jeudi 13 juin 2013

Nora Polisena - LA TRANSITION SOCIOPROFESSIONNELLE DE MÉDECINS ÉTRANGERS AU QUÉBEC : ENTRE INCOHÉRENCE ET PARADOXALITÉ.

A TRANSITION SOCIOPROFESSIONNELLE DE MÉDECINS ÉTRANGERS AU QUÉBEC :  ENTRE INCOHÉRENCE ET PARADOXALITÉ.


Au Québec, l’évolution démographique démontre un phénomène de vieillissement de la population rapide et un taux d’accroissement faible depuis plusieurs années découlant du faible niveau de fécondité. Pour tenter de pallier cette situation, les instances gouvernementales misent sur les futurs immigrants. Selon Bourdabat et Boulet, rapportés dans Joanis et Godbout (2010, p.88) : « Dans les faits, le Canada compte beaucoup sur l’immigration pour assurer sa croissance démographique et satisfaire ses besoins de main d’œuvre.»  D’ailleurs, selon le Bulletin statistique sur l’immigration permanente au Québec (4e  trimestre 2012), la récente vague de population immigrante est jeune considérant que 70,9% des personnes immigrées sont âgées de moins de 35 ans. Parmi ceux qui disposent d’une expertise qui pourrait pallier des besoins pressants au sein de la population québécoise, il y a les professionnels de la santé. La proportion d’immigrants au sein de la population québécoise et canadienne ne cesse de s’accroître depuis plus de deux décennies (Site Internet, ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles Québec - MICC). Une diversification culturelle se remarque par l’augmentation des immigrants en provenance de l’Afrique et d’Asie. Au Québec, pour l’année 2013, les pourcentages d’admissions planifiées pour accueillir un maximum de 47000 travailleurs qualifiés et gens d’affaires sont répartis comme suit : Afrique 38%, Asie 28%, Europe 19% et Amérique 15%. Les immigrants admis au Québec en vertu de la Grille de sélection de 2009[1] le sont selon trois principales composantes: familiale, humanitaire et économique. Cette dernière est déterminante pour l’état, particulièrement en ce qui a trait aux travailleurs et à la contribution qu’ils peuvent apporter au marché du travail.  La grille insiste aussi sur la connaissance du français (enjeu linguistique) et la présence d’un conjoint ainsi que des enfants (enjeu démographique).  Elle facilite la sélection de candidats qui peuvent combler les besoins du marché du travail québécois, entre autres, les professions en demande.  Malgré les objectifs de croissance de l’immigration au Québec, le processus d’immigration demeure passablement complexe et long (voir Annexe A pour le cheminement type depuis l’étranger des travailleuses et travailleurs qualifiés). Dans le but de répondre aux besoins du marché du travail, le MICC s’est doté d’un plan stratégique (2008-2012) visant non seulement à faciliter l’intégration d’immigrants qualifiés, mais aussi à accélérer le processus de reconnaissance de leurs compétences, contribuant ainsi à accéder aux ordres des professions réglementées (Site Internet, MICC). C’est pourquoi, conjointement avec certains organismes communautaires, le MICC offre plusieurs services: accueil, démarches d’installation, programmes d’accompagnement ou d’intégration, francisation, etc.).  À noter que parmi les cinq principales professions des personnes accompagnées en vue d’un accès aux professions et métiers réglementés, les médecins se retrouvent au quatrième rang avec une proportion de 8,8 % en 2011-2012 (Rapport annuel de gestion 2011-2012 MICC). Les normes et accords variant d’un pays à l’autre, il est parfois ardu pour une personne immigrante d’acquérir une expérience de travail québécoise dans son domaine de formation et ainsi gagner un salaire en conséquence. De surcroît, difficile de trouver un emploi pour un immigrant qui n’a pas de réseau de contact établi quand on sait que 80% des emplois  sont dénichés par voie de chaîne de recrutement informelle (Jobboom, octobre 2009).  L’Enquête sur la population active (EPA, octobre 2012), révèle qu’en 2011 le taux de chômage des personnes immigrantes au Québec était de 12,4% comparativement à 8,8% en Ontario et 7,9% en Colombie-Britannique. Également, les personnes immigrantes gagnaient hebdomadairement moins que l’ensemble de la population soit respectivement 717,88$ et 759,99$.  Qui plus est, malgré leur haut niveau d’éducation, plusieurs études ont démontré que de nombreux immigrants occupent des emplois sous-qualifiés.  D’ailleurs, en 2006, 58,6% des immigrants formés à l’étranger travaillaient dans une profession exigeant un niveau de compétence inférieur ou ne travaillaient tout simplement pas (Site Internet, Statistiques Canada). Ironiquement, malgré le fait que les immigrants aient été sélectionnés selon des critères de qualification établis par la grille de sélection, leur intégration au sein du marché du travail peut s’avérer tout un défi, et ce, même si leur éducation et leur expérience de travail sont reliées aux professions recherchées.  Il est de plus en plus préoccupant de constater tant pour la société qui accueille les immigrants qualifiés que pour le gouvernement que ceux-ci doivent se prévaloir des mesures d’aide sociale alors qu’en principe leurs qualifications devraient faciliter leur intégration au sein de notre société (Pinsonneault, Lechaume, Benzakour et Lanctôt, 2010). Ceci oblige parfois les immigrants à retourner sur les bancs d’école en espérant ultérieurement décrocher un emploi et acquérir une expérience de travail québécoise.  Les données et tableaux de la brochure Les chiffres clés de l’emploi (gouvernement du Québec, édition 2012), relèvent qu’en 2011,  25,12 % des immigrants très récents, soit 5 ans ou moins, sont aux études à temps plein ou à temps partiel et que 53,4 % d’entre eux occupent un emploi. Ainsi, dans un article paru le 25 août 2011 (Site Internet, Cyberpresse.ca), l’ex-présidente du Conseil des relations interculturelles remettait en question les critères de la grille surtout en ce qui a trait à l’évaluation de l’expérience de travail étrangère.  Également à souligner qu’afin de favoriser une meilleure intégration des travailleurs qualifiés, le Conseil du patronat souhaiterait que les ordres professionnels reconnaissent davantage leurs compétences. Au surplus, Legault et Rachédi (2010) traitent des compétences des immigrants non utilisées.  Elles affirment que:

