
compétences. Elle avance que:
« (…),
le système canadien se caractérise par la multiplicité des acteurs, des
démarches et des procédures (…). Plusieurs facteurs font obstacle à
une évaluation juste et éclairée des titres de compétences : le manque
d’information sur les programmes et services offerts ; l’absence de
contacts avec l’employeur et le manque d’expérience de travail au
Canada; une méconnaissance de la culture et des milieux de travail au
Canada et, enfin les exigences irréalistes pour l’octroi de permis et
d’accréditation » (AUCC, 2005, p. 3).
À la suite des éléments vus précédemment et à travers
l’exploration de certains constats tels les besoins criants, le
financement déficitaire, les talents perdus et l’accès à la profession,
un peu de lumière sera jeté sur la situation qui
se présente dans le secteur de la santé au Québec où les médias publics
ont maintes fois relevé des problèmes de pénurie de main-d’œuvre
qualifiée, plus particulièrement de médecins.
Selon
le rapport du groupe de travail sur le financement du système de santé
du Québec (site Internet - gouvernement du Québec, février 2008), ce
dernier éprouve des difficultés. En effet, 45% des dépenses sont
allouées au ministère de la Santé et des Services sociaux. Deux
principaux facteurs sont à l’origine de la croissance importante des
dépenses de santé: l’évolution des technologies (forte demande de
nouvelles technologies plus coûteuses) et l’évolution démographique
(vieillissement de la population requérant des services d’hébergement et
des soins à domicile). Qui plus est, le départ à la retraite déjà
amorcé des « baby-boomers » diminuera le nombre de travailleurs
contribuant à la croissance de l’économie québécoise et privera par le
fait même le gouvernement de certains revenus lui permettant de financer
les services publics. Selon
les dernières données compilées pour l'Association médicale canadienne
(AMC) (janvier 2011), le Canada comptait 70 088 médecins actifs (à
l'exclusion des résidents), pour un ratio médecins-habitants de 1:498.
(Site Internet – AMC) Près de 4,5 millions de personnes n’avaient pas de
médecin régulier au Canada en 2011. Au Québec, c’est un peu plus d’un
quart de la population âgée de 12 et plus (25,5%) qui n’avait pas accès à
un médecin de famille. La profession d’exercice exclusif de médecin est réglementée par le Collège des médecins du Québec (CMQ). Ses principales responsabilités sont de contrôler la compétence et l’intégrité de ses membres, surveiller l’exercice de la profession, réglementer l'exercice, gérer
le processus disciplinaire, favoriser le développement de la
profession, contrôler l’exercice illégal de la profession et
l’usurpation du titre et produire un rapport annuel. Cependant,
le statut de licencié du Conseil médical du Canada, reconnu dans
l’ensemble du Canada et favorisant la transférabilité des compétences
partout au pays, est octroyé par le Conseil Médical du Canada aux
candidats qui satisfont aux exigences et qui réussissent les examens.
(Site Internet MCC – rapport annuel 2009). Pour un diplômé international
en médecine qui arrive au Québec, trois options s’offrent,
soit effectuer une demande de permis restrictif, une demande de
reconnaissance d’équivalence en vue de l’obtention d’un permis régulier
ou une demande d’admission au premier cycle en médecine dans un
établissement universitaire. Malheureusement, même si une demande est
effectuée, elle ne garantit pas l’obtention d’un permis (site
Internet MICC). Le Collège des médecins (CMQ)
estime que les diplômés internationaux formés hors Québec peuvent
concourir à une solution très intéressante à la pénurie de main-d’œuvre
qualifiée dans le secteur de la santé, à condition toutefois d’évaluer
la formation reçue. Bien que la nécessité de recourir à un processus
d’évaluation rigoureux ne soit pas contestée, il apparaît que la
longueur du processus peut s’expliquer entre autres par le peu de
connaissances des contenus et applications pratiques des programmes
éducatifs dans les autres pays ainsi que des méthodes et techniques de
travail. Dès lors, évaluer une compétence selon les normes québécoises
et canadiennes où plusieurs acteurs sont impliqués, représente un défi
en soi. Un rapport d’enquête présenté par la Commission des droits de la
personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) en septembre 2010,
