lundi 23 décembre 2013

Comment peut se comprendre le "sens" en orientation professionnelle ? Essai d'explication


En espérant trouver chez vous l’écho d’un intérêt et surtout pas l’impression d’une masturbation intellectuelle de professeur d’université – puis si c’est le cas bien ne me lisez tout simplement pas J -, je fais ici du pouce sur la réponse d’Érick à ma question posée : Comment se construit le sens en orientation ? Dans un premier temps, je reprends les propos d’Érick et je me positionne face à eux. Ensuite, je fais ce que j’aime le mieux, trouver du sens au travers de la littérature scientifique et professionnelle pour justement comprendre ce que l’on entend au juste par « construction de sens » en termes de composantes, de processus ou de finalités … et SURTOUT en quoi cela peut être porteur pour nos pratiques en orientation.


La construction proactive et intégrale de sens en orientation selon Érick Beaulieu.

Érick mentionne que le sens se construit : OK. En fait le propos d’Érick mise – entre autre - sur la condition essentielle de l’engagement « total-identitaire » (oui, moi aussi je peux faire du Beaulieu avec les mots J) du client. Un élément accroche ma lecture, soit lorsqu’il est mention d’accompagnement par la mobilisation d’un  « effort proactif fondé sur une inspiration, un déclic, un flash, un repère signifiant. ». À cela je me questionne : comment on pose un effort sur une impulsion ??

La mobilisation du SEP est en effet une pratique porteuse et passablement facile sur le plan conceptuel à intégrer au sein de ses pratiques. À ce propos, je vous invite à consulter mon document de formation intitulé Conception sociorelationnelle du sentiment d’efficacité orienté projet que j’ai réalisé en Nouvelle-Calédonie en 20012 en collaboration avec Catherine Lazure, c.o. Le SEP vise à faire reconnaître l’existence du sens, mais cela ne permet pas pour autant d’en saisir les phases, étapes ou actions de construction. Et ce SEP mobilisé passe également par l’engagement personnel dans SA démarche d’orientation, ce qui mène comme Érick le mentionne à « l'importance de rétablir l'autonomie socioprofessionnelle de nos clients: pas une mince tâche et loin de se limiter aux dimensions plus techniques de notre travail. » Il en est de même pour le locus de contrôle – à ce propos je vous invite à consulter l’essai de Véronique Morasse sur le rôle du locus de contrôle sur la prise de décision relation à la carrière de jeunesau secondaire - c’est tout comme le SEP quelque chose de fort important pour réaliser une démarche de « savoir s’orienter », mais ce n’est pas l’existence d’une chose qui en explique sa cause, le sens construit sous-jacent.

Les actions d’intervention proposées par Érick mobilisent et consolident le locus de contrôle, le sentiment d’efficacité personnelle, la motivation, le flow et le désir de croire en soi. Fine. Ce que nous savons et c’était là la base de ma question au départ (Comment se construit le sens ?), c’est qu’en tant que chercheur, souvent en tant que conseiller d’orientation, nous assistons à un déclic qui ne s’opère pas en cours de processus, mais à la genèse même de l’idée d’entreprendre une telle démarche, sinon de tout simplement mener seules des actions d’appuis plus objectifs (valider ses intérêts, ses aptitudes, ses valeurs, les conditions d’exercice professionnel, les conditions salariales, etc.) … En somme, même si l’intervention méthodologique que tu proposes vise à construire le sens de son projet, force est de constater que pour plusieurs individus ce sens est déjà construit. Il n’est toutefois pas validé, mobilisé, compris.

À la fin de la réponse d’Érick, une sorte d’extension sociale et sociétale de sa posture suggère que s’orienter, tout comme vivre, dans nos sociétés, c’est s’affranchir de dictats bien-pensants quant à une « bonne manière » d’être et de vivre, avec soi-même et surtout dans le monde. L’orientation doit elle aussi s’inscrire dans ce mouvement de « durabilité » tout au long de la vie et c’est par la reconnaissance d’un sens unique, porteur d’un ID (comme dans identité) fort et assumé tant par les clients aux prises avec leurs propres enjeux d’existence que les conseillers aux prises avec les nombreux espaces sociaux et sociétaux qui influencent – selon les « capabilities » à donner du sens empathique pour soi à la manière de l’économiste Sens - la portée de leurs pratiques. En même temps, il ne faut pas tomber dans une dérive de négation d’un environnement social, d’un marché du travail, d’une culture professionnalisante qui ne peut pas toujours être abattus sur le champ pour faire du sens, mais être négociés – sans trop se perdre, y perdre – par l’individu en quête d’interaction constructive et sensée.


La construction de sens : qu’est-ce que l’on en dit … ? Quels apprentissages pour la pratique de l’orientation professionnelle ?