« (…) sélectionnés pour leurs compétences professionnelles, les immigrants reçus par le Canada sont aujourd’hui majoritairement scolarisés et n’ont pas besoin d’éducation.  Ces « cerveaux » déjà formés et éduqués, qui n’aspirent qu’à travailler, représentent une valeur ajoutée pour l’économie nationale. » (p. 16) 

Puis l’Association des universités et collèges du Canada (AUCC) souligne entre autres que le manque d’informations sur les programmes d’études étrangers leur complique la tâche quand vient le temps d’évaluer les compétences. Elle avance que:

« (…), le système canadien se caractérise par la multiplicité des acteurs, des démarches et des procédures (…).  Plusieurs facteurs font obstacle à une évaluation juste et éclairée des titres de compétences : le manque d’information sur les programmes et services offerts ; l’absence de contacts avec l’employeur et le manque d’expérience de travail au Canada; une méconnaissance de la culture et des milieux de travail au Canada et, enfin les exigences irréalistes pour l’octroi de permis et d’accréditation » (AUCC, 2005, p. 3).

À la suite des éléments vus précédemment et à travers l’exploration de certains constats tels les besoins criants, le financement déficitaire, les talents perdus et l’accès à la profession, un peu de lumière sera jeté sur la situation qui se présente dans le secteur de la santé au Québec où les médias publics ont maintes fois relevé des problèmes de pénurie de main-d’œuvre qualifiée, plus particulièrement de médecins. 