celui-ci a permis de confirmer ce que la Coalition des Associations de
médecins diplômés à l'étranger invoquait depuis belle lurette (site
Internet, dossier : MTL-018303.) Ainsi, cette enquête révèle que les DIM sont victimes de discrimination lors des demandes d’admission:
« (…) l’analyse
des données recueillies par la Commission établit une relation évidente
entre l’origine ethnique du candidat et son choix de lieu de formation,
considérant le fait que dans la quasi-totalité des cas, les candidats
entreprennent une formation en médecine à l’intérieur des bassins
géographiques qui les ont vus naître. » (p.6)
De
plus, est aussi relevé, « le critère d'éloignement de la pratique
(médicale) ou des études. Des suggestions ont été émises pour rectifier
la situation. Il s’agira de savoir si elles suffiront à accélérer le
processus et réchapper des médecins étrangers qui, par manque de
ressources financières, par épuisement ou par obligation finissent par
perdre espoir, abandonner, retourner dans leur pays d’origine ou se
reconvertir professionnellement. Après tout, les connaissances acquises
par ces médecins ont exigé un investissement de leur part. D’autant
que, dans un article publié par Le Devoir (site Internet, 16
février 2005), la directrice en gouvernance à l’Institut de recherche en
politique publique abordait le problème de sous-utilisation des
compétences des immigrants et affirmait du même coup que développer des
outils facilitant la reconnaissance de leurs compétences permettrait non
seulement de mieux les intégrer à notre société, mais aussi d’y
contribuer économiquement.
La
période de transition, c’est-à-dire la période durant laquelle
l’immigrant est sans emploi, ou durant laquelle il occupe un emploi à
temps partiel ou encore un emploi pécuniaire, amène son lot de
préoccupations et de répercussions sur le bien-être psychologique de
celui-ci. Son réseau social étant limité, il n’arrive pas aussi
facilement à établir des contacts. Il craint que le temps joue en sa
défaveur et lui fasse perdre son niveau de compétence. La dévaluation
de ses qualifications professionnelles et la perte de son identité
professionnelle finissent par miner son optimisme et le transformer en
frustration. L’épuisement professionnel le guette. (Yanar, 2011).
Causer, Durand et Gasparini (2009) traitent de l’identité et du sens du
travail. Plus particulièrement, ils abordent la notion d’identité du
travail et en relèvent quelques propos.
« Travailler,
c’est être… (…) quand on travaille, on n’est pas rien. Et, « être au
travail » c’est avoir de l’importante pour les autres (…) » p. 299
Roberge
(1998) explique qu’en période de transition, la personne vit des doutes
et des questionnements. Pour leur part, Legault et Rachédi (2008)
parlent du processus migratoire en matière de mouvement. Elles
écrivent :
« À
chacune des phases du processus migratoire correspondent des moments
particuliers qui sont essentiels (ou qui le deviendront) du fait qu’ils
déterminent, pour l’avenir, des balises, des repères et des limites, des
points d’ancrage, des filtres ou des écrans; il faut comprendre que la
migration est avant tout une expatriation qui ne se fait pas sans
deuils, sans désirs et sans transgressions. Les phases s’enchaînent,
mais le passage de l’une à l’autre n’est pas toujours nettement marqué.
Chaque phase est le produit des précédentes, et les effets de l’une
continuent à se manifester dans les autres ». (p. 45)
Au
surplus, dans la démarche du processus migratoire, les notions de sens
et de concept identitaire des personnes immigrantes sont ébranlées. À
ce sujet, Rachédi (2010) relève les principaux ingrédients de la
définition de l’identité. Elle énonce :
« L’identité
est autoproclamée par les acteurs sociaux. Elle est vectrice de sens.
L’identité s’inscrit dans un processus dialectique. Elle est un état
et le fruit d’un processus continu reliant passé, présent et avenir. » (p. 29)
En
somme, les médecins étrangers immigrants au Québec vivent des
difficultés, que ce soit en rapport à l’exercice de leur profession, à
l’emploi ou à leur intégration à la société québécoise et celles-ci
affectent les dynamiques identitaires et les transitions
socioprofessionnelles. La recension des écrits qui suit permettra de
situer ce qui est en question plus haut dans différentes recherches.