Le « sens » est un vocable pluriel. Il renvoie à la question de facultés sensitives, auditives, tactiles, olfactives et visuelles, tout comme il renvoie à la connaissance intuitive, à la faculté de juger, de signifier. De la notion de faculté, le sens peut être également considéré au regard de ces définitions possibles en tant que capacité.  

Dans une conférence en ligne sur le site Canal-Usur l’enseignement supérieur, le linguiste français OswaldDucrot aborde le SENS. Essentiellement, Ducrot suggère que l’étude du sens vise à découvrir une forme « d’arrière-boutique » d’une chose, d’une idée, d’une croyance, d’une notion ou encore d’une attitude bien réelle, mais difficilement saisissable sur le plan descriptif, déductif. Le sens serait ainsi criant d’existence par son invisibilité. Donc, chercher le sens de quelque chose implique l’acceptation et l’ouverture à l’invisible, l’imprévisible, le flou, le mystère … tant pour le client que pour le conseiller je pourrais dire. En tapant « philosophie du sens » sur Google, je me suis surpris d’être envahi de contenus d’information sous la forme d’essai de définition de la part de philosophes de tout acabit. Chercher le sens véritable est tout sauf de chercher une vérité scientifique ou encore pire un sens « commun ». En clair, plutôt que de chercher avec son client à identifier, évaluer et juger de ce qui fait du sens en soi – en langage freudien je serais d’avis ici d’utiliser le sens du « surmoi » - il importe de s’attarder plutôt à « l’être » du sens, soit ce qui en formule le construit.

Dans un texte qui justement donne sens à cette démarche de pratique réflexive et intitulé Une approche philosophique du sens des valeurs. Se transformer soi-même pour transformer le monde ?, Adélaïde De Lastic rappelle que le sens recouvre trois réalités : la direction, la signification et la sensation/sensibilité/sensualité. Un élément fort intéressant qui est rapporté concerne le fait que « le sens n'est pas dans les choses elles-mêmes. C'est notre façon d'organiser nos représentations et d'attribuer à chacune une place dans un système, qui fait correspondre des signes aux choses, et qui nous conduit à conférer à chacun de ces signes un sens particulier » (De Lastic, s.d., p. 8). Plus près de nous en orientation, un article de Christine Mias pour la revue L’Orientation scolaire et professionnelle intitulé L’autobiographie raisonnée, outil desanalyses de pratiques en formation  La quête de sens est plus facilement opérable en contexte d’orientation lorsque l’on permet au client de soutenir une certaine distance sur l’analyse de son expérience. Entre autre, l’usage de l’autobiographie et autres outil de récits d’expérience où la personne peut mettre « à plat » par écrit favorise ce que l’auteure nomme être une « rupture avec le sens ordinaire » et permet  une recherche d’implication (recherche par l’action) et une recherche d’application (recherche pour l’action). » (Mias, s.d.) L’auteure apporte également une distinction importante entre sens et signification : « le sens étant une construction mentale spécifique qui s’effectue chez un sujet à l’occasion d’une expérience et la signification est plutôt de l’ordre d’une adresse à autrui. Immanquablement, cela suggère qu’il peut se perdre un peu de sens entre sens (expérience subjective) et signification (expérience objectivée). La poursuite de mes lectures sur la philosophie du sens m’amène à certains constats pratiques pour l’orientation :


·         Intervenir sur le sens implique… la sensibilité du client et du conseiller à leur expérience subjective et intersubjective. En clair, le sens n’est pas de l’ordre premier du déductif, mais plutôt de l’inductif, de même que de l’ordre gestaltiste de « contact » avec son expérience.

·         Intervenir sur le sens implique la mobilisation … de tous les sens rattachés à l’expérience, que ce soit le cognitif, l’affectif, le comportemental et le somatique.

·         Intervenir sur le sens implique … la quête d’une direction de l’être au travers de temps et d’espaces expérientiels, en clair de ce qui à la manière de l’ID rattachée à l’identité s’est maintenu, se maintien et devrait se maintenir dans les forces, les actions, les pulsions, les fantasmes existentiels de la personne.

·         Intervenir sur le sens implique … malgré la suite spatio-temporelle d’expression du soi rapporté au picot précédent … que le sens ne peut être catégoriser à l’intérieur de types, de catégories ou de cadres prédéfinis, mais bien induits, produit de l’expérience unique de la personne qui cherche sens. En somme, le sens n’est pas donné, il se donne !


En espérant que cette aventure réflexive puisse procurer du sens cognitif, directif et sensitif à votre expérience de professionnel de l’orientation et du développement de carrière ! 

Louis Cournoyer , conseiller d'orientation 




Louis Cournoyer, Ph.D., c.o.
Professeur, counseling de carrière
Université du Québec à Montréal

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