Selon le rapport du groupe de travail sur le financement du système de santé du Québec (site Internet - gouvernement du Québec, février 2008), ce dernier éprouve des difficultés.  En effet, 45% des dépenses sont allouées au ministère de la Santé et des Services sociaux.  Deux principaux facteurs sont à l’origine de la croissance importante des dépenses de santé: l’évolution des technologies (forte demande de nouvelles technologies plus coûteuses) et l’évolution démographique (vieillissement de la population requérant des services d’hébergement et des soins à domicile).  Qui plus est, le départ à la retraite déjà amorcé des « baby-boomers » diminuera le nombre de travailleurs contribuant à la croissance de l’économie québécoise et privera par le fait même le gouvernement de certains revenus lui permettant de financer les services publics. Selon les dernières données compilées pour l'Association médicale canadienne (AMC) (janvier 2011), le Canada comptait 70 088 médecins actifs (à l'exclusion des résidents), pour un ratio médecins-habitants de 1:498. (Site Internet – AMC) Près de 4,5 millions de personnes n’avaient pas de médecin régulier au Canada en 2011.  Au Québec, c’est un peu plus d’un quart de la population âgée de 12 et plus (25,5%) qui n’avait pas accès à un médecin de famille.  La profession d’exercice exclusif de médecin est réglementée par le Collège des médecins du Québec (CMQ).  Ses principales responsabilités sont de contrôler la compétence et l’intégrité de ses membres, surveiller l’exercice de la profession,  réglementer l'exercice, gérer le processus disciplinaire, favoriser le développement de la profession, contrôler l’exercice illégal de la profession et l’usurpation du titre et produire un rapport annuel. Cependant, le statut de licencié du Conseil médical du Canada, reconnu dans l’ensemble du Canada et favorisant la transférabilité des compétences partout au pays, est octroyé par le Conseil Médical du Canada aux candidats qui satisfont aux exigences et qui réussissent les examens. (Site Internet MCC – rapport annuel 2009). Pour un diplômé international en médecine qui arrive au Québec, trois options s’offrent, soit effectuer une demande de permis restrictif, une demande de reconnaissance d’équivalence en vue de l’obtention d’un permis régulier ou une demande d’admission au premier cycle en médecine dans un établissement universitaire.  Malheureusement, même si une demande est effectuée, elle ne garantit pas l’obtention d’un permis (site Internet MICC). Le Collège des médecins (CMQ) estime que les diplômés internationaux formés hors Québec peuvent concourir à une solution très intéressante à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans le secteur de la santé, à condition toutefois d’évaluer la formation reçue.  Bien que la nécessité de recourir à un processus d’évaluation rigoureux ne soit pas contestée, il apparaît que la longueur du processus peut s’expliquer entre autres par le peu de connaissances des contenus et applications pratiques des programmes éducatifs dans les autres pays ainsi que des méthodes et techniques de travail.  Dès lors, évaluer une compétence selon les normes québécoises et canadiennes où plusieurs acteurs sont impliqués, représente un défi en soi. Un rapport d’enquête présenté par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) en septembre 2010, celui-ci a permis de confirmer ce que la Coalition des Associations de médecins diplômés à l'étranger invoquait depuis belle lurette (site Internet, dossier : MTL-018303.)  Ainsi, cette enquête révèle que les DIM sont victimes de discrimination lors des demandes d’admission:

« (…) l’analyse des données recueillies par la Commission établit une relation évidente entre l’origine ethnique du candidat et son choix de lieu de formation, considérant le fait que dans la quasi-totalité des cas, les candidats entreprennent une formation en médecine à l’intérieur des bassins géographiques qui les ont vus naître. » (p.6)

De plus, est aussi relevé, « le critère d'éloignement de la pratique (médicale) ou des études. Des suggestions ont été émises pour rectifier la situation.  Il s’agira de savoir si elles suffiront à accélérer le processus et réchapper des médecins étrangers qui, par manque de ressources financières, par épuisement ou par obligation finissent par perdre espoir, abandonner, retourner dans leur pays d’origine ou se reconvertir professionnellement. Après tout, les connaissances acquises par ces médecins ont exigé un investissement de leur part.  D’autant que, dans un article publié par Le Devoir (site Internet, 16 février 2005), la directrice en gouvernance à l’Institut de recherche en politique publique abordait le problème de sous-utilisation des compétences des immigrants et affirmait du même coup que développer des outils facilitant la reconnaissance de leurs compétences permettrait non seulement de mieux les intégrer à notre société, mais aussi d’y contribuer économiquement.

La période de transition, c’est-à-dire la période durant laquelle l’immigrant est sans emploi, ou durant laquelle il occupe un emploi à temps partiel ou encore un emploi pécuniaire, amène son lot de préoccupations et de répercussions sur le bien-être psychologique de celui-ci.  Son réseau social étant limité, il n’arrive pas aussi facilement à établir des contacts. Il craint que le temps joue en sa défaveur et lui fasse perdre son niveau de compétence.  La dévaluation de ses qualifications professionnelles et la perte de son identité professionnelle finissent par miner son optimisme et le transformer en frustration.  L’épuisement professionnel le guette.  (Yanar, 2011).   Causer, Durand et Gasparini (2009) traitent de l’identité et du sens du travail.  Plus particulièrement, ils abordent la notion d’identité du travail et en relèvent quelques propos.