Plusieurs
recherches québécoises et canadiennes se sont penchées sur les
difficultés de se trouver un emploi pour les immigrants en général
(Gilmore, 2009; Bégin, 2009; Renaud, Piché et Godin, 2003; Piché et
coll., 2002; Renaud, Gingras, Vachon, Blaser, Godin et Gagné, 2001) et
même plus particulièrement pour les médecins étrangers immigrants
(Trandafir, 2009; Pinsonneault, Lechaume, Benzakour et Lanctôt, 2010;
Bardai, 2010). Par contre, peu se sont arrêtées sur les dynamiques
identitaires et les transitions socioprofessionnelles vécues par ces
derniers. Cette recherche tentera donc de jeter un peu de lumière sur
ces réalités. Dans un premier temps, l’immigration sera abordée, suivie
de l’insertion et l’intégration sociales, la reconnaissance des
compétences et emplois qualifiés, la mobilité professionnelle, les
transitions et enfin, les dynamiques identitaires. Afin
de mieux comprendre ce thème, la définition de Tastsoglou (2001, p.3) a
été retenue. Selon cette auteure, le terme « processus d’immigration »
désigne « le fait, pour un immigrant ou un réfugié, d’arriver au Canada
et de s’y établir. » En réalité, tout processus
d’immigration bouscule inévitablement la vie des gens. Dans une étude
sur les familles immigrantes au Québec citée par Kanouté (2007), il y
est mentionné que « l’immigration soumet l’individu et les groupes à un
processus d’acculturation : processus global d’adaptation psychologique
et socioculturelle au contact d’une ou de cultures autres que sa culture
de première socialisation (Berry, Phinney, Sam et Vedder, 2006;
Kanouté, 2002). (p. 67) » En principe, l’immigrant qualifié dûment
informé (selon les critères du MICC, 2011) qui arrive au Québec devrait
vraisemblablement bien s’adapter au marché de l’emploi québécois. Tel
que le soutiennent Boudarbat et Boulet (2010), l’idée de recourir à une
main-d’œuvre qualifiée sous-tend que cette dernière aura plus de
facilité à intégrer le marché du travail et que sa participation active
sera bénéfique pour le pays d’accueil. Les immigrants choisissent
normalement la grande ville due à l’accessibilité des emplois, des
ressources et des services (Kanouté, 2007). Ils rejoignent des membres
de la famille ou des amis. Par surcroît, l’accès aux réseaux
sociocommunautaires y est facilité. Il est connu que les médecins
quittent les pays sous-développés pour des pays plus riches. Selon une
étude de Kerouedan (2009), « les conditions de
travail, les dysfonctionnements des systèmes de santé, l’insuffisance
des moyens et la baisse de qualité des plateaux techniques,
l’insuffisance des salaires, l’insécurité qui y règne sont autant de
facteurs qui poussent les jeunes médecins vers des aventures européennes
et canadiennes. » (p. 119) Pang, Lansang et Haines (2002) confirment
que les facteurs qui incitent les professionnels du domaine médical à
émigrer sont : une faible rémunération, des conditions de travail non
adéquates, un climat politique oppressant, la persécution des
intellectuels, la discrimination et pour les chercheurs, le manque de
fonds de recherche, la désuétude des plateaux techniques, les carrières
limitées et le peu de stimulation intellectuelle. Il y a aussi le
souhait de vivre en sécurité, sans violence et le désir d’offrir de
bonnes conditions de vie à leurs enfants. (p. 500) Les
médecins formés à l’étranger peuvent incidemment immigrer au Québec
pour diverses raisons. Baerlocher (2006) démontre que ces dernières
peuvent être de différentes natures : personnelles, professionnelles,
financières et familiales. Suivant les raisons qui ont motivé son
immigration, le médecin immigrant a donc plus ou moins eu l’opportunité
de bien se préparer et s’informer. D’après l’étude de Simard et Van
Schendel (2004), les médecins étrangers immigrants ont principalement
immigré pour des considérations politiques et économiques. Également,
« s’ils ont finalement choisi le Québec, c’est avant tout pour son
caractère francophone et européen par opposition aux États-Unis, son
climat de liberté et de sécurité pour les enfants et ses meilleures
possibilités d’avenir pour leurs descendants. » (p. 65) Par ailleurs, Tremblay (2008) soutient que « La
difficulté de rétention des professionnels de la santé contribue aussi à
la pénurie. En aspirant à améliorer leur situation, plusieurs
professionnels de la santé choisiront de changer d’établissement, de
ville, de région ou de pays, ou, lorsque le système de santé s’y prête,
de passer du secteur public au secteur privé. (p. 4) » L’immigrant
qui arrive au Québec peut remarquer qu’il y a des programmes
d’insertion économique et linguistique disponibles pour faciliter son
intégration. Malgré tout, certains se butent à des barrières. Entre
autres, la discrimination représente toute une embûche (Kanouté, 2007).