« Travailler, c’est être…  (…)  quand on travaille, on n’est pas rien.  Et, « être au travail » c’est avoir de l’importante pour les autres (…) » p. 299

Roberge (1998) explique qu’en période de transition, la personne vit des doutes et des questionnements.  Pour leur part, Legault et Rachédi (2008)  parlent du processus migratoire en matière de mouvement.  Elles écrivent :

« À chacune des phases du processus migratoire correspondent des moments particuliers qui sont essentiels (ou qui le deviendront) du fait qu’ils déterminent, pour l’avenir, des balises, des repères et des limites, des points d’ancrage, des filtres ou des écrans; il faut comprendre que la migration est avant tout une expatriation qui ne se fait pas sans deuils, sans désirs et sans transgressions.  Les phases s’enchaînent, mais le passage de l’une à l’autre n’est pas toujours nettement marqué.  Chaque phase est le produit des précédentes, et les effets de l’une continuent à se manifester dans les autres ». (p. 45)

Au surplus, dans la démarche du processus migratoire, les notions de sens et de concept identitaire des personnes immigrantes sont ébranlées.  À ce sujet, Rachédi (2010) relève les principaux ingrédients de la définition de l’identité.  Elle énonce :

« L’identité est autoproclamée par les acteurs sociaux.  Elle est vectrice de sens.  L’identité s’inscrit dans un processus dialectique.  Elle est un état et le fruit d’un processus continu reliant passé, présent et avenir. » (p. 29)

En somme, les médecins étrangers immigrants au Québec vivent des difficultés, que ce soit en rapport à l’exercice de leur profession, à l’emploi ou à leur intégration à la société québécoise et celles-ci affectent les dynamiques identitaires et les transitions socioprofessionnelles.  La recension des écrits qui suit permettra de situer ce qui est en question plus haut dans différentes recherches.