Selon Boudarbat et Boulet (2010 : p. iv), l’intégration au marché du
travail « semble influencée par la région d’origine des immigrants, le
lieu d’obtention de leur diplôme et leur âge à leur arrivée au pays. » Or,
si les immigrants n’arrivent pas à intégrer le marché du travail, ils
finiront par se sentir exclus et se tourneront vers les programmes de
soutien sociaux pour survivre (Bourdabat et Boulet, 2010).
Conséquemment, cela occasionne des coûts pour la société et les
immigrants eux-mêmes. Ces dires sont appuyés par la recherche de
Lafontant, Forgues, Belkhodja, Sangwa-Lugoma, Meridji, Pietrantonio,
Tremblay et Karyirangwa (2006) qui a répertorié les principales
difficultés d’intégration professionnelle des diplômés internationaux en
santé (DIS) au Canada comme suit : la
reconnaissance des titres de compétences (formation et expériences
professionnelles en santé) acquis à l’extérieur du Canada,
l’architecture complexe des organismes qui interviennent dans le
processus de reconnaissance, le coût des cours de formation d’appoint
qui peuvent être exigés pour avoir accès aux évaluations de ces
organismes et les exigences du marché du travail, les préférences et les
pratiques (légitimes ou non) des employeurs. (p. 11) Quant
à Bardai (2010), il énumère quelques barrières à l’intégration
professionnelle des médecins étrangers immigrants au Québec selon leurs
perceptions : « barrière de nature procédurale (barrières
informationnelles, barrières liées à la préparation et au passage des
examens exigés, et à l’absence de garantie d’une place en résidence
après avoir réussi les examens), institutionnelles (pressentiment d’un
manque de volonté politique pour faciliter l’intégration) et
socioculturelle (liées à la différence de culture entre le pays
d’origine et le Canada), les facteurs discriminatoires, les facteurs
religieux et le changement du statut social suite à l’immigration au
Québec. » (p. 99) L’étude de Simard et Van Schendel (2004) abonde dans
le même sens :
« (…) types de difficultés soulignés par la plupart des médecins interrogés
sont : 1) le manque de support pour les aider à préparer les examens
d’équivalence; 2) la perte de leur identité professionnelle couplée à
une situation économique précaire; 3) l’impolitesse et la fermeture de
la Corporation professionnelle médicale. (p. 62) »
Les
médecins étrangers s’inquiètent de passer trop de temps sans pratiquer
la médecine. Ils effectuent des études dans le domaine médical ou un
domaine connexe tout en espérant décrocher des stages pour tenter de
garder contact avec leur domaine d’expertise. L’accès limité aux postes
en résidence et aux études universitaires en médecine ont un impact sur
le nombre de médecins disponibles (Tremblay, 2008). D’une part, les
étudiants finissants n’arrivent pas à combler les besoins et d’autre
part, la sous-utilisation des compétences des médecins étrangers
immigrants provenant de certains pays a des répercussions économiques,
sociales et politiques (Reitz, 2005). Bien que les nouveaux immigrants
soient davantage qualifiés, leur région de provenance, en l’occurrence
l’Asie, l’Afrique et les Amériques, où les systèmes éducatifs diffèrent
du système canadien et québécois, cause des difficultés lorsque vient le
temps de se voir reconnaître les compétences acquises dans leur pays
d’origine. Les résultats de l’analyse de Renaud et Cayn (2006),
démontrent que le lieu de provenance représente un défi pour accéder à
un emploi :« (…) l’accès au premier emploi sera plus lent d’une part
pour les répondants provenant d’Asie de l’Ouest et du Moyen- Orient, du
Maghreb, de l’Asie orientale et de l’Océanie, de l’Afrique hors Maghreb
et de l’Europe de l’Est (incluant l’ex-URSS); et d’autre part pour ceux
qui ont étudié en sciences de la santé (…). » (p. ix) Quant à
Lafontant et coll. (2006), ils affirment qu’il serait souhaitable que
certains processus soient entamés avant l’immigration en terre d’accueil
: « (…) avant même leur arrivée et jusqu’à l’obtention d’un emploi,
les DIS doivent suivre un processus d’accréditation et de
reconnaissance. Cela implique de faire reconnaître leurs titres de
compétences et de suivre, au besoin, des cours de mise à niveau. Il
s’agit d’un facteur déterminant pour le passage vers un nouvel emploi et
un nouveau milieu de vie. » (p. 38) D’ailleurs, la reconnaissance
des acquis est souvent évoquée pour expliquer les faibles niveaux de
revenus des immigrants et leurs difficultés à accéder à l’emploi.
Nombreux sont les immigrants qualifiés qui occupent des emplois
sous-qualifiés pour survivre et nourrir leur famille (travail dans les
usines et manufactures, dans les restaurants, etc.). Les médecins
formés à l’étranger n’y échappent pas. Simard et Van Schendel (2004) le
notent aussi : « Force est de constater que les expertises et
savoirs particuliers des médecins immigrants spécialistes sont
sous-utilisés au Québec, et ce, même s’il y a pénurie de certaines de
ces spécialités en régions éloignées. Cela renvoie aux questions
cruciales de la reconnaissance des acquis et de la déqualification des
professionnels immigrants (…). » p. 54 De plus, ils relèvent que certains « doivent
cacher leur diplôme de médecin pour pouvoir accéder à ces emplois de
survie. » (p. 60) Malheureusement, occuper des emplois sous-qualifiés
amène son lot de frustration. À cet effet, Kanouté (2007) cite : « À
l’idée de renoncer à des acquis de formation et de presque commencer un
nouveau parcours de qualification professionnelle, plusieurs immigrants
vivent une très grande frustration qui peut inhiber l’élan de départ du
projet migratoire. » (p. 69) D’après l’étude de Simard et Van Schendel
(2004), plusieurs médecins étrangers immigrants avaient entamé et même
complété des formations spécialisées dans leur pays d’origine.
Malheureusement, ils n’ont pas pu mettre en œuvre ces dernières, car
« tous ont dû accepter de se réorienter en médecine familiale, devant
alors faire le deuil de leur spécialité. » (p. 66) C’est
au détriment des pays sous-développés que se vit la fuite des cerveaux
du monde médical (Marchal et Kegels, 2003). Dans l’ensemble, ce sont
les pays suivants qui en profitent le plus : États-Unis, le Royaume-Uni
et le Canada. Ceci conduit à une certaine inéquité. Non seulement ce
sont des professionnels de la santé qui sont perdus, mais aussi des
milliers de dollars investis en formation qui s’envolent sans compter
que certains spécialistes qui quittent ces pays occuperont des fonctions
sous leur seuil de compétences dans les pays plus riches (Bundred
and Levitt, 2000) cités par Marchal et Kegels (2003 : p. S93). Quant à
eux, Hagopian, Thompson, Fordyce, Johnson et Hart (2004) rapportent
que : « (…)
L’Organisation mondiale de la Santé (MS) reconnaît depuis longtemps que
la migration des personnels de santé des pays sous-développés vers des
pays développés créée un déséquilibre de professionnels de la santé au
niveau mondial. » (p. 1 – traduction libre de l’auteure de cet essai) Hadaś et Lang (2010) avancent plusieurs facteurs clés contribuant à la migration : «
(…) pauvres conditions de vie, faible rémunération, peu d’opportunités
de développement professionnel, manque de plans de carrière définis, peu
de stimulation intellectuelle, mauvaise gouvernance, pauvreté,
népotisme et corruption au sein du recrutement et des promotions,
insécurité ou violence en milieu de travail, chaos et tensions
politiques, conflits militaires et guerres civiles. » (p. 7 – traduction libre par l’auteure de cet essai) Quant à Robinson
et Carey (2000), ils évoquent cet extrait de Halfacree et Boyle, 1993:
p. 337 pour expliquer le processus de migration: «
La décision de migrer n’est pas prise en mettant en veille le reste de
sa vie … une migration particulière existe dans la mesure où elle fait