Plusieurs recherches québécoises et canadiennes se sont penchées sur les difficultés de se trouver un emploi pour les immigrants en général (Gilmore, 2009; Bégin, 2009; Renaud, Piché et Godin, 2003;  Piché et coll., 2002; Renaud, Gingras, Vachon, Blaser, Godin et Gagné, 2001) et même plus particulièrement pour les médecins étrangers immigrants (Trandafir, 2009; Pinsonneault, Lechaume, Benzakour et Lanctôt, 2010; Bardai, 2010). Par contre, peu se sont arrêtées sur les dynamiques identitaires et les transitions socioprofessionnelles vécues par ces derniers.  Cette recherche tentera donc de jeter un peu de lumière sur ces réalités. Dans un premier temps, l’immigration sera abordée, suivie de l’insertion et l’intégration sociales, la reconnaissance des compétences et emplois qualifiés,  la mobilité professionnelle, les transitions et enfin, les dynamiques identitaires. Afin de mieux comprendre ce thème, la définition de Tastsoglou (2001, p.3) a été retenue.  Selon cette auteure, le terme « processus d’immigration » désigne « le fait, pour un immigrant ou un réfugié, d’arriver au Canada et de s’y établir. »  En réalité, tout processus d’immigration bouscule inévitablement la vie des gens.  Dans une étude sur les familles immigrantes au Québec citée par Kanouté (2007), il y est mentionné que « l’immigration soumet l’individu et les groupes à un processus d’acculturation : processus global d’adaptation psychologique et socioculturelle au contact d’une ou de cultures autres que sa culture de première socialisation (Berry, Phinney, Sam et Vedder, 2006; Kanouté, 2002). (p. 67) »  En principe, l’immigrant qualifié dûment informé (selon les critères du MICC, 2011) qui arrive au Québec devrait vraisemblablement bien s’adapter au marché de l’emploi québécois. Tel que le soutiennent Boudarbat et Boulet (2010), l’idée de recourir à une main-d’œuvre qualifiée sous-tend que cette dernière aura plus de facilité à intégrer le marché du travail et que sa participation active sera bénéfique pour le pays d’accueil.   Les immigrants choisissent normalement la grande ville due à l’accessibilité des emplois, des ressources et des services (Kanouté, 2007).  Ils rejoignent des membres de la famille ou des amis.  Par surcroît, l’accès aux réseaux sociocommunautaires y est facilité. Il est connu que les médecins quittent les pays sous-développés pour des pays plus riches. Selon une étude de Kerouedan (2009), « les conditions de travail, les dysfonctionnements des systèmes de santé, l’insuffisance des moyens et la baisse de qualité des plateaux techniques, l’insuffisance des salaires, l’insécurité qui y règne sont autant de facteurs qui poussent les jeunes médecins vers des aventures européennes et canadiennes. » (p. 119) Pang, Lansang et Haines (2002) confirment que les facteurs qui incitent les professionnels du domaine médical à émigrer sont : une faible rémunération, des conditions de travail non adéquates, un climat politique oppressant, la persécution des intellectuels, la discrimination et pour les chercheurs, le manque de fonds de recherche, la désuétude des plateaux techniques, les carrières limitées et le peu de stimulation intellectuelle.  Il y a aussi le souhait de vivre en sécurité, sans violence et le désir d’offrir de bonnes conditions de vie à leurs enfants. (p. 500) Les médecins formés à l’étranger peuvent incidemment immigrer au Québec pour diverses raisons.  Baerlocher (2006) démontre que ces dernières peuvent être de différentes natures : personnelles, professionnelles, financières et familiales.  Suivant les raisons qui ont motivé son immigration, le médecin immigrant a donc plus ou moins eu l’opportunité de bien se préparer et s’informer. D’après l’étude de Simard et Van Schendel (2004), les médecins étrangers immigrants ont principalement immigré pour des considérations politiques et économiques.  Également,  « s’ils ont finalement choisi le Québec, c’est avant tout pour son caractère francophone et européen par opposition aux États-Unis, son climat de liberté et de sécurité pour les enfants et ses meilleures possibilités d’avenir pour leurs descendants. » (p. 65)  Par ailleurs,  Tremblay (2008) soutient que « La difficulté de rétention des professionnels de la santé contribue aussi à la pénurie. En aspirant à améliorer leur situation, plusieurs professionnels de la santé choisiront de changer d’établissement, de ville, de région ou de pays, ou, lorsque le système de santé s’y prête, de passer du secteur public au secteur privé. (p. 4) »  L’immigrant qui arrive au Québec peut remarquer qu’il y a des programmes d’insertion économique et linguistique disponibles pour faciliter son intégration.  Malgré tout, certains se butent à des barrières.  Entre autres, la discrimination représente toute une embûche (Kanouté, 2007).  Selon Boudarbat et Boulet (2010 : p. iv), l’intégration au marché du travail « semble influencée par la région d’origine des immigrants, le lieu d’obtention de leur diplôme et leur âge à leur arrivée au pays. »  Or, si les immigrants n’arrivent pas à intégrer le marché du travail, ils finiront par se sentir exclus et se tourneront vers les programmes de soutien sociaux pour survivre (Bourdabat et Boulet, 2010).  Conséquemment, cela occasionne des coûts pour la société et les immigrants eux-mêmes. Ces dires sont appuyés par la recherche de Lafontant, Forgues, Belkhodja, Sangwa-Lugoma, Meridji, Pietrantonio, Tremblay et Karyirangwa (2006) qui a répertorié les principales difficultés d’intégration professionnelle des diplômés internationaux en santé (DIS) au Canada comme suit : la reconnaissance des titres de compétences (formation et expériences professionnelles en santé) acquis à l’extérieur du Canada, l’architecture complexe des organismes qui interviennent dans le processus de reconnaissance, le coût des cours de formation d’appoint qui peuvent être exigés pour avoir accès aux évaluations de ces organismes et les exigences du marché du travail, les préférences et les pratiques (légitimes ou non) des employeurs. (p. 11) Quant à Bardai (2010), il énumère quelques barrières à l’intégration professionnelle des médecins étrangers immigrants au Québec selon leurs perceptions : « barrière de nature procédurale (barrières informationnelles, barrières liées à la préparation et au passage des examens exigés, et à l’absence de garantie d’une place en résidence après avoir réussi les examens), institutionnelles (pressentiment d’un manque de volonté politique pour faciliter l’intégration) et socioculturelle (liées à la différence de culture entre le pays d’origine et le Canada), les facteurs discriminatoires, les facteurs religieux et le changement du statut social suite à l’immigration au Québec. » (p. 99)  L’étude de Simard et Van Schendel (2004) abonde dans le même sens :

« (…) types de difficultés soulignés par la plupart des médecins interrogés sont : 1) le manque de support pour les aider à préparer les examens d’équivalence; 2) la perte de leur identité professionnelle couplée à une situation économique précaire; 3) l’impolitesse et la fermeture de la Corporation professionnelle médicale. (p. 62) »