partie de notre passé, de notre présent et de notre futur; de notre
biographie. » (p. 91 – traduction libre par l’auteure de cet essai)
Les
recherches de Balleux et Perez-Roux (2011) abordent le concept de
transition en reprenant les propos de certains auteurs. Ils rapportent
les déclarations suivantes: « (…) la transition s’intéresse plus
particulièrement aux mobilités sociales et professionnelles des adultes
(Boutinet, 2009) pour lesquels il s’agit d’aborder une nouvelle réalité
tout en quittant une récente activité professionnelle, qu’elle soit
première ou multiple. » (…) la transition peut être vue comme une «
organisation temporelle que se donne une personne, comportant une
origine et une fin plus ou moins floues » (Boutinet, 2009 : p.226). La
transition est aussi « une réalité psychologique subjective » (Bridges,
2006, p.2) et engage à la fois inscription dans le temps, changement
d’espace et processus de transformation, laissant une part importante au
contexte (Elder, 1994). Comme processus intérieur, Bridges (1995) y
voit trois étapes essentielles: deuil, traversée du désert et
renouveau. (…) La transition est donc propice à l’étude du développement
professionnel et personnel, car « les périodes de transition peuvent
être développementales lorsque certaines constructions de significations
sont possibles, étant elles-mêmes profondément liées à la possibilité
de réélaborations identitaires et d’apprentissages » (Perret-Clermont et
Zittoun, 2002 : p.15). » (pp. 6-7) Les transitions touchent à
plusieurs facettes de la vie des individus. Dès lors, lorsqu’une
personne décide d’immigrer, les aspects suivants risquent de l’ébranler:
le contexte et les événements reliés à la migration, les personnes
impliquées, le poste occupé et le statut social avant le départ, les
conditions socio-économiques du pays d’accueil, etc. Kanouté (2007)
ajoute aussi « l’histoire de la communauté d’origine de la famille et le
poids de cette histoire sur la définition identitaire de ses membres,
etc. » (p. 68) C’est donc dire que les médecins étrangers vivent ces
transitions dans une certaine mesure et que celles-ci bousculent leur
dynamique identitaire. D’après une définition de Rummens (2000) citée
par Tastsoglou, « l’identité peut être définie comme « le caractère
distinctif propre à tout individu ou commun à tous les membres d’une
catégorie ou d’un groupe social particuliers ». L’identité est un
concept relationnel et contextuel. Ainsi, elle ajoute : « Comme les
contextes sociaux et les relations entre les groupes évoluent, les
identités évoluent elles aussi. En ce sens, les identités sont des
constructions sociales sujettes en permanence à la négociation et à la
reconstruction. » (pp. 3-4) Les recherches de Balleux et Perez-Roux
(2011 : p. 7) accentuent le fait que dans une perspective dynamique
« l'identité intègre les différentes expériences de l'individu tout au
long de la vie ». Selon Zaouani-Denoux (2005) : les tensions vécues par
l’individu durant les périodes de transitions « génèrent des
transformations plus ou moins profondes au plan identitaire, engageant
un processus de déconstruction/reconstruction qui accompagne le
remaniement du rapport entre soi et l’environnement. » (p. 7) Pour
la majorité des gens, un médecin est perçu comme une personne forte.