Les médecins étrangers s’inquiètent de passer trop de temps sans pratiquer la médecine.  Ils effectuent des études dans le domaine médical ou un domaine connexe tout en espérant décrocher des stages pour tenter de garder contact avec leur domaine d’expertise. L’accès limité aux postes en résidence et aux études universitaires en médecine ont un impact sur le nombre de médecins disponibles (Tremblay, 2008).  D’une part, les étudiants finissants n’arrivent pas à combler les besoins et d’autre part, la sous-utilisation des compétences des médecins étrangers immigrants provenant de certains pays a des répercussions économiques, sociales et politiques (Reitz, 2005).  Bien que les nouveaux immigrants soient davantage qualifiés, leur région de provenance, en l’occurrence l’Asie, l’Afrique et les Amériques, où les systèmes éducatifs diffèrent du système canadien et québécois, cause des difficultés lorsque vient le temps de se voir reconnaître les compétences acquises dans leur pays d’origine.   Les résultats de l’analyse de Renaud et Cayn (2006), démontrent que le lieu de provenance représente un défi pour accéder à un emploi :« (…) l’accès au premier emploi sera plus lent d’une part pour les répondants provenant d’Asie de l’Ouest et du Moyen- Orient, du Maghreb, de l’Asie orientale et de l’Océanie, de l’Afrique hors Maghreb et de l’Europe de l’Est (incluant l’ex-URSS); et d’autre part pour ceux qui ont étudié en sciences de la santé (…). » (p. ix) Quant à Lafontant et coll. (2006), ils affirment qu’il serait souhaitable que certains processus soient entamés avant l’immigration en terre d’accueil :  « (…) avant même leur arrivée et jusqu’à l’obtention d’un emploi, les DIS doivent suivre un processus d’accréditation et de reconnaissance. Cela implique de faire reconnaître leurs titres de compétences et de suivre, au besoin, des cours de mise à niveau. Il s’agit d’un facteur déterminant pour le passage vers un nouvel emploi et un nouveau milieu de vie. » (p. 38)  D’ailleurs, la reconnaissance des acquis est souvent évoquée pour expliquer les faibles niveaux de revenus des immigrants et leurs difficultés à accéder à l’emploi.  Nombreux sont les immigrants qualifiés qui occupent des emplois sous-qualifiés pour survivre et nourrir leur famille (travail dans les usines et manufactures, dans les restaurants, etc.).  Les médecins formés à l’étranger n’y échappent pas.  Simard et Van Schendel (2004) le notent aussi : « Force est de constater que les expertises et savoirs particuliers des médecins immigrants spécialistes sont sous-utilisés au Québec, et ce, même s’il y a pénurie de certaines de ces spécialités en régions éloignées. Cela renvoie aux questions cruciales de la reconnaissance des acquis et de la déqualification des professionnels immigrants (…). » p. 54 De plus, ils relèvent que certains « doivent cacher leur diplôme de médecin pour pouvoir accéder à ces emplois de survie. » (p. 60)  Malheureusement, occuper des emplois sous-qualifiés amène son lot de frustration. À cet effet, Kanouté (2007) cite : « À l’idée de renoncer à des acquis de formation et de presque commencer un nouveau parcours de qualification professionnelle, plusieurs immigrants vivent une très grande frustration qui peut inhiber l’élan de départ du projet migratoire. » (p. 69) D’après l’étude de Simard et Van Schendel (2004),  plusieurs médecins étrangers  immigrants avaient entamé et même complété des formations spécialisées dans leur pays d’origine. Malheureusement, ils n’ont pas pu mettre en œuvre ces dernières, car  « tous ont dû accepter de se réorienter en médecine familiale, devant alors faire le deuil de leur spécialité. » (p. 66)  C’est au détriment des pays sous-développés que se vit la fuite des cerveaux du monde médical (Marchal et Kegels, 2003).  Dans l’ensemble, ce sont les pays suivants qui en profitent le plus : États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada. Ceci conduit à une certaine inéquité.  Non seulement ce sont des professionnels de la santé qui sont perdus, mais aussi des milliers de dollars investis en formation qui s’envolent sans compter que certains spécialistes qui quittent ces pays occuperont des fonctions sous leur seuil de compétences dans les pays plus riches (Bundred and Levitt, 2000) cités par Marchal et Kegels (2003 : p. S93).  Quant à eux,  Hagopian, Thompson, Fordyce, Johnson et Hart (2004) rapportent que : « (…) L’Organisation mondiale de la Santé (MS) reconnaît depuis longtemps que la migration des personnels de santé des pays sous-développés vers des pays développés créée un déséquilibre de professionnels de la santé au niveau mondial. » (p. 1 – traduction libre de l’auteure de cet essai) Hadaś et Lang (2010) avancent plusieurs facteurs clés contribuant à la migration : « (…) pauvres conditions de vie, faible rémunération, peu d’opportunités de développement professionnel, manque de plans de carrière définis, peu de stimulation intellectuelle, mauvaise gouvernance, pauvreté, népotisme et corruption au sein du recrutement et des promotions, insécurité ou violence en milieu de travail, chaos et tensions politiques, conflits militaires et guerres civiles. »    (p. 7 – traduction libre par l’auteure de cet essai) Quant à Robinson et Carey (2000), ils évoquent cet extrait de Halfacree et Boyle, 1993: p. 337 pour expliquer le processus de migration: « La décision de migrer n’est pas prise en mettant en veille le reste de sa vie …  une migration particulière existe dans la mesure où elle fait partie de notre passé, de notre présent et de notre futur; de notre biographie. »  (p. 91 – traduction libre par l’auteure de cet essai)