Exprimer ses sentiments ou démontrer des émotions devient donc un sujet
tabou pour les médecins. Pourtant, les médecins étrangers immigrants
vivent de grandes inquiétudes. En effet, ils craignent entre autres, la
perte de leur identité professionnelle durant les longs délais
d’attente, l’éloignement de la pratique médicale et les répercussions
nuisibles pour leur famille (par exemple, les problèmes financiers, les
troubles du sommeil, l’angoisse, etc.). De sorte que Simard et Van
Schendel (2004) signalent que « cette perte de statut professionnel et
social ainsi que le manque de courtoisie et de considération ressenties
par plusieurs médecins minent, à la longue, leur optimisme et leur rêve
d’une vie meilleure au Québec. » (p. 64) Selon Swick (2000), les
professions véhiculent des valeurs sociales importantes aux yeux du
public et les médecins n’y échappent pas. Au-delà de la relation de
dualité médecin-patient, Swick (2000) ajoute que: « La pratique de la
médecine a traditionnellement incorporé un ensemble de valeurs qui
décrivent bien la nature du travail médical. Ces valeurs incluent, entre
autres, l’engagement social, porter secours et l’altruisme. » (p. 614,
traduction libre par l’auteure de cet essai) Du reste, Bélanger et Laliberté (2010) rappellent que « dans l’esprit du serment d’Hippocrate, le rôle du médecin est de mettre à profit son savoir au service de la santé de la population. » (p. 8) Au sujet du rôle joué par les médecins, ils ajoutent que : « Le
rôle du médecin est d’appliquer un savoir technique et spécialisé en
matière de santé au service d’un patient, de la population en générale
ou d’une institution. La légitimité de ce rôle repose sur le pouvoir
médical, c’est-à-dire sur « la capacité des médecins, comme individus
dans leur pratique quotidienne ou comme collectivité dans leurs rapports
avec d’autres acteurs sociaux, de faire prévaloir leur point de vue sur
les questions qui les concernent » (Lemieux et coll., 2003 : 262). » (pp.13-14) Quant
à Maranda (2006), elle procède à une analyse selon trois pôles
identitaires du médecin. Elle parle d’irréprochabilité du médecin, de
l’étiquette de « sauveur » et de son dévouement.
«
(…) trois pôles qui forment un tout cohérent et encadrent son
activité : les normes et exigences professionnelles, les attentes de la
société et l’idéal vocationnel. (…) Le médecin est au cœur d’une
profession libérale, parmi les plus prestigieuses, comportant un grand
nombre de responsabilités, ce qui suppose, en corollaire, qu’elle soit
une des professions les plus contrôlées. » (p. 62)
« Les
médecins sont aussi soumis à de fortes attentes de la part de la
société(…) on attend d’eux qu’ils «sauvent» le monde… Dans l’imaginaire
populaire, les médecins ont reçu un don (…) et de pouvoirs de
guérison. » (p. 65)
« Le
destin du soignant, c’est de soigner, c’est de guérir (…) C’est pour
cette raison que des hommes et des femmes sont entrés en médecine, comme
on entre en vocation. (…) ils répondaient à un appel de leur
conscience. » (p. 67)
De son côté, Loriol (1999) évoque les propos de Hugues (1958) au sujet de l’identité professionnelle. « L’identité
professionnelle s'élabore à travers quatre éléments : la nature de la
tâche, la conception du rôle, l'anticipation des carrières et l'image de
soi. À cela, il faut ajouter les relations de pouvoir, aussi bien au
niveau de l'entreprise (Sainsaulieu, 1977) que de la profession. » (p.
8) Une étude menée par Menguy-Fleuriot (2006) avance que « (…)
l’exercice de la médecine permet d’accéder à un statut social élevé et
de réaliser une « belle carrière professionnelle. » (p. 7) Dès lors, il
y a lieu de se questionner sur les débouchés possibles pour les
médecins qui sont confrontés à la perte de leur identité professionnelle
et de l’impérativité de diplômes supplémentaires pour se
« reconvertir », se déconstruire et se reconstruire. En résumé, en
parcourant la littérature scientifique, force est de constater que le
processus d’immigration ne se limite pas à une simple formalité, car
au-delà de la personne immigrante, tout un univers doit être pris en
considération si l’on souhaite favoriser une bonne intégration à la
société d’accueil. Qu’il s’agisse de perceptions, de différentes
barrières, d’un vécu, de l’origine de l’individu, des conditions dans le
pays d’origine, du statut social, de l’environnement, du discours
intérieur, etc., plusieurs composantes externes et internes ont une
influence sur l’individu, et dans le cas présent, sur les médecins
étrangers immigrants au Québec.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.