Les recherches de Balleux et Perez-Roux (2011) abordent le concept de transition en reprenant les propos de certains auteurs.  Ils rapportent les déclarations suivantes: « (…) la transition s’intéresse plus particulièrement aux mobilités sociales et professionnelles des adultes (Boutinet, 2009) pour lesquels il s’agit d’aborder une nouvelle réalité tout en quittant une récente activité professionnelle, qu’elle soit première ou multiple. » (…) la transition peut être vue comme une « organisation temporelle que se donne une personne, comportant une origine et une fin plus ou moins floues » (Boutinet, 2009 : p.226). La transition est aussi « une réalité psychologique subjective » (Bridges, 2006, p.2) et engage à la fois inscription dans le temps, changement d’espace et processus de transformation, laissant une part importante au contexte (Elder, 1994). Comme processus intérieur, Bridges (1995) y voit trois étapes essentielles: deuil, traversée du désert et renouveau. (…) La transition est donc propice à l’étude du développement professionnel et personnel, car « les périodes de transition peuvent être développementales lorsque certaines constructions de significations sont possibles, étant elles-mêmes profondément liées à la possibilité de réélaborations identitaires et d’apprentissages » (Perret-Clermont et Zittoun, 2002 : p.15). » (pp. 6-7) Les transitions touchent à plusieurs facettes de la vie des individus.  Dès lors, lorsqu’une personne décide d’immigrer, les aspects suivants risquent de l’ébranler: le contexte et les événements reliés à la migration, les personnes impliquées, le poste occupé et le statut social avant le départ, les conditions socio-économiques du pays d’accueil, etc.  Kanouté (2007) ajoute aussi « l’histoire de la communauté d’origine de la famille et le poids de cette histoire sur la définition identitaire de ses membres, etc. » (p. 68) C’est donc dire que les médecins étrangers vivent ces transitions dans une certaine mesure et que celles-ci bousculent leur dynamique identitaire. D’après une définition de Rummens (2000) citée par Tastsoglou, « l’identité peut être définie comme « le caractère distinctif propre à tout individu ou commun à tous les membres d’une catégorie ou d’un groupe social particuliers ». L’identité est un concept relationnel et contextuel. Ainsi, elle ajoute : « Comme les contextes sociaux et les relations entre les groupes évoluent, les identités évoluent elles aussi. En ce sens, les identités sont des constructions sociales sujettes en permanence à la négociation et à la reconstruction. » (pp. 3-4)  Les recherches de Balleux et Perez-Roux (2011 : p. 7) accentuent le fait que dans une perspective dynamique « l'identité intègre les différentes expériences de l'individu tout au long de la vie ». Selon Zaouani-Denoux (2005) : les tensions vécues par l’individu durant les périodes de transitions  « génèrent des transformations plus ou moins profondes au plan identitaire, engageant un processus de déconstruction/reconstruction qui accompagne le remaniement du rapport entre soi et l’environnement. » (p. 7)  Pour la majorité des gens, un médecin est perçu comme une personne forte.  Exprimer ses sentiments ou démontrer des émotions devient donc un sujet tabou pour les médecins.  Pourtant, les médecins étrangers immigrants vivent de grandes inquiétudes.  En effet, ils craignent entre autres, la perte de leur identité professionnelle durant les longs délais d’attente, l’éloignement de la pratique médicale et les répercussions nuisibles pour leur famille (par exemple, les problèmes financiers, les troubles du sommeil, l’angoisse, etc.). De sorte que Simard et Van Schendel (2004) signalent  que « cette perte de statut professionnel et social ainsi que le manque de courtoisie et de considération ressenties par plusieurs médecins minent, à la longue, leur optimisme et leur rêve d’une vie meilleure au Québec. » (p. 64) Selon Swick (2000), les professions véhiculent des valeurs sociales importantes aux yeux du public et les médecins n’y échappent pas.  Au-delà de la relation de dualité médecin-patient, Swick (2000) ajoute que: « La pratique de la médecine a traditionnellement incorporé un ensemble de valeurs qui décrivent bien la nature du travail médical. Ces valeurs incluent, entre autres, l’engagement social, porter secours et l’altruisme. » (p. 614, traduction libre par l’auteure de cet essai) Du reste, Bélanger et Laliberté (2010) rappellent que « dans l’esprit du serment d’Hippocrate, le rôle du médecin est de mettre à profit son savoir au service de la santé de la population. » (p. 8)  Au sujet du rôle joué par les médecins, ils ajoutent que :  « Le rôle du médecin est d’appliquer un savoir technique et spécialisé en matière de santé au service d’un patient, de la population en générale ou d’une institution. La légitimité de ce rôle repose sur le pouvoir médical, c’est-à-dire sur « la capacité des médecins, comme individus dans leur pratique quotidienne ou comme collectivité dans leurs rapports avec d’autres acteurs sociaux, de faire prévaloir leur point de vue sur les questions qui les concernent » (Lemieux et coll., 2003 : 262). » (pp.13-14) Quant à Maranda (2006), elle procède à une analyse selon trois pôles identitaires du médecin.  Elle parle d’irréprochabilité du médecin, de l’étiquette de « sauveur » et de son dévouement.

«  (…) trois pôles qui forment un tout cohérent et encadrent son activité : les normes et exigences professionnelles, les attentes de la société et l’idéal vocationnel. (…)  Le médecin est au cœur d’une profession libérale, parmi les plus prestigieuses, comportant un grand nombre de responsabilités, ce qui suppose, en corollaire, qu’elle soit une des professions les plus contrôlées. » (p. 62)

« Les médecins sont aussi soumis à de fortes attentes de la part de la société(…) on attend d’eux qu’ils «sauvent» le monde… Dans l’imaginaire populaire, les médecins ont reçu un don (…) et de pouvoirs de guérison. » (p. 65)

« Le destin du soignant, c’est de soigner, c’est de guérir (…) C’est pour cette raison que des hommes et des femmes sont entrés en médecine, comme on entre en vocation. (…) ils répondaient à un appel de leur conscience. » (p. 67)

De son côté, Loriol (1999) évoque les propos de Hugues (1958) au sujet de l’identité professionnelle. « L’identité professionnelle s'élabore à travers quatre éléments : la nature de la tâche, la conception du rôle, l'anticipation des carrières et l'image de soi. À cela, il faut ajouter les relations de pouvoir, aussi bien au niveau de l'entreprise (Sainsaulieu, 1977) que de la profession. » (p. 8) Une étude menée par Menguy-Fleuriot (2006) avance que « (…)  l’exercice de la médecine permet d’accéder à un statut social élevé et de réaliser une « belle carrière professionnelle. » (p. 7) Dès lors, il y a lieu de se questionner sur les débouchés possibles pour les médecins qui sont confrontés à la perte de leur identité professionnelle et de l’impérativité de diplômes supplémentaires pour se « reconvertir », se déconstruire et se reconstruire. En résumé, en parcourant la littérature scientifique, force est de constater que le processus d’immigration ne se limite pas à une simple formalité, car au-delà de la personne immigrante, tout un univers doit être pris en considération si l’on souhaite favoriser une bonne intégration à la société d’accueil.  Qu’il s’agisse de perceptions, de différentes barrières, d’un vécu, de l’origine de l’individu, des conditions dans le pays d’origine, du statut social, de l’environnement, du discours intérieur, etc., plusieurs composantes externes et internes ont une influence sur l’individu, et dans le cas présent, sur les médecins étrangers immigrants au Québec.

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